Un article inachevé, qui était la mise à plat de ma conférence d'il y a… trois ans, je crois, à Angoulème. J'aurais dû le boucler pour un mag dont j'ai plus eu de nouvelles, et d'autres urgences se sont présentées depuis. Du coup, je vous le présente en l'état. Il n'y a qu'un tiers du papier, à peu près.
Magiciens des comics
Quand Action Comics
n°1 sort en 1938, le personnage qui orne sa couverture entre
immédiatement dans l'histoire. L'histoire est connue : avec
Superman, les jeunes Siegel et Shuster viennent d'inventer le
super-héros. Ce qui est moins connu, c'est le reste du sommaire de
ce numéro. Car tout comme Detective Comics à la même
époque, Action Comics est au départ une anthologie. Et parmi
les héros d'action qui s'agitent dans ses pages, outre Superman,
Marco Polo et Tex Thompson, Zatara le magicien y fait également ses
débuts, sous les crayons de Fred Guardineer.
Grands anciens
Mais revenons un peu en
arrière. Parmi les bonnes fées qui se sont penchées sur le berceau
des comic books dans les années 1930, on trouve bien
évidemment les pulps, ces revues présentant pour quelques sous de
courts romans policiers, d'action, d'aventure, de science-fiction et
de fantasy. Les comic books leur emprunteront leur format et nombre
de leurs thématiques. Il y a aussi le comic strip, qui
fournit aux comic books leur contenu au départ. Nombre de
personnages créés par la suite iront piocher dans ce vivier
ancestral de concepts. C'est le cas de Zatara, démarquage assez
transparent du Mandrake de Lee Falk et Phil Davies.
Mais en remontant même
un peu plus loin, force est de reconnaître que les premiers comic
books ont été piocher une large part de leur esthétique dans
une forme d'entertainment qui était alors en train de
disparaître, mais dont la prééminence au début du vingtième
siècle aura profondément marqué l'imaginaire de leurs créateurs :
les sideshows,
freakshows et autre carnivals, ainsi
que le music-hall qui en était la forme plus urbaine et plus
civilisée. Les monstres de foire auront donné à Batman et à
Dick Tracy quelques uns de leurs plus mémorables ennemis. L'hercule
brisant des chaînes sur son torse aura fourni à Superman (et aux
super-héros qui l'ont suivi) son costume si voyant et si
caractéristique, avec le short par-dessus le collant. Les tournées
de découverte de la science et de la technique d'Edison et de Tesla,
reprenant les codes du cirque, fourniront le matériel et l'allure de
bien des savants fous. Tous ces spectacles bruts et très premier
degré, héritiers aussi bien de Barnum que du Wild West Show
de Buffalo Bill, seront le cadre conceptuel de bien des aventures sur
papier.
À l'époque, les
magiciens et illusionnistes sont légion. Le plus connu d'entre eux
est Harry Houdini, devenu d'ailleurs personnage de pulp, sous
la plume notamment d'H.P. Lovecraft. Il a pour particularité d'être
un matérialiste et un scientiste convaincu, et de refuser toute
explication surnaturelle à ses exploits et à ceux de ses confrères.
Il passera une partie de sa carrière à debunker leur
travail. L'une de ses dernières cibles fut le Fakir Bey, qui
prétendait que ses pouvoirs mystiques faisaient de lui au moins
l'égal d'Houdini, voire son supérieur. Houdini le détruisit en
dévoilant ses trucs, tous plus prosaïques les uns que les autres.
Mais Bey n'était pas le seul magicien exotique à se prétendre
dépositaire de fumeux secrets d'un Orient de bazar, et nombre de
magiciens, plutôt que le frac et le haut-de-forme, choisissent à
l'époque d'arborer fez et autres turbans.
Le jour où on fait un film sur Fakir Bey
ce sera avec Liam Neeson ou rien
Ces deux « écoles »
de la magie, chapeau noir ou turban rouge, fourniront les deux
premiers archétypes dont se nourriront les comics de
magiciens. Et même chez les plus occidentaux de ces personnages,
l'exotisme trouvera toujours le moyen de pointer le bout de son nez.
L'âge d'or
En 1934 apparaît
Mandrake le Magicien, l'autre grande création de Lee Falk avec le
Fantôme du Bengale (un personnage en collants antérieur aux
super-héros classiques). Vêtu d'un costume de scène classique avec
queue de pie et chapeau huit reflets, il a toute l'apparence d'un
illusionniste de music-hall. Néanmoins, s'il n'est pas avare de
« gestes hypnotiques » lui permettant de faire avaler des
couleuvres à ses adversaires, il semble parfois nanti de pouvoirs
bien réels. Il est également doté d'un assistant exotique à la
force herculéenne et à la loyauté sans faille : Lothar.
Lothar est un symptôme
de son époque : si tous les magiciens, sur scène, ont une
charmante assistante, de préférence habillée de façon suggestive,
elle ne saurait participer à l'aventure d'une bande dessinée
autrement que comme victime des visées perverses du méchant ou
comme demoiselle en détresse donnant au héros l'occasion de faire
des prouesses*.
Lothar, s'il partage avec la belle assistante un costume le dénudant
savamment, est par contre de tailler à enfoncer les portes ou à
assommer les sbires de l'ennemi. Comme tout bon serviteur de couleur
dans les histoires de ces temps pas si lointains, il permet à son
maître de ne pas se salir les mains. Autre élément d'exotisme, sa
base d'opération de Xanadu, dont le nom renvoie à la Chine
ancienne, et au palais des plaisir construit par Kubilaï Khan selon
le poème de Coleridge.
Comme bien des
personnages de comic strip, Mandrake enfante d'un clone dans
le monde du comic book en la personne de Zatara. La seule
différence physique entre les deux personnages, c'est l'absence chez
le deuxième de la fine moustache du premier. Cette anomalie sera
bien entendu corrigée par la suite. Pour le reste, notre héros
dispose d'un fidèle assistant exotique, Tong, et de pouvoirs liés à
des formules magiques qui consistent à prononcer à l'envers le nom
des effets que l'on veut provoquer.
Mais éclipsé par
Superman, qui faisait ses débuts en même temps que lui et
ringardisait d'un coup tout ce qui s'était fait précédemment dans
le genre, Zatara n'eut pas le même succès. Guardineer, son
créateur, injecta dans un autre personnage de magicien un certain
nombre d'éléments constitutifs du premier super-héros. Le résultat
lui donna Tor.
Tor le magicien est, à
la ville, le journaliste Jim Slade. Mais quand le besoin se fait
sentir (par exemple quand il faut combattre d'affreux nazis), il
endosse le queue de pie et la cape de soie de Tor, maître de la
magie. Histoire de parachever l'illusion, Tor porte une moustache à
la Mandrake dont Zatara était dépourvu. Mais si Zatara s'est
survécu avec le temps et fit même souche, Tor disparut corps et biens après une
poignée d'aventures.
L'autre archétype
magique, celui du magicien exotique à turban, débarque vers la même
époque dans les comics, sous la forme par exemple de Marvelo,
monarque des magiciens créé par… Fred Guardineer. Mais il ne
s'éloigne pas tant que ça du modèle Mandrake : le queue de
pie est devenu blanc, mais pour le reste il dispose d'un hercule de
foire chinois et d'une fine moustache. Pour le coup, ses pouvoirs
n'ont rien d'hypnotique et il transforme les objets pour de bon.
Marvelo a beaucoup de
petits frères vers la même époque, comme Ibis l'invincible ou
Sargon le sorcier, magiciens de music-hall à turban de couleur et
dont les pouvoirs proviennent généralement d'un joyau magique ou
d'une quelconque relique, et non plus d'un rigoureux entraînement.
La relique ancienne est
la clé des pouvoirs d'un des premiers magiciens clairement
super-héroïsé. Si Tor reprenait des concepts clés de Superman
(concepts que lui-même avait piochés dans Zorro et autres romans
populaires), Doctor Fate en porte le collant et le slip par-dessus le
pantalon caractéristique.
*Mandrake
a bien une douce amie, Narda, mais il est significatif qu'elle
n'apparaisse qu'après Lothar.
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