Encore une rediff, d'un papier écrit en 2016 pour un projet qui ne s'est finalement pas concrétisé de "pastilles" ciné.
2001, Stanley
Kubrick
Le mètre-étalon du
film de conquête spatiale, c'est 2001, l'odyssée de l'espace.
Il y a des films, comme ça, qui deviennent instantanément des
classiques de leur propre genre : Tout comme il est devenu
immédiatement impossible de faire du post-apocalyptique sans se
référer au Mad Max 2 de George Miller, 2001 a
instantanément ringardisé tous les films de cosmonautes qui
l'avaient précédé. Même le prophétique Naufragés de l'Espace
de John Sturges, sorti juste après, semble avoir été réalisé
avant ; il ne demeure qu'une simple curiosité anticipant les
aléas de la mission Apollo 13, mais malgré son efficacité
dramatique, il ne soutient pas la comparaison avec le film de
Kubrick.
Puissance visionnaire,
portée philosophique, immédiateté iconique de la mise en scène,
déroulé énigmatique, beaucoup d'éléments expliquent l'impact
brut de 2001. Alien et la Guerre des Etoiles sauront piller
certains de ses gimmicks visuels. Mission to Mars et
Prometheus tenteront vainement d'en retrouver la portée
mystique.
On peut supposer qu'un
des éléments clé de cette réussite est la reconstitution maniaque
d'un futur proche et plausible. Pour ce faire, Kubrick s'était
tourné vers les experts de son temps, la Nasa, qui lui ouvrirent
toutes grandes les portes de leurs bureaux d'études. Notons que cela
seul n'aurait pas suffi à faire du film un chef d'œuvre : John
Sturges aura su profiter des mêmes facilités d'accès, et les
exploiter d'une façon tout à fait méritoire et efficace, sans pour
autant arriver à l'impact iconique de Kubrick.
De fait, il y a une
tradition dans le cinéma d'anticipation d'aller au plus près des
connaissances de l'époque. Pour sa Femme dans la Lune, Fritz Lang
s'était adjoint en 1928 Herman Oberth comme conseiller scientifique.
Ce dernier avait fait sa thèse quelques années plus tôt sur les
stations orbitales et avait été renvoyé à ses chères études par
des instances académiques qui demandaient à se que l'on se
concentre plutôt sur l'amélioration de l'aviation avant de viser
plus haut. Mais Oberth savait ce qu'il voulait et
ce qu'il faisait, et la séquence du lancement mise en scène par
Lang anticipe de quarante ans ce que seraient les missions lunaires
réelles : hangar gigantesque, fusée amenée sur la pas te tir
par un char énorme, compte à rebours (le premier de l'histoire du
cinéma) et séparations des étages. Est-on surprit d'apprendre
qu'Oberth fut plus tard le maître en astronautique du jeune Wernher
von Braun, l'homme qui envoya des hommes sur la Lune ?
Toujours est-il que cette précision dans le
détail est en fait une tradition. Et qu'en allant chercher lui aussi
dans le futur de l'astronautique, Kubrick y trouvera la station
spatiale en forme de roue, dont la première conceptualisation, le
Wohnrad,
due à un autre Hermann, Potočnik, dit Noordung, est contemporaine
du film de Lang.
À
l'inverse, l'imagerie du film inspirera d'autres médias, comme la
télé, avec le Space : 1999
de Gerry Anderson, ou la bande dessinée, avec le 2001
Nights de Yukinobu Hoshino, qui le cite
explicitement à de nombreuses reprises (ainsi que le reste de
l'œuvre d'Arthur C. Clarke, auteur de l'histoire du film). Pendant
un temps, la conquête de l'espace s'envisageait en termes de
surfaces blanches et lisses, et cela engendra d'ailleurs une réaction
avec les univers délibérément sales et prolétarisés d'Alien
ou d'Outland.
Telle est la force d'une imagerie qu'elle engendre aussi son
contraire…
Mais
la grande force de 2001, c'est peut-être aussi de tenter de nous
faire ressentir un vertige cosmique, en nous projetant dans un
univers trop énorme pour que notre esprit puisse tout à fait en
saisir l'immensité aussi bien spatiale que temporelle. Nous faire
comprendre les dangers de l'espace est facile : Gravity
dernièrement, ou Apollo 13,
y sont très bien parvenus. Mais l'immensité totale de l'univers,
c'est quelque chose que seul Kubrick semble avoir réussi à toucher.
Choc esthétique du
film de Kubrick et de la réalité du voyage lunaire sur l'esthétique
fantasmée du voyage spatial. On ne peut plus imaginer une conquête
de l'espace réaliste sans passer par Kubrick et il faudra une
dizaine d'années pour en sortir par des chemins de traverse (Star
Wars, Alien)
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