Cette aventure du Bateleur, j'ai hésité à la poster. Parce qu'elle n'est pas terminée. J'ignore si elle le sera jamais, d'ailleurs, vu qu'hormis une petite passe de corrections, je n'ai pas avancé dessus depuis une bonne quinzaine d'années. Pourquoi l'ai-je laissé en plan ? Est-ce que l'histoire de fantôme me semblait trop banale, ou que je n'avais pas la clé de l'exorcisme que pratiquerait le Bateleur ? Aucune idée, en fait.
Comatec se piquait deux fois par jour.
Deux fois par jour, il mesurait sa glycémie, sortait son insuline du frigo, tirait douze unités qu’il s’injectait de façon quasi machinale.
Car Comatec était diabétique.
Comatec était aussi un tueur.
Ce matin-là, il se fit sa piqûre, sortit de son appartement et descendit dans le métro. Il prit la ligne 3 jusqu’à Opéra et suivit la foule jusqu’au hall du R.E.R.. De là, il passa à nouveau les tourniquets, se posta dans un angle, juste devant les ascenseurs et attendit.
Une rame de R.E.R. arriva en station, dégorgea ses passagers et repartit. Une foule compacte se dirigea vers les ascenseurs. Comatec détailla les visages mais ne bougea pas de son poste d’observation. Il gardait son journal plié sous le bras et se tenait adossé au mur, stoïque.
Une deuxième rame lâcha sa cargaison de banlieusards. Un visage familier dans la foule, Comatec se redressa.
- Cordier !
L’interpelé se retourna, haussant le sourcil.
- Monsieur ?
Et il avança, juste dans l’angle mort des caméras de surveillance. Comatec brandit son journal. Le pistolet à ressort cracha son aiguille au curare. Cordier s’adossa au mur, l’œil hagard.
Comatec tourna le dos et remonta le tapis roulant jusqu’aux autres ascenseurs, ressortit place de l’Opéra et prit le boulevard des Italiens jusqu’à Richelieu Drouot.
Il avisa une cabine téléphonique.
- C’est moi. C’est fait. Paiement comme convenu.
Et il raccrocha.
La matinée s’annonçait belle. Comatec entra dans un bistrot, commanda un café et, pendant qu’il refroidissait, descendit dans les toilettes pour discrètement démonter son arme. Il rangea les morceaux dans la poche intérieure de sa veste de cuir.
Comatec était un garçon méthodique.
Il ne rentra pas directement chez lui. Il préférait aller traîner un peu, après le boulot. Les Halles, Saint-Michel ou les Champs, suivant l’humeur. Il sauta dans un bus qui l’emmena jusqu’aux jardins Luxembourg. Assis sur un banc, non loin du Sénat (où l'un de ses ex-commanditaires tentait de faire voter un amendement), il fuma lentement une cigarette, puis une deuxième, une troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que le paquet soit vide. Alors il redescendit sur le boulevard, jusqu’à la Seine, et il reprit un bus jusqu’à Réaumur, d’où il rentra chez lui.
Quand il redescendit pour prendre le journal du soir, il s’arrêta devant une poubelle à l’angle de sa rue. L’enveloppe était scotchée à l’intérieur, contenant -on le sentait au toucher- deux épaisses liasses de billets. Quarante billets de cent chaque si le commanditaire était régulier.
Le reste de la journée se passa sans incident, ce qui n'était pas pour lui déplaire.
Car Comatec n'aimait pas les surprises.
Mais la nuit ne se passa pas sans mal.
Comatec dormait. De ce qu’on aurait pu appeler le sommeil du juste, ce sommeil réparateur auquel Comatec estimait avoir droit étant un artisan consciencieux.
Un bruit le réveilla pourtant.
Un bruit infime, un presque rien. Un craquement, tout au plus. Un chuchotis, un souffle. Tout cela à la fois, peut-être. Un bruit à la limite du seuil d’audibilité. Un bruit qui réveilla Comatec en sursaut.
Il se dressa dans son lit, jeta un regard circulaire dans sa chambre et, apparemment satisfait de l’examen, se rallongea. Mais il ne se rendormit pas : au bout de quelques instants, il se leva, alla voir dans la cuisine et regarda partout. La salle de bain subit le même examen, puis le salon.
C’est en passant devant le miroir qu’il sursauta. Dans la glace, ce n’était pas lui qui se regardait, mais Cordier, qui le fixait intensément.
Comatec n’était pourtant pas un garçon impressionnable.
Il mit le phénomène sur le compte de la fatigue, de l’usure du métier… Mais n’arriva pas à se rendormir. Sur toutes les surfaces polies, sur les vitres du meuble de hi-fi, sur les carreaux de la fenêtre, sur le métal de son trophée sportif… Partout, le visage de Cordier le regardait.
Comatec plongea la tête sous l’oreiller pour y échapper. Il se rendormit dans cette atmosphère moite et chaude.
Le lendemain matin, il se réveilla de fort mauvaise humeur. Il descendit au troquet du coin, y demanda le Parisien et un expresso / verre d’eau / croissant, mais n’arriva pas à se concentrer sur les faits divers sordides ou ridicules qui s’étalaient à longueur de colonnes. Il laissa la moitié de son café et repartit se perdre en ville. Il espérait que la torpeur mécanique qui envahit le marcheur au bout de quelques kilomètres calmerait ses nerfs à vif.
Peine perdue : passé midi, il était d’une humeur massacrante et avait failli frapper un tzigane qui faisait la manche vers les Tuileries. Finalement, il rentra chez lui et pris deux Lexomil qu’il fit passer avec un grand verre du marc de raisin distillé par son grand-oncle.
L’après-midi se termina d’une façon cotonneuse. Comatec se leva et s’aperçut que ses mains tremblaient. Vit le reflet de Cordier dans une vitre… Et s’effondra en larmes.
Comatec se croyait un homme fini.
- Eh bien Karel, tu en fais une tête, on croirait que tu as vu un fantôme.
Comatec lâcha un sourire mauvais.
- Et si c’était vraiment ça ? Tu aurais l’air malin, monsieur Wire.
La nuit était tombée depuis longtemps. Comatec avait émergé d’un état semi-comateux au coucher du soleil et était redescendu en ville. Ses pas l’avaient conduit vers Odéon. Là il s’était décidé à rendre visite à monsieur Wire, un hacker professionnel de sa connaissance. Wire était un reclus qui ne vivait plus que par écrans interposés, ne voyant plus le monde que sous forme de pixels lumineux et de vitre de congélateurs, quand il se décidait à descendre acheter quelques surgelés.
- Si tu as vraiment vu un fantôme, vieux, ce n’est pas à moi qu’il faut t’adresser, lui répondit le pirate en rajustant ses lunettes polarisantes.
- Comment ça, Wire, tu connais un spécialiste ?
- Peut-être bien. Passe donc à Beaubourg, le type en question jongle souvent là-bas, pour ce que j’en sais.
- Putain, Wire, j’ai des problèmes et tu m’aiguilles sur un de ces marginaux de merde ?
- Si tu le prends de haut, alors démerde-toi et laisse-moi bosser.
L’instant d’après, Comatec était dans la rue, ne sachant plus quoi faire. Il ne croyait pas aux fantômes, et encore moins aux charlatans. Alors qu’un type aussi ancré dans son époque que Wire lui conseille d’aller voir un quelconque bateleur, ça le dépassait.
Traversant la Seine, il laissa ses pas le conduire jusqu’au centre culturel. Il n’y avait là qu’un seul jongleur, un type assez large, vêtu de cuir fatigué, aux cheveux ras.
- Hem… Un ami m’a dit que je pouvais trouver un spécialiste des fantômes, par ici.
- Faudrait en parler à l’autre dingue, ça pourrait le faire marrer.
- L’autre dingue ?
- Il doit être rue Quincanpoix, à se faire payer des bières.
- Et il ressemble à quoi, votre dingue ?
- Un grand maigre avec une queue de cheval, à peu près habillé comme moi.
Comatec repartit vers la rue Quincanpoix, de moins en moins sûr de lui.
C’est dans une espèce de bouge mal éclairé qu’il finit par le trouver. L’homme était accoudé au comptoir, en pleine discussion avec un genre d’étudiant attardé, un jeune homme poussiéreux au regard rêveur.
- Hum, excusez-moi…
L’homme à queue de cheval haussa le sourcil, l’étudiant essuya ses lunettes.
- Je… J’ai été envoyé par monsieur Wire.
- Et comment va-t-il ?
- Comme d’habitude, répondit Comatec avec un haussement d’épaules. Pizza et réseaux.
- Et que me veut-il ?
- C’est moi le demandeur. Wire m’a signalé que vous pouviez m’aider.
- Ah tiens ? Quel est votre problème ?
- Eh bien… Vous croyez aux fantômes ?
L’étudiant à lunettes rajusta son blouson.
- On en rediscutera à un meilleur moment, lâcha-t-il au jongleur.
Et il sortit en laissant de quoi payer les deux bières.
- Alors, dites-moi tout.
- Je… Je suis poursuivi par une image.
- Une image, fit le Bateleur. De quel genre ?
- L’image d’un…
Comatec prit une inspiration.
- L’image d’un homme mort.
Le Bateleur fit signe au barman de ramener deux bières. Comatec repoussa la sienne.
- D’un homme que vous avez tué, compléta le jongleur.
- Pardon ?
- Cela se lit dans vos yeux.
Comatec ne répondit pas, se contentant de baisser la tête.
- Je vais néanmoins vous aider.
Le Bateleur finit sa bière et entama celle que son interlocuteur avait refusée.
- Vous me devrez un service en échange, bien entendu.
- Un service… Bien sûr. Quel genre de service ?
- Je ne sais pas encore. Vous me devrez ce service. Quand j’en aurai besoin je ferai appel à vous.
Quelques instants plus tard, Comatec et le Bateleur arrivaient devant l’appartement du tueur. Le jongleur contempla intensément l’immeuble, semblant humer l’air nocturne. Puis il fit un signe de tête à son compagnon et ils entrèrent. Le Bateleur ne prononça pas un mot pendant qu’ils montaient les escaliers. Ils pénétrèrent dans l’appartement et là encore le Bateleur se fit observateur, froidement critique. Et là encore il huma l’air autour de lui.
Puis il s’assit dans le canapé, l’air songeur.
- Vous avez du métier, non ?
- Pardon ?
- Du kilométrage, je veux dire… Ce n’était pas votre premier… contrat ?
- Non, pas le premier, répondit Comatec.
Le Bateleur fit la moue.
- Votre fantôme n’est pas seul.
- Vous êtes médium ? Ou bien garagiste ? J’arrive pour faire régler les freins et vous voulez changer le carbu, c’est ça ?
Le Bateleur esquissa un sourire.
- Non. Le seul fantôme à poser problème est le dernier. Les autres n’ont pas été surpris de finir comme ça. Ils connaissaient les règles du jeu. Pas lui.
- Pardon ?
- Qui était-ce ?
Comatec haussa les épaules.
- Je n’en sais rien. J’ai reçu l’enveloppe, comme d’habitude, et j’ai rempli le contrat.
Le Bateleur se releva et se dirigea vers la porte.
- Alors cherchez à savoir. Et quand vous saurez, revenez me voir. On me trouve généralement devant Beaubourg.
Comatec ne savait plus quoi penser.
Le jongleur de lui inspirait qu’une confiance très limitée. Il avait, il est vrai, fait un certain nombre de déductions habiles. Mais Comatec n’aimait pas traiter avec ce genre de personnages. Et pourtant…
Pourtant, il avait mis le doigt sur un point intéressant. Cordier n’avait pas le profil des contrats habituels. Trop tranquille. Trop normal. Et surtout, pas assez traqué. Cordier n’était pas un truand, pas un espion, pas une balance, pas même un comptable véreux, Cordier n’était personne. Comatec se décida à téléphoner à Monsieur Wire.
- Michel Cordier, mort hier matin. Je veux tout savoir. Qui il était, ce qu’il faisait, s’il était dans des coups tordus.
- Tu te remets au boulot ? Ça va mieux ?
- Non, justement. Mais ton jongleur m’a aiguillé…
- Je te rappelle dans une heure.
… à suivre ?
Illustration, Laurent Kircher
Lignes
Comatec se piquait deux fois par jour.
Deux fois par jour, il mesurait sa glycémie, sortait son insuline du frigo, tirait douze unités qu’il s’injectait de façon quasi machinale.
Car Comatec était diabétique.
Comatec était aussi un tueur.
Ce matin-là, il se fit sa piqûre, sortit de son appartement et descendit dans le métro. Il prit la ligne 3 jusqu’à Opéra et suivit la foule jusqu’au hall du R.E.R.. De là, il passa à nouveau les tourniquets, se posta dans un angle, juste devant les ascenseurs et attendit.
Une rame de R.E.R. arriva en station, dégorgea ses passagers et repartit. Une foule compacte se dirigea vers les ascenseurs. Comatec détailla les visages mais ne bougea pas de son poste d’observation. Il gardait son journal plié sous le bras et se tenait adossé au mur, stoïque.
Une deuxième rame lâcha sa cargaison de banlieusards. Un visage familier dans la foule, Comatec se redressa.
- Cordier !
L’interpelé se retourna, haussant le sourcil.
- Monsieur ?
Et il avança, juste dans l’angle mort des caméras de surveillance. Comatec brandit son journal. Le pistolet à ressort cracha son aiguille au curare. Cordier s’adossa au mur, l’œil hagard.
Comatec tourna le dos et remonta le tapis roulant jusqu’aux autres ascenseurs, ressortit place de l’Opéra et prit le boulevard des Italiens jusqu’à Richelieu Drouot.
Il avisa une cabine téléphonique.
- C’est moi. C’est fait. Paiement comme convenu.
Et il raccrocha.
La matinée s’annonçait belle. Comatec entra dans un bistrot, commanda un café et, pendant qu’il refroidissait, descendit dans les toilettes pour discrètement démonter son arme. Il rangea les morceaux dans la poche intérieure de sa veste de cuir.
Comatec était un garçon méthodique.
Il ne rentra pas directement chez lui. Il préférait aller traîner un peu, après le boulot. Les Halles, Saint-Michel ou les Champs, suivant l’humeur. Il sauta dans un bus qui l’emmena jusqu’aux jardins Luxembourg. Assis sur un banc, non loin du Sénat (où l'un de ses ex-commanditaires tentait de faire voter un amendement), il fuma lentement une cigarette, puis une deuxième, une troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que le paquet soit vide. Alors il redescendit sur le boulevard, jusqu’à la Seine, et il reprit un bus jusqu’à Réaumur, d’où il rentra chez lui.
Quand il redescendit pour prendre le journal du soir, il s’arrêta devant une poubelle à l’angle de sa rue. L’enveloppe était scotchée à l’intérieur, contenant -on le sentait au toucher- deux épaisses liasses de billets. Quarante billets de cent chaque si le commanditaire était régulier.
Le reste de la journée se passa sans incident, ce qui n'était pas pour lui déplaire.
Car Comatec n'aimait pas les surprises.
Mais la nuit ne se passa pas sans mal.
Comatec dormait. De ce qu’on aurait pu appeler le sommeil du juste, ce sommeil réparateur auquel Comatec estimait avoir droit étant un artisan consciencieux.
Un bruit le réveilla pourtant.
Un bruit infime, un presque rien. Un craquement, tout au plus. Un chuchotis, un souffle. Tout cela à la fois, peut-être. Un bruit à la limite du seuil d’audibilité. Un bruit qui réveilla Comatec en sursaut.
Il se dressa dans son lit, jeta un regard circulaire dans sa chambre et, apparemment satisfait de l’examen, se rallongea. Mais il ne se rendormit pas : au bout de quelques instants, il se leva, alla voir dans la cuisine et regarda partout. La salle de bain subit le même examen, puis le salon.
C’est en passant devant le miroir qu’il sursauta. Dans la glace, ce n’était pas lui qui se regardait, mais Cordier, qui le fixait intensément.
Comatec n’était pourtant pas un garçon impressionnable.
Il mit le phénomène sur le compte de la fatigue, de l’usure du métier… Mais n’arriva pas à se rendormir. Sur toutes les surfaces polies, sur les vitres du meuble de hi-fi, sur les carreaux de la fenêtre, sur le métal de son trophée sportif… Partout, le visage de Cordier le regardait.
Comatec plongea la tête sous l’oreiller pour y échapper. Il se rendormit dans cette atmosphère moite et chaude.
Le lendemain matin, il se réveilla de fort mauvaise humeur. Il descendit au troquet du coin, y demanda le Parisien et un expresso / verre d’eau / croissant, mais n’arriva pas à se concentrer sur les faits divers sordides ou ridicules qui s’étalaient à longueur de colonnes. Il laissa la moitié de son café et repartit se perdre en ville. Il espérait que la torpeur mécanique qui envahit le marcheur au bout de quelques kilomètres calmerait ses nerfs à vif.
Peine perdue : passé midi, il était d’une humeur massacrante et avait failli frapper un tzigane qui faisait la manche vers les Tuileries. Finalement, il rentra chez lui et pris deux Lexomil qu’il fit passer avec un grand verre du marc de raisin distillé par son grand-oncle.
L’après-midi se termina d’une façon cotonneuse. Comatec se leva et s’aperçut que ses mains tremblaient. Vit le reflet de Cordier dans une vitre… Et s’effondra en larmes.
Comatec se croyait un homme fini.
- Eh bien Karel, tu en fais une tête, on croirait que tu as vu un fantôme.
Comatec lâcha un sourire mauvais.
- Et si c’était vraiment ça ? Tu aurais l’air malin, monsieur Wire.
La nuit était tombée depuis longtemps. Comatec avait émergé d’un état semi-comateux au coucher du soleil et était redescendu en ville. Ses pas l’avaient conduit vers Odéon. Là il s’était décidé à rendre visite à monsieur Wire, un hacker professionnel de sa connaissance. Wire était un reclus qui ne vivait plus que par écrans interposés, ne voyant plus le monde que sous forme de pixels lumineux et de vitre de congélateurs, quand il se décidait à descendre acheter quelques surgelés.
- Si tu as vraiment vu un fantôme, vieux, ce n’est pas à moi qu’il faut t’adresser, lui répondit le pirate en rajustant ses lunettes polarisantes.
- Comment ça, Wire, tu connais un spécialiste ?
- Peut-être bien. Passe donc à Beaubourg, le type en question jongle souvent là-bas, pour ce que j’en sais.
- Putain, Wire, j’ai des problèmes et tu m’aiguilles sur un de ces marginaux de merde ?
- Si tu le prends de haut, alors démerde-toi et laisse-moi bosser.
L’instant d’après, Comatec était dans la rue, ne sachant plus quoi faire. Il ne croyait pas aux fantômes, et encore moins aux charlatans. Alors qu’un type aussi ancré dans son époque que Wire lui conseille d’aller voir un quelconque bateleur, ça le dépassait.
Traversant la Seine, il laissa ses pas le conduire jusqu’au centre culturel. Il n’y avait là qu’un seul jongleur, un type assez large, vêtu de cuir fatigué, aux cheveux ras.
- Hem… Un ami m’a dit que je pouvais trouver un spécialiste des fantômes, par ici.
- Faudrait en parler à l’autre dingue, ça pourrait le faire marrer.
- L’autre dingue ?
- Il doit être rue Quincanpoix, à se faire payer des bières.
- Et il ressemble à quoi, votre dingue ?
- Un grand maigre avec une queue de cheval, à peu près habillé comme moi.
Comatec repartit vers la rue Quincanpoix, de moins en moins sûr de lui.
C’est dans une espèce de bouge mal éclairé qu’il finit par le trouver. L’homme était accoudé au comptoir, en pleine discussion avec un genre d’étudiant attardé, un jeune homme poussiéreux au regard rêveur.
- Hum, excusez-moi…
L’homme à queue de cheval haussa le sourcil, l’étudiant essuya ses lunettes.
- Je… J’ai été envoyé par monsieur Wire.
- Et comment va-t-il ?
- Comme d’habitude, répondit Comatec avec un haussement d’épaules. Pizza et réseaux.
- Et que me veut-il ?
- C’est moi le demandeur. Wire m’a signalé que vous pouviez m’aider.
- Ah tiens ? Quel est votre problème ?
- Eh bien… Vous croyez aux fantômes ?
L’étudiant à lunettes rajusta son blouson.
- On en rediscutera à un meilleur moment, lâcha-t-il au jongleur.
Et il sortit en laissant de quoi payer les deux bières.
- Alors, dites-moi tout.
- Je… Je suis poursuivi par une image.
- Une image, fit le Bateleur. De quel genre ?
- L’image d’un…
Comatec prit une inspiration.
- L’image d’un homme mort.
Le Bateleur fit signe au barman de ramener deux bières. Comatec repoussa la sienne.
- D’un homme que vous avez tué, compléta le jongleur.
- Pardon ?
- Cela se lit dans vos yeux.
Comatec ne répondit pas, se contentant de baisser la tête.
- Je vais néanmoins vous aider.
Le Bateleur finit sa bière et entama celle que son interlocuteur avait refusée.
- Vous me devrez un service en échange, bien entendu.
- Un service… Bien sûr. Quel genre de service ?
- Je ne sais pas encore. Vous me devrez ce service. Quand j’en aurai besoin je ferai appel à vous.
Quelques instants plus tard, Comatec et le Bateleur arrivaient devant l’appartement du tueur. Le jongleur contempla intensément l’immeuble, semblant humer l’air nocturne. Puis il fit un signe de tête à son compagnon et ils entrèrent. Le Bateleur ne prononça pas un mot pendant qu’ils montaient les escaliers. Ils pénétrèrent dans l’appartement et là encore le Bateleur se fit observateur, froidement critique. Et là encore il huma l’air autour de lui.
Puis il s’assit dans le canapé, l’air songeur.
- Vous avez du métier, non ?
- Pardon ?
- Du kilométrage, je veux dire… Ce n’était pas votre premier… contrat ?
- Non, pas le premier, répondit Comatec.
Le Bateleur fit la moue.
- Votre fantôme n’est pas seul.
- Vous êtes médium ? Ou bien garagiste ? J’arrive pour faire régler les freins et vous voulez changer le carbu, c’est ça ?
Le Bateleur esquissa un sourire.
- Non. Le seul fantôme à poser problème est le dernier. Les autres n’ont pas été surpris de finir comme ça. Ils connaissaient les règles du jeu. Pas lui.
- Pardon ?
- Qui était-ce ?
Comatec haussa les épaules.
- Je n’en sais rien. J’ai reçu l’enveloppe, comme d’habitude, et j’ai rempli le contrat.
Le Bateleur se releva et se dirigea vers la porte.
- Alors cherchez à savoir. Et quand vous saurez, revenez me voir. On me trouve généralement devant Beaubourg.
Comatec ne savait plus quoi penser.
Le jongleur de lui inspirait qu’une confiance très limitée. Il avait, il est vrai, fait un certain nombre de déductions habiles. Mais Comatec n’aimait pas traiter avec ce genre de personnages. Et pourtant…
Pourtant, il avait mis le doigt sur un point intéressant. Cordier n’avait pas le profil des contrats habituels. Trop tranquille. Trop normal. Et surtout, pas assez traqué. Cordier n’était pas un truand, pas un espion, pas une balance, pas même un comptable véreux, Cordier n’était personne. Comatec se décida à téléphoner à Monsieur Wire.
- Michel Cordier, mort hier matin. Je veux tout savoir. Qui il était, ce qu’il faisait, s’il était dans des coups tordus.
- Tu te remets au boulot ? Ça va mieux ?
- Non, justement. Mais ton jongleur m’a aiguillé…
- Je te rappelle dans une heure.
… à suivre ?
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