J'ai revu Ghost Dog, la voie du samouraï il n'y a pas plus tard que quelques temps de ça. Voilà un film à l'ambiance tout à fait étrange, et que j'aime beaucoup pour tout un tas de raisons. (tiens, j'ai envie de me revoir Smoke, aussi)
Pour ceux qui ne l'auraient pas vu, ce film de Jim Jarmush, sorti il y a une vingtaine d'années, raconte le dernier baroud d'un tueur à gages joué par Forest Whitaker, qui opère dans une ville moyenne de la Côte Est des USA, peut-être une banlieue de New York, et qui vit selon les préceptes du Hagakure, un des manuels des samouraïs (on en connaît deux principaux. Le plus fondu est justement celui-ci, qui est franchement un bréviaire d'un fanatisme zen très bizarre. pour avoir une version moins psychotique, voir Le Traité des Cinq Anneaux (ou Roues, selon les traductions) écrit par Musashi et nettement plus pragmatique).
J'ai toujours bien aimé ce film, et vraiment apprécié le parcours de ce personnage autodidacte qui parvient à se transcender via un texte reçu on ne sait trop comment. Malgré sa profession funeste, Ghost Dog est plutôt un bon gars, bienveillant, un peu renfermé et très sympathique, qui évolue au milieu de personnages parfois aussi étranges que lui : le marchand de glaces joué par Isaach de Bankolé, une petite fille grande lectrice, et surtout une brochette de mafieux en bout de course, qui posent aux parrains tout en étant parfaitement minables, sous louant pour leurs réunions l'arrière-boutique d'un restau chinois à deux doigts de les virer.
Ces pauvres types emploient Ghost Dog, mais après un contrat qui a dérapé, reçoivent l'ordre d'un gang plus puissant de faire disparaître l'assassin. S'estimant trahi, il commence à les éliminer méthodiquement.
La clé du film est le moment où l'un de ces mafieux sur le retour (joué par l'excellent Victor Argo) prend conscience du cadeau qu'il leur fait : "tu te rends compte ? Lui, il nous prend au sérieux. Il nous inflige une vendetta à l'ancienne." (je n'ai plus le dialogue exact en tête, mais il revient à ça) Le vieux en est reconnaissant, il se sent justifié par rapport à ce qu'il tentait d'être, validé. La conscience qu'il avait de son état de minable apparaît alors au spectateur.
Je me souviens de ma première vision du film, que j'avais beaucoup aimé mais avec une réserve. En voyant les scènes d'entrainement de Ghost Dog, je m'étais dit "bon sang, quel dommage qu'ils n'aient pas filé un maître d'armes à Whitaker, il ne sait vraiment pas se servir d'un sabre" et ça m'avait semblé être un défaut du film, un manque de rigueur par rapport au sujet.
C'est cette scène du vieux mafieux mourant qui m'a permis de comprendre le sens à donner à ce point : Ghost Dog est dans le même cas que les mafieux. Il vit sur une image. Il a appris la voie du samouraï dans un bouquin et s'est conformé à un cliché, en apprenant pas mal de trucs tout seul (il a été formé à son métier par le personnage joué par Argo, mais son trip samouraï lui appartient en propre). Il s'est conformé à un cliché, tout comme les mafieux de son quartier se conformaient à un cliché. La différence, c'est que lui est quand même parvenu à une grandeur intérieure, sublimant sa simplicité.
Son incapacité à manier son sabre dans les règles n'est pas une maladresse de la direction d'acteur. C'est un signe, l'indice que la posture de Ghost Dog est une construction mentale personnelle, une marotte qui lui a permis de se construire et qui domine sa vie, mais qui demeure cela : une marotte, comme collectionner les comics ou se donner à fond dans des compétitions locales de bowling (oui, c'est à vous que je pense, le Dude, Walter et Donnie). Une manière de se sentir exister.
Forcément, je me reconnais pas mal dans ce film et ce personnage. Dans pas mal de domaines, je suis un autodidacte avec les défauts (et je l'espère, les qualités) que cela implique. Je sais pourquoi j'ai cette capacité de me plonger à corps perdu dans l'étude de tel ou tel sujet mineur. Mon entourage est fait pour une bonne partie de personnages étranges et pittoresques (peut-être certains d'entre vous, amis lecteurs de ce blog rentrez sans le savoir dans cette catégorie, mais sachez que c'est aussi pour ça que je vous aime, pour ces sommes de petites bizarreries qui empêchent ce monde de basculer dans un formatage stérile et le rendent donc vivable).
Je ne revois pas très souvent Ghost Dog, mais j'adore ce film. Quand je parle de cinéma dans ces colonnes, c'est souvent pour me moquer, et pas toujours gentiment. Ce n'est pas du tout le cas ici. Ghost Dog est un beau film. Tout simple dans son déroulé et ses moyens. Très simple dans ses enjeux. Ce n'est pas un exercice de virtuosité, pas un grand film d'action très malin. Juste une fable qui me fait du bien à l'âme. Et c'est en cela qu'il est grand.
De toute façon, j'ai toujours apprécié Whitaker
(Bird, putain, quel film. je lui en pardonnerais presque Terre Champ de Bataille)
Pour ceux qui ne l'auraient pas vu, ce film de Jim Jarmush, sorti il y a une vingtaine d'années, raconte le dernier baroud d'un tueur à gages joué par Forest Whitaker, qui opère dans une ville moyenne de la Côte Est des USA, peut-être une banlieue de New York, et qui vit selon les préceptes du Hagakure, un des manuels des samouraïs (on en connaît deux principaux. Le plus fondu est justement celui-ci, qui est franchement un bréviaire d'un fanatisme zen très bizarre. pour avoir une version moins psychotique, voir Le Traité des Cinq Anneaux (ou Roues, selon les traductions) écrit par Musashi et nettement plus pragmatique).
Quand Whitaker chanellise Samuel Jackson
J'ai toujours bien aimé ce film, et vraiment apprécié le parcours de ce personnage autodidacte qui parvient à se transcender via un texte reçu on ne sait trop comment. Malgré sa profession funeste, Ghost Dog est plutôt un bon gars, bienveillant, un peu renfermé et très sympathique, qui évolue au milieu de personnages parfois aussi étranges que lui : le marchand de glaces joué par Isaach de Bankolé, une petite fille grande lectrice, et surtout une brochette de mafieux en bout de course, qui posent aux parrains tout en étant parfaitement minables, sous louant pour leurs réunions l'arrière-boutique d'un restau chinois à deux doigts de les virer.
Ces pauvres types emploient Ghost Dog, mais après un contrat qui a dérapé, reçoivent l'ordre d'un gang plus puissant de faire disparaître l'assassin. S'estimant trahi, il commence à les éliminer méthodiquement.
La clé du film est le moment où l'un de ces mafieux sur le retour (joué par l'excellent Victor Argo) prend conscience du cadeau qu'il leur fait : "tu te rends compte ? Lui, il nous prend au sérieux. Il nous inflige une vendetta à l'ancienne." (je n'ai plus le dialogue exact en tête, mais il revient à ça) Le vieux en est reconnaissant, il se sent justifié par rapport à ce qu'il tentait d'être, validé. La conscience qu'il avait de son état de minable apparaît alors au spectateur.
Jarmush s'est fait plaisir, allant chercher de pures gueules du cinéma de mafia
Je me souviens de ma première vision du film, que j'avais beaucoup aimé mais avec une réserve. En voyant les scènes d'entrainement de Ghost Dog, je m'étais dit "bon sang, quel dommage qu'ils n'aient pas filé un maître d'armes à Whitaker, il ne sait vraiment pas se servir d'un sabre" et ça m'avait semblé être un défaut du film, un manque de rigueur par rapport au sujet.
C'est cette scène du vieux mafieux mourant qui m'a permis de comprendre le sens à donner à ce point : Ghost Dog est dans le même cas que les mafieux. Il vit sur une image. Il a appris la voie du samouraï dans un bouquin et s'est conformé à un cliché, en apprenant pas mal de trucs tout seul (il a été formé à son métier par le personnage joué par Argo, mais son trip samouraï lui appartient en propre). Il s'est conformé à un cliché, tout comme les mafieux de son quartier se conformaient à un cliché. La différence, c'est que lui est quand même parvenu à une grandeur intérieure, sublimant sa simplicité.
Son incapacité à manier son sabre dans les règles n'est pas une maladresse de la direction d'acteur. C'est un signe, l'indice que la posture de Ghost Dog est une construction mentale personnelle, une marotte qui lui a permis de se construire et qui domine sa vie, mais qui demeure cela : une marotte, comme collectionner les comics ou se donner à fond dans des compétitions locales de bowling (oui, c'est à vous que je pense, le Dude, Walter et Donnie). Une manière de se sentir exister.
Sérieux, d'un bout à l'autre du métrage, il sait pas tenir son sabre
Forcément, je me reconnais pas mal dans ce film et ce personnage. Dans pas mal de domaines, je suis un autodidacte avec les défauts (et je l'espère, les qualités) que cela implique. Je sais pourquoi j'ai cette capacité de me plonger à corps perdu dans l'étude de tel ou tel sujet mineur. Mon entourage est fait pour une bonne partie de personnages étranges et pittoresques (peut-être certains d'entre vous, amis lecteurs de ce blog rentrez sans le savoir dans cette catégorie, mais sachez que c'est aussi pour ça que je vous aime, pour ces sommes de petites bizarreries qui empêchent ce monde de basculer dans un formatage stérile et le rendent donc vivable).
Je ne revois pas très souvent Ghost Dog, mais j'adore ce film. Quand je parle de cinéma dans ces colonnes, c'est souvent pour me moquer, et pas toujours gentiment. Ce n'est pas du tout le cas ici. Ghost Dog est un beau film. Tout simple dans son déroulé et ses moyens. Très simple dans ses enjeux. Ce n'est pas un exercice de virtuosité, pas un grand film d'action très malin. Juste une fable qui me fait du bien à l'âme. Et c'est en cela qu'il est grand.
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