Je m'enfonce dans une espèce de torpeur inquiète liée à l'ambiance générale, et je me rends compte que mon style de vie n'était pas aussi confiné que je le croyais. Ne pas pouvoir faire ma balade du soir me pèse terriblement sur le moral. Moi qui affecte de ne pas aimer le soleil, je m'installe maintenant le midi en haut des marches de mon escalier extérieur pour lire une petite heure en pleine lumière, et mine de rien ça limite pas mal la dégradation de l'humeur (je finis tranquillement l'excellent Outrage et Rebellion, de Catherine Dufour, que j'avais commencé avant le confinement, mais qui était mon bouquin "à lire dans les transports", inutile de dire qu'il était de côté depuis dix jours).
Mais l'actu de l'épidémie, ce n'est pas que le confinement.
Je vais revenir sur cette histoire de Chloroquine, avec un souvenir.
Y a quelque chose comme un quart de siècle, j'ai bossé comme technicien sur une test à grande échelle (l'interféron en vue du traitement de l'hépatite C). C'était un boulot de petite main, conditionner les doses de substance active, et surtout contrôler toute la traçabilité. Vous le savez peut-être, mais dans un test de ce genre, dit "en double aveugle", il y a deux groupes de patients, l'un recevant le vrai médicament, l'autre un placébo, l'étude visant à comparer les effets respectifs. Si l'échantillon est assez grand, ça permet de quantifier l'effet du médicament par rapport aux éventuelles guérisons spontanées et à l'effet placébo (les patients et les gens qui leur administrent les doses ignorent dans quels groupes ils se trouvent, pour éviter tout biais) (notons qu'il existe aussi un effet nocébo, lui aussi quantifié, correspondant à des effets secondaires même en l'absence de substance active). Ça demande des protocoles hyper rigoureux à tous les niveaux, afin d'assurer la cohérence dans l'administration du traitement. Des numéros de lots, un registre précis, etc. Le dépouillement des données se fait à un niveau purement statistique, dépassionné, en rapprochant un n° de lot d'un n° de patient. C'est à ce prix qu'on peut juger de l'efficacité réelle du médoc en minimisant les marges d'erreur.
Du coup, mon boulot qui était fastidieux et chiant revêtait une importance cruciale, mais aurait pu ne rester que ça : un boulot fastidieux et chiant. J'ai eu la chance d'avoir un boss très conscient de ça, et qui m'avait à la bonne. Il venait souvent s'installer dans le labo et me filer un coup de main (tout en contrôlant la bonne exécution de mon travail, bien sûr). Et du coup, on tapait la discute et j'ai eu droit, comme ça, à quelques semaines d'un cours intensif et magistral sur le sens de ce que j'accomplissais. Sur la méthode employée, sur ce qu'on espérait de ce traitement (ça m'a fait un petit quelque chose, y a quelques années de ça, quand j'ai appris qu'un très bon pote avait été sauvé par ce médoc, qui avait prouvé son efficacité deux décennies plus tôt). Moi qui avait été assez réfractaire à la façon dont on m'avait précédemment enseigné les stats, j'en ai pigé à cette occasion pas mal de subtilités et toute la puissance. Sans faire de moi un expert, loin de là, ça me permet d'avoir une vision assez pragmatiques face à certaines déclarations enflammées comme on en a vu passer ces derniers jours.
Par coïncidence, l'époque où je faisais ce boulot (je m'étais retrouvé là un peu par accident : je bossais plutôt en pharmacie d'officine, mais l'agence d'intérim qui m'employait n'avait plus sous le coude de gars spécialisés dans l'industrie au moment où il y en avait eu besoin dans ce labo, et m'avait sélectionné parce qu'elle me considérait comme fiable, et me refilait depuis quelques temps ces boulots un peu borderline : l'année suivante, ou celle d'après, elle m'expédiait chez un grossiste qui avait besoin d'un rédacteur spécialisé dans le paramédical pour un dico destiné aux pharmacies, et les notules que j'ai écrites dans ce cadre sont une de mes premières publications professionnelles), il y avait des polémiques sur la disponibilité des médicaments destinés au traitement du SIDA en remplacement de l'AZT, et le sujet était explosif : les premières trithérapies étaient en cours de validation, mais d'aucuns estimaient que ça trainait, et commençaient à gueuler. Du coup, il a fallu plusieurs fois que j'entre au boulot en slalomant entre les manifestants bien énervés. C'était pas au point de me prendre des cailloux sur la gueule, mais je pense que si les discussions entre les assos, les labos et le gouvernement s'étaient tendues, ça aurait pu mal finir pour moi et mes collègues.
Et une des clés du truc, c'est qu'on ne peut pas rusher une étude, même si ça a un prix en vies humaines. Parce que ça en aura un à l'autre bout, sinon. Sur la chloroquine, ça commence déjà. Et ça perturbe déjà l'étude de grande ampleur qui doit être lancée, parce que certains patients exigent d'être traités par la choloroquine (il y a quatre autres options dans l'étude, dont des antiviraux et bien sûr le placébo) alors que leur ignorance dans ce domaine est une des conditions du sérieux de l'analyse qui doit avoir lieu derrière, analyse qui permet d'évaluer le rapport bénéfice/risque inhérent à tout traitement, et d'avoir une idée des effets secondaire attendus pour pouvoir s'en prémunir.
Pour en revenir maintenant au professeur Raoult. Je me suis aperçu que je connaissais son boulot à cause d'une grande avancée due à son travail : la découverte des mimivirus, une classe de virus assez atypiques, beaucoup plus gros que les autres, que les méthodes employées jusqu'alors n'avaient pas permis de détecter : trop petits pour être détectés avec les bactéries, trop gros pour être repérés lors de recherches de virus, ils étaient pour ainsi dire passés entre les mailles du filet. C'est un peu par accident, mais aussi grâce à de nouvelles approches méthodologiques, qu'ils avaient pu être caractérisés. C'est peut-être ça qui l'a amené à fonctionner en outsider.
Plus que sa personnalité à lui, ce qui est inquiétant, c'est que ses défenseurs cochent toutes les cases des gens qui se veulent outsiders, qui revendiquent de "parler vrai" et s'affranchissent de tout cadre éthique chaque fois qu'ils le peuvent : Trump, Estrosi, Son-Forget, Benala, et j'en passe. Se greffent derrière toutes sortes de théories du complot allant du complètement pété au franchement nauséabond. Et un petit discours sur le fait de revenir à l'humain en s'affranchissant des approches mathématiques, qui est quasi mot pour mot celui des labos d'homéopathie. On se retrouve avec des situations paradoxales comme des antivax défendant bec et ongles la chloroquine, refusant à son sujet les arguments qu'eux-même opposent aux vaccins (leurs arguments étant réfutés via les études statistiques de pharmacovigilance à grande échelle menées depuis des décennies, mais passons). On ne peut pas reprocher à quelqu'un d'être soutenu par des clowns sinistres, c'est dur d'être aimé par des cons, tout ça, mais à force de voir réapparaitre toujours les mêmes profils, et de voir l'ensemble relayé par le ban et l'arrière ban des éditorialistes et pamphlétaires de caniveau, ça finit par poser question.
Mais l'actu de l'épidémie, ce n'est pas que le confinement.
Je vais revenir sur cette histoire de Chloroquine, avec un souvenir.
Y a quelque chose comme un quart de siècle, j'ai bossé comme technicien sur une test à grande échelle (l'interféron en vue du traitement de l'hépatite C). C'était un boulot de petite main, conditionner les doses de substance active, et surtout contrôler toute la traçabilité. Vous le savez peut-être, mais dans un test de ce genre, dit "en double aveugle", il y a deux groupes de patients, l'un recevant le vrai médicament, l'autre un placébo, l'étude visant à comparer les effets respectifs. Si l'échantillon est assez grand, ça permet de quantifier l'effet du médicament par rapport aux éventuelles guérisons spontanées et à l'effet placébo (les patients et les gens qui leur administrent les doses ignorent dans quels groupes ils se trouvent, pour éviter tout biais) (notons qu'il existe aussi un effet nocébo, lui aussi quantifié, correspondant à des effets secondaires même en l'absence de substance active). Ça demande des protocoles hyper rigoureux à tous les niveaux, afin d'assurer la cohérence dans l'administration du traitement. Des numéros de lots, un registre précis, etc. Le dépouillement des données se fait à un niveau purement statistique, dépassionné, en rapprochant un n° de lot d'un n° de patient. C'est à ce prix qu'on peut juger de l'efficacité réelle du médoc en minimisant les marges d'erreur.
Du coup, mon boulot qui était fastidieux et chiant revêtait une importance cruciale, mais aurait pu ne rester que ça : un boulot fastidieux et chiant. J'ai eu la chance d'avoir un boss très conscient de ça, et qui m'avait à la bonne. Il venait souvent s'installer dans le labo et me filer un coup de main (tout en contrôlant la bonne exécution de mon travail, bien sûr). Et du coup, on tapait la discute et j'ai eu droit, comme ça, à quelques semaines d'un cours intensif et magistral sur le sens de ce que j'accomplissais. Sur la méthode employée, sur ce qu'on espérait de ce traitement (ça m'a fait un petit quelque chose, y a quelques années de ça, quand j'ai appris qu'un très bon pote avait été sauvé par ce médoc, qui avait prouvé son efficacité deux décennies plus tôt). Moi qui avait été assez réfractaire à la façon dont on m'avait précédemment enseigné les stats, j'en ai pigé à cette occasion pas mal de subtilités et toute la puissance. Sans faire de moi un expert, loin de là, ça me permet d'avoir une vision assez pragmatiques face à certaines déclarations enflammées comme on en a vu passer ces derniers jours.
Par coïncidence, l'époque où je faisais ce boulot (je m'étais retrouvé là un peu par accident : je bossais plutôt en pharmacie d'officine, mais l'agence d'intérim qui m'employait n'avait plus sous le coude de gars spécialisés dans l'industrie au moment où il y en avait eu besoin dans ce labo, et m'avait sélectionné parce qu'elle me considérait comme fiable, et me refilait depuis quelques temps ces boulots un peu borderline : l'année suivante, ou celle d'après, elle m'expédiait chez un grossiste qui avait besoin d'un rédacteur spécialisé dans le paramédical pour un dico destiné aux pharmacies, et les notules que j'ai écrites dans ce cadre sont une de mes premières publications professionnelles), il y avait des polémiques sur la disponibilité des médicaments destinés au traitement du SIDA en remplacement de l'AZT, et le sujet était explosif : les premières trithérapies étaient en cours de validation, mais d'aucuns estimaient que ça trainait, et commençaient à gueuler. Du coup, il a fallu plusieurs fois que j'entre au boulot en slalomant entre les manifestants bien énervés. C'était pas au point de me prendre des cailloux sur la gueule, mais je pense que si les discussions entre les assos, les labos et le gouvernement s'étaient tendues, ça aurait pu mal finir pour moi et mes collègues.
Et une des clés du truc, c'est qu'on ne peut pas rusher une étude, même si ça a un prix en vies humaines. Parce que ça en aura un à l'autre bout, sinon. Sur la chloroquine, ça commence déjà. Et ça perturbe déjà l'étude de grande ampleur qui doit être lancée, parce que certains patients exigent d'être traités par la choloroquine (il y a quatre autres options dans l'étude, dont des antiviraux et bien sûr le placébo) alors que leur ignorance dans ce domaine est une des conditions du sérieux de l'analyse qui doit avoir lieu derrière, analyse qui permet d'évaluer le rapport bénéfice/risque inhérent à tout traitement, et d'avoir une idée des effets secondaire attendus pour pouvoir s'en prémunir.
Pour en revenir maintenant au professeur Raoult. Je me suis aperçu que je connaissais son boulot à cause d'une grande avancée due à son travail : la découverte des mimivirus, une classe de virus assez atypiques, beaucoup plus gros que les autres, que les méthodes employées jusqu'alors n'avaient pas permis de détecter : trop petits pour être détectés avec les bactéries, trop gros pour être repérés lors de recherches de virus, ils étaient pour ainsi dire passés entre les mailles du filet. C'est un peu par accident, mais aussi grâce à de nouvelles approches méthodologiques, qu'ils avaient pu être caractérisés. C'est peut-être ça qui l'a amené à fonctionner en outsider.
Plus que sa personnalité à lui, ce qui est inquiétant, c'est que ses défenseurs cochent toutes les cases des gens qui se veulent outsiders, qui revendiquent de "parler vrai" et s'affranchissent de tout cadre éthique chaque fois qu'ils le peuvent : Trump, Estrosi, Son-Forget, Benala, et j'en passe. Se greffent derrière toutes sortes de théories du complot allant du complètement pété au franchement nauséabond. Et un petit discours sur le fait de revenir à l'humain en s'affranchissant des approches mathématiques, qui est quasi mot pour mot celui des labos d'homéopathie. On se retrouve avec des situations paradoxales comme des antivax défendant bec et ongles la chloroquine, refusant à son sujet les arguments qu'eux-même opposent aux vaccins (leurs arguments étant réfutés via les études statistiques de pharmacovigilance à grande échelle menées depuis des décennies, mais passons). On ne peut pas reprocher à quelqu'un d'être soutenu par des clowns sinistres, c'est dur d'être aimé par des cons, tout ça, mais à force de voir réapparaitre toujours les mêmes profils, et de voir l'ensemble relayé par le ban et l'arrière ban des éditorialistes et pamphlétaires de caniveau, ça finit par poser question.
Commentaires
Quand Raoult aura eu, en plus, le Nobel de la paix et aura été canonisé par l'Eglise, on saura qu'il était l'incarnation du mal