Il y a déjà eu, je
crois, des commentateurs pour rapprocher le début de la saga
Dragonball d'un célèbre roman chinois, le Voyage en Occident
(ou Pérégrination vers l'Ouest)
source principale de la légende du roi des singes (ou du
singe de pierre) (faudrait que les traducteurs du chinois se mettent
d'accord, un de ces quatre). D'ailleurs, le héros des premiers
Dragonball, Son Goku, tire son nom du singe présent dans le roman
(en Jap, bien sûr, sinon c'est Sun Wu Kong) (et là, y aurait un
parallèle à faire avec le « Roi Kong », mais c'est pas
le propos du jour), et Toriyama, l'auteur du manga, ne s'est jamais
caché de la référence (qu'il avait peut-être été piocher chez
Tezuka, auteur en son temps d'une Légende de Songoku).
Le roi des singes,
encore en toute innocence.
Mais l'histoire est
connue : rapidement, le côté initiatique des aventures du
jeune Son Goku disparaît, après l'apparition du premier dragon (et
pour cause : l'initiation est dès lors terminée) et le récit
tourne alors à l'enchaînement de tournois d'arts martiaux, puis de
combats toujours plus épiques contre des adversaires toujours plus
monstrueux. Le côté purement mythologique des premiers épisodes se
serait dilué dans une épopée un peu répétitive.
Mais revenons un peu
sur ces aspects mythologiques, et voyons s'ils se sont vraiment
perdus en chemin.
On l'a vu, le petit
Goku est un avatar du Singe de Pierre, alias le Roi des Singes,
personnage très puissant, mais né sur sa montagne reculée et
découvrant peu à peu le monde absurde des hommes et des dieux, s'y
faisant autant d'amis que d'ennemis. Le singe dispose d'un bâton
magique et du pouvoir de se déplacer sur les nuages, et cela se
retrouve sans surprise dans sa contrepartie dessinée. Par ailleurs,
Goku a une queue de singe, qui le conduit à se transformer en
gorille géant sous l'influence de la lune.
Goku, dans le manga,
est un être assez innocent, naïf et bienveillant qui sort de sa
forêt pour découvrir un monde auquel il n'était pas préparé,
celui des machines, de l'avidité des méchants, et surtout des
filles, un truc qui lui semble bien mystérieux et qu'il n'identifie
pas immédiatement pour ce qu'il est.
La femme, éternel
mystère que Goku s'en va sonder.
C'est là que
s'installe durablement une polysémie. Oui, je sais ce que vous allez
dire, tout de suite les mots compliqués, et polysémie toi même
d'abord. Donc autant que j'explique. Polysémie, cela veut dire qu'il
y a plusieurs significations, en gros. Et que là que, derrière
notre petit Goku, nous découvrons les ombres de plusieurs autres
personnages mythiques en plus du roi des signes. Des singes, pardon.
Mon clavier a tendance à fourcher dès lors que je tape le mot
singe, et c'est peut-être un singe, pardon, un signe d'autre chose.
(c'est ça que signifie précisément le mot « polysémie » :
non pas plusieurs singes, mais plusieurs signes) (si vous voulez vous
servir des singes comme moyen mnémotechnique, par contre, libre à
vous).
Car les filles sont un
signe qui réveille quelque chose chez le singe. Et ça nous renvoie
directement à deux récits beaucoup plus anciens, et qui n'ont rien
de chinois ni de japonais.
Le plus ancien est
l'épopée de Gilgamesh, texte cunéiforme écrit en Akkadien
à la fin de l'âge du Bronze. Elle raconte la quête d'immortalité
d'un roi, quête qui échoue sur le fil après des exploits
incroyables et le massacre de divers monstres. Mais le personnage qui
nous intéresse aujourd'hui n'est pas Gilgamesh lui-même, mais son
meilleur ami Enkidu. Ce dernier est un être bestial et simiesque, né
dans une oasis au milieu du désert mais parti à la découverte du
monde absurde de la ville et des hommes. Et ça lui est arrivé à
cause d'une femme. La découverte de la femme lui fera perdre son
innocence (et une partie de sa force considérable : la
description qu'en donnent les tablettes montre la vigueur avec
laquelle il la découvre longuement, et le tremblement de ses genoux
quand il se relève après une semaine de découverte approfondie)
(la perte au contact d'une femme de l'innocence d'un être né dans
une oasis au milieu du désert est aussi un motif central dans notre
culture, mais la Bible lui donne un sens très différent). La
différence entre Enkidu et Son Soku, c'est que le premier découvre
la femme avant de quitter l'état de nature, et que le second la
découvre après être sorti de la forêt. La coïncidence de motif
pourrait n'être que cela, une coïncidence. Sauf que…
Enkidu, aux oreilles
bestiales (parce qu'on ne peut pas montrer
la queue bestiale en ces
lieux ouverts à tous).
Le récit source plus
récent et plus proche de nous, c'est le roman du Graal, de Chrétien
de Troyes, narrant avec force détails les aventures de Gauvain et
Perceval (c'est pas faux, à une vache près). Et là, c'est après
avoir quitté la cabane de sa vieille mère et sa forêt natale que
Perceval tombe sur une jolie pucelle, qu'il met du temps à
identifier pour ce qu'elle est. La France médiévale n'étant ni le
Japon moderne (où Goku trouve un truc imparable pour savoir ci
quelqu'un est une fille ou pas, en vérifiant par palpation la
présence ou l'absence de roubignoles) ni la Mésopotamie antique (ou
Enkidu montre sa bonté foncière en grimpant une courtisane
consentante, tandis que Gilgamesh montre son état de citadin
corrompu en exerçant son droit de cuissage sur des femmes
terrorisées), les rapports entre Perceval et les diverses pucelles
sont d'une chasteté de bon aloi. Mais le fait demeure, la rencontre
le trouble terriblement, et rend concrète une catégorie (les jeunes
filles) qu'il ne connaissait que par ouï-dire sans avoir la moindre
idée de ce à quoi cela ressemblait concrètement.
Autre point qui
rapproche ces deux héros de Son Goku, leur innocence foncière est
telle que, même quand ils la perdent, ils ne s'en départissent
jamais totalement et restent dès lors des êtres fondamentalement
bons, qui deviennent un modèle pour les autres. Le chevalier rouge
qu'affronte Perceval au départ est un félon, un pillard, un
chevalier brigand. Mais une fois vaincu, il s'en va faire acte de
contrition chez Arthur. De même, si Gilgamesh semble au départ être
un monstre corrompu, il s'assagit très vite au contact d'Enkidu.
Relisez Dragonball
et DBZ, et vous verrez que ce schéma se répète à plusieurs
reprises, des adversaires valeureux comme Vegeta, Krilin ou Yamcha
deviennent au contact de Goku ses camarades indéfectibles.
Et quand un adversaire
est irrécupérable, la puissance d'Enkidu, Perceval et Son Goku est
telle qu'il ne reste pas très longtemps un problème.
Le Moïse de service.
Après, les origines de
Goku ne vont pas sans rappeler celles de Moïse, d'Actarus et de
Superman, mais ça pourrait faire l'objet d'un autre papier, c'est
pas le sujet du jour.
Parce qu'on va plutôt
revenir sur l'aspect guerrier de notre héros, qui est en fait une
sorte de demi-dieu : il est fils humanisé d'êtres très
puissants vivant sur un autre monde, les Saiyens ou Saiyans, d'où sa
queue de singe d'ailleurs, ainsi que sa propension, en grandissant, à
des contorsions musculaires lui permettant de mettre en branle toute
son énergie vitale.
Mais allons à présent
faire un tour en Irlande, et penchons-nous sur un vieux texte, la
Razzia des vaches de Cooley (oui, dit comme ça, ça fait pas
rêver, mais en Irlande médiévale, les « Tain Bo »,
ou récits de pillages de troupeaux étaient la forme épique
fondamentale, faut faire avec) et son héros le grand guerrier
Cúchulainn (lui aussi frappé en
quelque sorte d'animalité comme Enkidu et Goku, puisque son nom
signifie « le chien de Culann », Culann étant un
forgeron du coin et y a une histoire à la clé, mais ce sera pour
une autre fois). Comme Achille (on y reviendra d'ailleurs tout à
l'heure) Cúchulainn est un héros guerrier et tragique, promis aux
plus grands exploits en échange d'une vie brève. Sa mort est
d'ailleurs le truc le plus badass
du monde, à côté de quoi la fin du Braveheart
avec Mel Gibson fait kermesse de patronage. Jugez du peu :
blessé au ventre, ses entrailles commençant à dégouliner (c'est
là que Mel Gibson baisse le rideau en gueulant, souvenez-vous),
Cúchulainn se redresse, fait « je veux mourir debout »,
avise un menhir tout proche et s'y attache avec sa longue ceinture de
cuir, qui lui permet de maintenir au passage la tripaille qui
déborde. Il prend ensuite une épée dans chaque main et fait à ses
ennemis : « maintenant, venez. » Même Tony Montana
a un côté légèrement petit joueur en comparaison.
La lumière de héros.
Ça pulse.
Mais,
et vous me l'objecterez avec raison, même si ça bastonne ferme dans
DBZ, il n'y a quand
même pas de tripaille à l'air. Et en fait, si je vous citais
l'histoire de la razzia des vaches, c'est pour un autre passage, que
je vais carrément vous citer en grand :
« Ses
premières contorsions vinrent alors à Cúchulainn et il se rendit
horrible, multiforme, monstrueux, étrange. Ses jambes tremblèrent
en lui comme un arbre contre le courant d'un fleuve, ou comme un fétu
de paille contre le courant ; tremblèrent tous ses membres depuis le
sommet de la tête jusqu'au sol. Il fit le jeu méchant du pillard
avec son corps au milieu de sa peau. Ses pieds, ses cuisses et ses
genoux vinrent derrière lui. Ses talons, ses mollets et ses jambes
vinrent devant lui. Les muscles de ses mollets lui vinrent sur le
devant des jambes et chaque nœud en était aussi gros que le poing
fermé d'un guerrier. Il étendit les muscles de son crâne si bien
qu'ils furent dans le creux de la nuque, si bien que c'était aussi
grand qu'un enfant d'un mois qu'était chaque protubérance, immense,
innombrable, sans égale et sans mesure. […] Il s'enfonça l'un de
ses yeux dans la tête de telle façon que, de sa joue, un héron
aurait eu du mal à l'atteindre au fond de son crâne. L'autre œil
jaillit si bien qu'il fut dehors sur sa joue. Sa bouche se
contorsionna de façon étrange. Il sépara sa joue de l'os de la
mâchoire si bien qu'on lui vit le gosier. Ses poumons et ses
bronches vinrent voler dans sa bouche et dans sa gorge. […] La
lumière du héros se leva sur son front et il fut aussi long et
aussi épais qu'une pierre à aiguiser de guerrier, et il était
aussi long que son nez. Il devint fou furieux. »
Et là, franchement, si
vous n'avez pas l'impression de lire la description particulièrement
fleurie d'un super-saiyan (ou à défaut, d'un Ken le Survivant de
calibre réglementaire), je ne sais pas ce qu'il vous faut. Et notez
que ce n'est qu'à la fin du truc qu'il devient fou furieux. Avant,
il était juste agacé. Le petit Nicolas S. de Neuilly, c'est un
grand calme impavide, en comparaison. Même Hulk est un peu
tranquillou. Par contre, quand vous regardez les muscles cubiques des
héros de DBZ et la « lumière du héros » qui jaillit
d'eux, avouez que ça prête à comparaison. Et dans un autre
passage, on décrit dans des circonstances analogues ses cheveux qui
se dressent sur sa tête. Et là où c'est rigolo, c'est que si en
temps normal, il a les cheveux bruns aux racines, roux au milieu et
blonds aux pointes (les Celtes se décoloraient à l'aide d'un
onguent à base d'urine, et c'est vrai que dit comme ça, ça fait un
peu footballeur, comme teinte), quand il s'énerve, ils sont
uniformément dorés. Un super-saiyan, je vous dit.
Et là, ça commence à
blaster carrément.
Et là, ça nous
renvoie d'ailleurs à Achille (je vous avais bien dit qu'on y
reviendrait), protagoniste très connu de l'Iliade d'Homère,
qui si ses démonstrations de rage sont moins spectaculaires, fait
quand même les gros yeux quand il s'énerve, émet une flamme
lumineuse par le front à cette occasion, et a les cheveux qui
deviennent blonds (xanthos, en grec, c'est bon à savoir si vous
voulez cartonner au Scrabble), alors qu'en temps normal il est
plutôt châtain (oui, vous allez me dire que châtain c'est peut-être bien la même
racine que xanthos, mais c'est Cúchulainn
qui se décolore pas les racines, j'ai dit, faut suivre des fois).
Slaine, autre guerrier
celte avec des muscles pas prévus dans le manuel.
Voilà, tout ça pour
démontrer qu'il y a des imageries qui traversent le temps et
l'espace, qui ressurgissent là où on ne les attend pas.
La prochaine fois, je
vous raconte comment Naruto, en vrai c'est le Roman de
Renard. Non, je déconne, j'en sais strictement rien, j'ai pas
été vérifier. Mais allez savoir, tiens.
Article publié en 2015 sur Comics Sanctuary
Commentaires
C'est fou qu'il n'y ai jamais eu d'adaptation cinématographique de ce récit, non ?
...
Attendez.
Un couple s'engueule pour savoir qui a apporté le plus de pognon dans le mariage.
Ils finissent par compter leurs avoirs respectifs et finissent en dénombrant le bétail.
Aha, c'est monsieur qui gagne, grâce à son taureau brun de concours !
Madame ralichone sévère et décide d'aller piquer le taureau blanc de Cooley car, ça tombe bien, les hommes du coin sont réduit à l'incapacité par une malédiction qui leur fait ressentir les douleurs de l'accouchement... Ouais, ils se tordent de douleurs en se tenant le bide. Mais Cuchulain est là et fait le taf ! Madame fait des avances éhontées au héros pour qu'il bosse pour elle et lui ramène le bestiaux. Il l'envoie chier. Madame, vexée comme un pou, va se plaindre à son mari et les deux unissent leurs force parce qu'on parle pas mal comme ça de Madame.
Guyvonarc'h peut faire de l'acrobranche en commentaire tant qu'il veut pour expliquer que déterminer qui a le plus d'avoir revient à déterminer qui est le chef du ménage ET DONC du royaume, vu que Monsieur et Madame sont les rois du Connemara, IL N'EMPECHE QUE tout ceci a le coté épique d'un épisode de Derry Girl. Mais peut-être suis-je légèrement influencée par le fait que le nom de la reine, Medb, se prononce Mève, comme Maeve, la mère de famille dans ce sympathique feuilleton absolument pas épique du tout.
- Alors c'est un fermier qui a épousé une déesse et ils vivent heureux jusqu'à ce que...
- Cool, et ils s'appelent commment ?
- Crunnchú et Macha
- ...
- Ouais, non, je sais pas non plus comment ça se prononce. Donc ils vivent heureux jusqu'à ce que ce soit la grande rassemblées des Ulates
- ...qui ?
- Les gens d'Ulster
- ...On va garder ça comme nom.
- Et là Crunnchù peut pas fermer sa gueule et vante les qualités de sa femme, ce qui va facher celle-ci qui se barre !
- Classique. Le mari qui vante son épouse-fée, la fée se fache, classique.
- Oui, mais non car en fait le roi fait une démo de course de cheval et Crunnchù est là, en mode "aha, ma femme elle fait mieux que ça !" alors le roi est en mode "AH ouais ?" et Crunnchù est en mode "Ah ouais !" et Macha est en mode "les gars, je suis enceinte jusqu'aux yeux, merde quoi" et le roi est en mode "rien à foutre ! Vas-y courre un peu qu'on rigole" et Macha courre et GAGNE LA COURSE
- Enceinte jusqu'aux yeux ? A l'écrit, ça passe, mais je vois pas trop comment rendre ça à l'écran : une meuf, enceinte jusqu'aux yeux, qui gagne la course contre des chevaux ?
- J'avoue... Mais c'est pas fini : à la fin de la course, elle accouche sur la ligne d'arrivée de jumeaux : un garçon et une fille !
- Des archers ? Le soleil et la lune ?
- J'en sais rien, non, pourquoi ?
- Oh comme ça...
- Bon, je reviens à mon histoire : et là, Macha, ses jumeaux dans les bras, se relève furieuse et lance au roi d'Ulster et à toute sa cour que puisqu'ils l'ont forcé à courir enceinte, ils souffriront les douleurs de l'enfantement quatre jour et cinq nuit et HURLE sa malédiction !
- Avec les gamins dans les bras ? Ils sont sourd ensuite !
- ...Et donc la malédiction des Ulates, c'est ça : chaque fois que l'Ulster est menacée, ses guerriers sont au lit, en train de se tordre de douleur en se tenant le bide !
- ...
- ...badass, non ?
- ...franchement, je sais vraiment pas ce que ça donnerait à l'écran.
Mélusine surprise au bain qui se fache tout rouge et fait trois fois le tour du château de Lusignan sous sa forme mi-femme mi serpente et sur un nuage bleu bordé d'or et d'argent en maudissant Renaud et en promettant que tout ce qu'elle a bati pour lui s'effondrera pierre à pierre, ça peut tout autant donner un truc bien vénère ou bien ridicule