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Boy-scouts go home !

 Bon, je suis plus débordé que je ne l'aurais cru en cette période. Du coup, une autre rediff, un article datant d'il y a cinq ans. Au moment où Superman se retrouve à faire équipe avec Guy Gardner à l'écran, c'est peut-être le moment de ressorti celui-ci.




Les super-héros sont des gentils propres sur eux affrontant des méchants ridicules, avec une dialectique générale qui est, selon le cas, celle du match de catch ou de la cour de récré. C’est en tout cas l’image qu’en a une large partie du grand public.

Certains, notamment Superman, correspondent assez à ce cliché. D’autres héros s’avèrent moins lisses, et contre toute attente, ça ne date pas d’hier : aux origines des super-héros, dans les années 1930-40, on est même très loin de cette image de boy-scouts. Les héros de pulps, ancêtres directs des super-héros, boivent et courent la gueuse comme Conan, massacrent à tour de bras, comme le Shadow ou lavent le cerveau de leurs adversaires comme Doc Savage. Superman, tel que défini au départ par Jerry Siegel et Joe Shuster, cogne dur. Batman par Bob Kane et Bill Finger hésite pas à tuer. Et il en va de même pour des héros moins connus, comme Stardust, de Fletcher Hanks, qui se comporte en tout comme une brute épaisse et abuse littéralement de ses immenses pouvoirs. Heureusement que ses adversaires sont de franches crapules, car on est face à un de ces justiciers sommaires comme la pop-culture américaine en a produit à la pelle, de Mike Hammer au Paul Kersey dans Death Wish.
L’ambiance change rapidement. Les comics sont un média de masse mais sont néanmoins considérés avant tout comme une lecture pour les plus jeunes. Batman s’adoucit dès 1940 avec l’arrivée de Robin. La création de Captain Marvel, alias Shazam la même année, entérine cette tendance avec un héros surpuissant, mais dont l’alter-ego est un petit garçon innocent, le jeune Billy Batson. Parlons de héros boy-scouts, celui-ci en est le mètre étalon, dépassant dans ce domaine Superman lui-même.

Le pouvoir du Code

Le genre s’étiole à partir de la fin de la Seconde Guerre Mondiale et les comics se consacrent beaucoup plus à des récits policiers, de guerre ou d’horreur. Le début des années 1950 amène des vagues d’hystérie collective dans la foulée de la Chasse aux Sorcières. Les influences vues comme pernicieuse sont passées au crible et on organise des autodafés de disques de rock’n’roll, mais aussi de comic books. Le super-héros, avec sa violence pour rire, peut faire son grand retour, mais à partir de 1954, il est soumis au Comics Code, très restrictif sur les sujets que l’on peut aborder et la façon de les traiter. Dans ces conditions, tout anti-héros devient proprement inconcevable.
Tout au plus, avec les Marvel Comics à partir de 1961, voit-on apparaître des personnages moins monolithiques, comme Ben Grimm, dans Fantastic Four, avec ses accès de mauvaise humeur et son cœur d’or, ou Hulk, dont le statut est complexe et qui se comporte facilement en menace.
L’étau se desserre graduellement à la fin de la décennie, avec Green Lantern/Green Arrow n°85 et 86. La série s’attaquait frontalement, depuis quelques numéros, au côté moralisateur des héros. Green Arrow, reproche à son camarade Green Lantern de défendre un statu-quo conservateur en négligeant les vraies crises : logements insalubres, pollution, etc. Soudain, Green Arrow découvre qu’il a lui-même été incapable de voir la descente aux enfers de Roy, son jeune protégé : il a sombré dans la drogue. Le traitement est extrêmement cru pour l’époque et fait entrer les comics dans une nouvelle période de leur histoire. Les années suivantes voient apparaître des personnages plus torturés, plus violent, voire sur le fil de plus en plus ténu entre le bien et le mal, comme Adam Warlock (personnage secondaire réinventé de fond en comble par Jim Starlin pour en faire une entité amorale), le Punisher (débutant sa carrière comme antagoniste de Spider-man), Ghost Rider ou Wolverine (lui-même un vilain apparu dans les pages de Hulk).


La chute du héros


Le Comics Code est toujours en vigueur, mais il s’est considérablement assoupli. Par ailleurs, de nouveaux éditeurs apparaissent, de taille assez modeste, n’hésitant pas à lancer des séries s’affranchissant clairement des règles, comme American Flagg ! d’Howard Chaykin, récit politiquement chargé, sexy et mauvais esprit, inimaginable à l’époque chez des gros éditeurs installés comme Marvel et DC.
Deux auteurs achèvent de dynamiter l’image consensuelle du super-héros au milieu des années 1980.
Le premier, Alan Moore, est anglais, et arrive chez DC pour travailler sur une série horrifique, Swamp Thing, qu’il réinvente en profondeur. Puis il livre deux récits de super-héros critiquant le genre, Watchmen et Batman : The Killing Joke. Son constat est clair : un homme qui met des collants pour combattre le crime a forcément de gros problèmes psychologiques dont l’impact sur le monde qui l’entoure est forcément désastreux.
Le deuxième, Frank Miller, est fan de polar et a contribué à faire de Daredevil un des meilleurs titre Marvel de son temps, quittant la série sur l’apothéose Born Again (n° 226-233) qui détruit le héros pour l’endurcir et le reconstruire. Mais c’est surtout Batman : The Dark Knight Returns qui fait figure de coup de poing. Le héros vieillissant revient à ses racines violentes et devient totalement incontrôlable dans une ville et un monde dévorés par le chaos.

 


D’un coup, avec Watchmen et Dark Knight, les comics entrent dans leur âge sombre. John Ostrander écrit Suicide Squad, série cynique mais non dénuée d’humour, quand Steven Grant puis Mike Baron font du Punisher, jusqu’alors repoussoir et antagoniste, un des personnages phares de l’époque, complètement en phase avec la logique des années Reagan et du New York de Rudy Giuliani, à l’époque District Attorney de la ville avant d’en devenir maire avec un programme de « Tolérance Zéro ».
Les années 1990 voient l’apogée de la violence graphique avec les X-Force puis Youngblood de Rob Liefeld, version « destroy » de X-Men ou le Spawn de Todd McFarlane, un personnage de soldat revenu d’entre les morts suite à un pacte avec le diable et combattant depuis lors, à grands coups de chaine, les forces de l’enfer comme celles du ciel.




Dans le fracas et les gravats

The Authority, sorte de parodie de la Justice League, présente des héros anarchistes n’hésitant plus à dire ses quatre vérités au Président des USA lui-même, et à se livrer à un commentaire acide sur le genre, mais aussi sur le monde qui a produit ses auteurs. C’est d’ailleurs le réel qui rattrape la série le 11 septembre 2001, montrant aux infos les dévastations urbaines occasionnées sur le papier par les héros et leurs adversaires. Dès lors, alors que l’Amérique mène de des guerres pas toujours justifiables, la figure du super-héros devient un moyen de la critiquer : Civil War, de Mark Millar et Steve McNiven, est le reflet de cette crise de confiance, les héros s’entredéchirent.
Depuis, Invincible, de Robert Kirkman et Ryan Ottley, tente de réconcilier à sa façon l’insouciance des héros d’antan et les problèmes du monde moderne. Les boy-scouts de papier semblent bel et bien enterrés, mais ils constituent néanmoins le surmoi de leurs descendants.

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