Accéder au contenu principal

Juste répartition : à Christophe, le moine, à John, les nonnes

Ce titre énigmatique (en tout cas, énigmatique pour ceux qui n'ont pas le même sens de l'humour idiot que moi, ou qui n'aiment pas les mêmes doubleurs, ou qui ne connaissent pas les mêmes chanteurs morts) n'a comme il se doit aucune espèce de rapport avec le contenu de ma vaticination du jour.

Mon sujet, là, c'est la vengeance. Non que j'aie des comptes à régler avec qui que ce soit (en tout cas officiellement. et vous ne connaîtrez le contenu de mon petit carnet noir que quand il SERA TROP TARD HAHAHAHAHA) (hurmf) (pardon)… Non, je voulais vous parler de la vengeance en tant que motif narratif. Donc, voici un petit extrait de notes tirée de mes autres carnets secrets (ceux d'une autre couleur que le petit carnet noir)(faut suivre, des fois).


Parmi les sujets de base de la fiction et du récit (qui sont cinq, ou sept, ou onze, ou tout autre nombre du même genre selon le théoricien auquel on demande quels sont les sujets possibles), la vengeance tient une bonne place. De façon explicite ou plus discrète, elle est au cœur de nombre des grands univers et récits de fiction.

Le motif est ancien, très ancien, et l'Iliade elle-même peut se lire comme un récit de vengeances croisées devenues une machine de mort infernale et mortifère à laquelle seul Priam tente d'échapper dans une fort belle scène de conciliation, et à laquelle tous les autres participants semblent se soumettre de leur plein gré au nom de leur conception de l'honneur.

Par la suite, le Comte de Monte Cristo ou les aventures de Lagardère ont démontré que la vengeance se portait bien et fournissait des motifs faciles aux auteurs de romans populaires. Le J'aurai ta Peau de Mickey Spillane, plus récent, annonce carrément la couleur dès son titre (son titre français. le titre US, I, the Jury, est plus subtil quand il fait passer le même message).

Le motif de la femme outragée ou violée dont la vengeance est à la hauteur du crime est tellement classique (et cliché) que le rape revenge est devenu un genre en soi dans le cinéma d'exploitation. Le film Kill Bill, qui s'en veut l'héritier, exploite ce motif de la vengeance atroce d'une femme à qui on a fait subir l'une ou l'autre variation du « sort pire que la mort », l'euphémisme classique du viol dans ces cas-là, et qui fait montre de grandes prédispositions au carnage et au sadisme.

Mise à l'échelle

Pourtant, la vengeance est, je trouve, très peu intéressante dramatiquement. Elle doit pour parvenir à m’intéresser être soit démesurée, soit au contraire s’enfoncer dans la plus parfaite mesquinerie.
Trouver le juste dosage est dès lors délicat, quand il s'agit justement d'être dans un déséquilibre fondamental. La mariée vengeresse de Kill Bill (2003-04) ne s'arrête à aucun massacre pour atteindre la poignée de personnes qui lui a fait du tort : les tueries débordent largement de son objectif initial, comme le démontre la bataille rangée à la « maison des feuilles bleues », cet improbable duel d'une femme contre toute une armée. À l'inverse, la revendication du protagoniste de Payback (1999) (il s'appelle Porter, dans le film, mais le personnage est adapté du Parker de Richard Stark) porte sur une somme dérisoire au regard des enjeux financiers qu'il vient perturber, mais il en fait une affaire de principe, et va démanteler une organisation mafieuse pour récupérer ce que, selon lui, ses adversaires lui doivent.

On ignore ce qui motiva les querelles des Hatfield et des McCoy (ou de leurs descendants de papier, les O'Timmins et les O'Hara des Rivaux de Painful Gulch), mais leurs vengeances croisées ont lancé un cycle de vendetta, de vengeance ritualisée, familiale et éternelle, dont chaque participant se retrouve partie prenante qu'il le veuille ou non. La vengeance peut dès lors s'étaler dans le temps et l'espace, et seule l'extermination d'un des clans pourrait éventuellement l'arrêter.

Parmi les vengeances les plus démesurées qui soient, on retrouve celle de Paul Atreides dans Dune, abattant un empire galactique millénaire et précipitant l'univers dans un djihad pour punir ceux qui avaient comploté pour abattre sa famille. Son action dépasse le shakespearien pour toucher au cosmique, et il faudra plusieurs millénaires à ses descendants pour en payer les conséquences.

Service après-vente

L’autre problème de ce thème narratif, c’est qu’ une fois la vengeance accomplie, il reste à traiter le vrai sujet : sa vacuité. Jack Vance, à la fin de sa Geste des Prince Démons, se retrouve avec un héros qui a accompli cinq exploits considérables en détruisant cinq pirates intergalactiques qui lui avaient fait du tort (détruit son village, massacré sa famille, la routine du genre, quoi). La façon habile et ingénieuse dont Kirth Gersen, le héros, assouvit sa vengeance fait à chaque fois l'objet d'un roman. Et la fin, chez lui, justifie tous les moyens. Arrive néanmoins le moment où Gersen est arrivé au bout de sa quête revancharde, et… Et rien. Son vaisseau spatial repart vers le soleil couchant, notre héros se demande ce qu'il va devenir maintenant que sa vie n'a plus aucun sens et le récit s'achève en deux lignes. On pourrait l'imaginer se jetant dans la naine blanche la plus proche, ou avoir un tome où il réapprend à vivre (ou pas) mais Jack Vance, dans cette série, est un auteur de récits d'aventures assez pulp et un peu picaresques*. Il n'est ni dans l'introspection, ni dans le drame, et ne veut pas basculer dans un autre genre. D'où une fin trop rapide et un peu décevante. Mais qui, en creux, pose excellemment le problème de l'après.

Car une fois la vengeance accomplie, que faire ? Que devenir ? Peut-on vraiment retourner cultiver son jardin, ou ne risque-t-on pas de rester durablement marqué, un peu à la manière de William Munny dans Impitoyable (Unforgiven, 1992) ? Le Punisher, anti-héros des Marvel Comics, mais aussi Daredevil ou Batman ont trouvé une autre solution : après avoir éventuellement tiré vengeance des meurtriers de leurs proches, ils poursuivent une croisade préventive, dans l'idée d'empêcher qu'un tel drame arrive à d'autres. Ils restent des anges vengeurs, et leur vengeance est devenu plus abstraite, plus collective, elle devient un principe, et chaque voyou abattu ou mis derrière les barreaux n'est plus une fin en soi, mais un maillon d'une chaîne, de l'eau reversée au moulin des vengeances.













*La fin de son cycle de Tschaï est tout aussi expédiée, d'ailleurs, même si la vengeance n'est pas le moteur des aventures d'Adam Reith, qui tente avant tout de survivre dans un environnement étranger, mais dont l'aventure s'arrête en une page dès lors qu'il a réussi à s'enfuir.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le grand méchoui

 Bon, l'info est tombée officiellement en début de semaine : Les Moutons électriques, c'est fini. Ça aura été une belle aventure, mais les événements ont usé et ruiné peu à peu une belle maison dans laquelle j'avais quand même publié dix bouquins et un paquet d'articles et de notules ainsi qu'une nouvelle. J'ai un pincement au coeur en voyant disparaître cet éditeur et j'ai une pensée pour toute l'équipe.   Bref. Plein de gens me demandent si ça va. En fait, oui, ça va, je ne suis pas sous le choc ni rien, on savait depuis longtemps que ça n'allait pas, j'avais régulièrement des discussions avec eux à ce sujet, je ne suis pas tombé des nues devant le communiqué final. Qu'est-ce que ça veut dire concrètement ? Que les dix bouquins que j'évoquais plus haut vont quitter les rayonnages des libraires. Si vous êtes en retard sur Cosmonautes ! ou sur Le garçon avait grandi en un gast pay s, notamment, c'est maintenant qu'il faut aller le...

Writever janvier, part 1

 Tiens, ça faisait longtemps que j'avais pas participé au Writever. J'avais lâché l'affaire au moment où la connexion internet était devenue un enfer. Comme c'est un exercice marrant, et qui m'a bien aidé à des moments où j'avais des pannes d'écriture, c'est pas plus mal de m'y remettre. Le thème, "fucking tech!", à un moment où Musk est sur les rangs pour devenir maître du monde, c'est peut-être de saison. 1- Réaliste "Soyez réaliste, on ne peut pas avoir cette option, c'est trop de complications et de risques." C'est comme une âme en peine qu'il ressorti de la boutique PinApple. Ce n'était pas encore avec cette génération-là qu'il pourrait faire de l'irish coffee avec son smartphone. 2- Accessoire On a accessoirisé les machines, on passe aux utilisateurs. Les écouteurs et la montre turboconnectés? Ringard. Maintenant il y a le contrôleur dentaire, trois dents sur pivots qu'on titille de la langu...

Par là où tu as pêché

 Ma lecture du moment, hors comics et trucs pour le boulot (et y en a des palanquées, de ça), ça aura été The Fisherman , de John Langan, apparemment la grosse sensation de cet hiver. Un roman épais à la jolie couverture, dont le pitch est simple : c'est l'histoire d'un mec qui va à la pêche pour oublier ses soucis personnels. Bon, en vrai, c'est sa manière de gérer le deuil, et le vrai thème, il est là. Notre protagoniste a perdu sa femme d'un cancer et en reste inconsolable. La pêche, c'est son moyen de ventiler tout ça, sans pour autant régler le problème. Il écume les rivières de la région, les Catskills, une zone montagneuse dans l'arrière-pays de New York. Un beau jour, il embarque avec lui un collègue qui a perdu sa famille dans un accident de voiture et le vit encore plus mal. J'en dis pas plus pour l'instant. John Langan, l'auteur, est assez inconnu par chez nous. C'est son deuxième roman, il a par contre écrit une palanquée de nouve...

Executors

 Dans mon rêve de cette nuit, j'étais avec un groupe d'amis dans un café, quand un bus scolaire s'est rangé devant. En descend une espèce de proviseur aux faux airs de Trump, et une cohorte de mômes en uniforme scolaire à la con, type anglais ou japonais, ou école catho peut-être : blasers, jupes plissées, écussons. Le proviseur fait "allez-y, faites le ménage" et les mômes sortent des Uzi et des fusils à pompe. Ils défoncent tous ceux qui sont attablés en terrasse. On arrive à se planquer sous les tables avec mon groupe, et on s'enfuit par la porte de derrière sans demander notre reste. Pas question de jouer les héros face à ces écoliers au regard vide. On zigzague dans des ruelles, mais chaque fois qu'on retombe sur une avenue, des bus scolaires s'arrêtent et vomissent leur contenu de gamins en uniforme. L'accès à la gare du métro aérien est coupé. On voit des cadavres ensanglantés dévaler les marches. En haut, c'est la fusillade. Dans les ru...

Au ban de la société

 Tiens, je sais pas pourquoi (peut-être un trop plein de lectures faites pour le boulot, sur des textes ardus, avec prise de note) j'ai remis le nez dans les Justice Society of America de Geoff Johns, période Black Reign . J'avais sans doute besoin d'un fix de super-héros classique, avec plein de persos et de pouvoirs dans tous les sens, de gros enjeux, etc. Et pour ça, y a pas à dire JSA ça fait très bien le job. La JSA, c'est un peu la grand-mère des groupes super-héroïques, fondée dans les années 40, puis réactivée dans les années 60 avec les histoires JLA/JSA su multivers. C'étaient les vieux héros patrimoniaux, une époque un peu plus simple et innocente. Dans les années 80, on leur avait donné une descendance avec la série Infinity Inc . et dans les années 90, on les avait réintégrés au prix de bricolages divers à la continuité principale de DC Comics, via la série The Golden Age , de James Robinson et Paul Smith, qui interprétait la fin de cette époque en la...

À la Dune again

 Bon, je viens de finir Dune Prophecy, la série télé dans l'univers de Dune , conçue pour être raccord avec les films de Villeneuve. Et, forcément, je suis partagé. Comme toujours avec ce genre de projets, on peut y trouver autant de qualités que de défauts. La production value est chouette, ça essaie de coller à l'esthétique des films, le casting est plutôt bien, c'est pas mal mené, distillant du mystère retors et du plan dans le plan. De ce point de vue, mission accomplie. Après, c'est assez malin pour s'insérer dans la continuité des bouquins de Brian Herbert et Kevin J. En Personne sans les adapter directement, histoire de pouvoir inventorier les trucs moisis. Ça n'y arrive pas toujours, et ça rajoute des idées à la con (des scènes de bar, franchement, dans Dune , quelle faute de goût) et ça reste prisonnier de ce cadre. Mais ça essaie de gérer et de ce point de vue, c'est plutôt habile. Où est le problème ? me direz-vous ? Bon, on en a déjà causé, mais...

La fin du moooonde après la fin de l'année

Edit : Bon, c'est annulé vu la nouvelle qui vient de tomber.      Ah, tiens, voilà qu'on annonce pour l'année prochaine une autre réédition, après mon Cosmonautes : C'est une version un peu augmentée et au format poche de mon essai publié à l'occasion de la précédente fin du monde, pas celle de 2020 mais celle de 2012. Je vous tiens au courant dès que les choses se précisent. Et la couve est, comme de juste, de Melchior Ascaride.

Perte en ligne

 L'autre soir, je me suis revu Jurassic Park parce que le Club de l'Etoile organisait une projo avec des commentaires de Nicolas Allard qui sortait un chouette bouquin sur le sujet. Bon outil de promo, j'avais fait exactement la même avec mon L'ancelot y a quelques années. Jurassic Park , c'est un film que j'aime vraiment bien. Chouette casting, révolution dans les effets, les dinos sont cools, y a du fond derrière (voir la vidéo de Bolchegeek sur le sujet, c'est une masterclass), du coup je le revois de temps en temps, la dernière fois c'était avec ma petite dernière qui l'avait jamais vu, alors qu'on voulait se faire une soirée chouette. Elle avait aimé Indiana Jones , je lui ai vendu le truc comme ça : "c'est le mec qui a fait les Indiana Jones qui fait un nouveau film d'aventures, mais cette fois, en plus, y a des dinos. Comment peut-on faire plus cool que ça ?" Par contre, les suites, je les ai pas revues tant que ça. L...

La fille-araignée

Tiens, ça fait une paye que j'avais pas balancé une nouvelle inédite... Voilà un truc que j'ai écrit y a 6 mois de ça, suite à une espèce de cauchemar fiévreux. J'en ai conservé certaines ambiances, j'en ai bouché les trous, j'ai lié la sauce. Et donc, la voilà... (et à ce propos, dites-moi si ça vous dirait que je fasse des mini-éditions de certains de ces textes, je me tâte là-dessus) Elle m’est tombée dessus dans un couloir sombre de la maison abandonnée. Il s’agissait d’une vieille villa de maître, au milieu d’un parc retourné à l’état sauvage, jouxtant le canal. Nul n’y avait plus vécu depuis des décennies et elle m’avait tapé dans l’œil un jour que je promenais après le travail, un chantier que j’avais accepté pour le vieil épicier du coin. J’en avais pour quelques semaines et j’en avais profité pour visiter les alentours. Après avoir regardé autour de moi si personne ne m'observait, je m’étais glissé dans une section effondrée du mur d’enceinte, j’...

Sonja la rousse, Sonja belle et farouche, ta vie a le goût d'aventure

 Je m'avise que ça fait bien des lunes que je ne m'étais pas penché sur une adaptation de Robert E. Howard au cinoche. Peut-être est-ce à cause du décès de Frank Thorne, que j'évoquais dernièrement chez Jonah J. Monsieur Bruce , ou parce que j'ai lu ou relu pas mal d'histoires de Sonja, j'en causais par exemple en juillet dernier , ou bien parce que quelqu'un a évoqué la bande-son d'Ennio Morricone, mais j'ai enfin vu Red Sonja , le film, sorti sous nos latitudes sous le titre Kalidor, la légende du talisman .   On va parler de ça, aujourd'hui Sortant d'une période de rush en termes de boulot, réfléchissant depuis la sortie de ma vidéo sur le slip en fourrure de Conan à comment lui donner une suite consacrée au bikini en fer de Sonja, j'ai fini par redescendre dans les enfers cinématographiques des adaptations howardiennes. Celle-ci a un statut tout particulier, puisque Red Sonja n'est pas à proprement parler une création de Robert H...