Ce titre énigmatique (en tout cas, énigmatique pour ceux qui n'ont pas le même sens de l'humour idiot que moi, ou qui n'aiment pas les mêmes doubleurs, ou qui ne connaissent pas les mêmes chanteurs morts) n'a comme il se doit aucune espèce de rapport avec le contenu de ma vaticination du jour.
Mon sujet, là, c'est la vengeance. Non que j'aie des comptes à régler avec qui que ce soit (en tout cas officiellement. et vous ne connaîtrez le contenu de mon petit carnet noir que quand il SERA TROP TARD HAHAHAHAHA) (hurmf) (pardon)… Non, je voulais vous parler de la vengeance en tant que motif narratif. Donc, voici un petit extrait de notes tirée de mes autres carnets secrets (ceux d'une autre couleur que le petit carnet noir)(faut suivre, des fois).
Parmi les sujets de
base de la fiction et du récit (qui sont cinq, ou sept, ou onze, ou
tout autre nombre du même genre selon le théoricien auquel on
demande quels sont les sujets possibles), la vengeance tient une
bonne place. De façon explicite ou plus discrète, elle est au cœur
de nombre des grands univers et récits de fiction.
Le motif est ancien,
très ancien, et l'Iliade elle-même peut se lire comme un récit de
vengeances croisées devenues une machine de mort infernale et
mortifère à laquelle seul Priam tente d'échapper dans une fort
belle scène de conciliation, et à laquelle tous les autres
participants semblent se soumettre de leur plein gré au nom de leur
conception de l'honneur.
Par la suite, le Comte
de Monte Cristo ou les aventures de Lagardère ont démontré que
la vengeance se portait bien et fournissait des motifs faciles aux
auteurs de romans populaires. Le J'aurai ta Peau de Mickey
Spillane, plus récent, annonce carrément la couleur dès son titre (son titre français. le titre US, I, the Jury, est plus subtil quand il fait passer le même message).
Le motif de la femme
outragée ou violée dont la vengeance est à la hauteur du crime est
tellement classique (et cliché) que le rape revenge est
devenu un genre en soi dans le cinéma d'exploitation. Le film Kill
Bill, qui s'en veut l'héritier, exploite ce motif de la
vengeance atroce d'une femme à qui on a fait subir l'une ou l'autre
variation du « sort pire que la mort », l'euphémisme
classique du viol dans ces cas-là, et qui fait montre de grandes
prédispositions au carnage et au sadisme.
Mise à l'échelle
Pourtant, la vengeance
est, je trouve, très peu intéressante dramatiquement. Elle doit
pour parvenir à m’intéresser être soit démesurée, soit au
contraire s’enfoncer dans la plus parfaite mesquinerie.
Trouver le juste dosage
est dès lors délicat, quand il s'agit justement d'être dans un
déséquilibre fondamental. La mariée vengeresse de Kill Bill
(2003-04) ne s'arrête à aucun massacre pour atteindre la poignée
de personnes qui lui a fait du tort : les tueries débordent
largement de son objectif initial, comme le démontre la bataille
rangée à la « maison des feuilles bleues », cet
improbable duel d'une femme contre toute une armée. À l'inverse, la
revendication du protagoniste de Payback (1999) (il s'appelle
Porter, dans le film, mais le personnage est adapté du Parker de
Richard Stark) porte sur une somme dérisoire au regard des enjeux
financiers qu'il vient perturber, mais il en fait une affaire de
principe, et va démanteler une organisation mafieuse pour récupérer
ce que, selon lui, ses adversaires lui doivent.
On ignore ce qui motiva
les querelles des Hatfield et des McCoy (ou de leurs descendants de
papier, les O'Timmins et les O'Hara des Rivaux de Painful Gulch),
mais leurs vengeances croisées ont lancé un cycle de vendetta, de
vengeance ritualisée, familiale et éternelle, dont chaque
participant se retrouve partie prenante qu'il le veuille ou non. La
vengeance peut dès lors s'étaler dans le temps et l'espace, et
seule l'extermination d'un des clans pourrait éventuellement
l'arrêter.
Parmi les vengeances
les plus démesurées qui soient, on retrouve celle de Paul Atreides
dans Dune, abattant un empire galactique millénaire et précipitant
l'univers dans un djihad pour punir ceux qui avaient comploté pour
abattre sa famille. Son action dépasse le shakespearien pour toucher
au cosmique, et il faudra plusieurs millénaires à ses descendants
pour en payer les conséquences.
Service après-vente
L’autre problème de
ce thème narratif, c’est qu’ une fois la vengeance accomplie, il
reste à traiter le vrai sujet : sa vacuité. Jack Vance, à la
fin de sa Geste des Prince Démons, se retrouve avec un héros
qui a accompli cinq exploits considérables en détruisant cinq
pirates intergalactiques qui lui avaient fait du tort (détruit son
village, massacré sa famille, la routine du genre, quoi). La façon
habile et ingénieuse dont Kirth Gersen, le héros, assouvit sa
vengeance fait à chaque fois l'objet d'un roman. Et la fin, chez
lui, justifie tous les moyens. Arrive néanmoins le moment où Gersen
est arrivé au bout de sa quête revancharde, et… Et rien. Son
vaisseau spatial repart vers le soleil couchant, notre héros se
demande ce qu'il va devenir maintenant que sa vie n'a plus aucun sens
et le récit s'achève en deux lignes. On pourrait l'imaginer se jetant dans la naine blanche la plus proche, ou avoir un tome où il
réapprend à vivre (ou pas) mais Jack Vance, dans cette série, est
un auteur de récits d'aventures assez pulp et
un peu picaresques*.
Il n'est ni dans l'introspection, ni dans le drame, et ne veut pas
basculer dans un autre genre. D'où une fin trop rapide et un peu
décevante. Mais qui, en creux, pose excellemment le problème de
l'après.
Car une fois la
vengeance accomplie, que faire ? Que devenir ? Peut-on
vraiment retourner cultiver son jardin, ou ne risque-t-on pas de
rester durablement marqué, un peu à la manière de William Munny
dans Impitoyable (Unforgiven, 1992) ? Le Punisher,
anti-héros des Marvel Comics, mais aussi Daredevil ou Batman ont
trouvé une autre solution : après avoir éventuellement tiré
vengeance des meurtriers de leurs proches, ils poursuivent une
croisade préventive, dans l'idée d'empêcher qu'un tel drame arrive
à d'autres. Ils restent des anges vengeurs, et leur vengeance est
devenu plus abstraite, plus collective, elle devient un principe, et
chaque voyou abattu ou mis derrière les barreaux n'est plus une fin
en soi, mais un maillon d'une chaîne, de l'eau reversée au moulin
des vengeances.
*La fin de son cycle de Tschaï est tout aussi expédiée, d'ailleurs, même si la vengeance n'est pas le moteur des aventures d'Adam Reith, qui tente avant tout de survivre dans un environnement étranger, mais dont l'aventure s'arrête en une page dès lors qu'il a réussi à s'enfuir.
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