Deux fléaux supplémentaires nous tombent dessus…
D'une part, et c'est agaçant mais somme toute bénin, les écrivains parisiens réfugiés à la campagne qui commencent à bosser sur des trucs du genre "Journal de Confinement". Si se trouver confinés leur semble si étrange qu'ils se sentent obligés d'écrire dessus, c'est peut-être qu'en temps normal ils passent trop de temps en mondanités et pas assez confinés à écrire. Déjà qu'une bonne partie de la littérature "blanche" est confite dans l'entre-soi et le nombrilisme, ça va pas s'arranger avec ce genre d'initiatives. Elle va être belle, la rentrée littéraire, encore.
Le deuxième souci, il me semble nettement plus sérieux. C'est cette histoire de chloroquine. La chloroquine, c'est un vieil anti-paludéen, qu'on donne depuis un bout de temps en prévention pour les voyageurs en zone à risque. Il tombe peu à peu en désuétude du fait des résistances du germe responsable de la maladie, et d'autres médicaments existent. Tous ces produits sont néanmoins d'un maniement délicat.
Il se trouve qu'un médecin marseillais a proposé cette molécule dans le traitement du Covid-19. En soi, ça n'a rien d'absurde (même si le germe du paludisme, pour lequel est conçu le produit, n'est pas un virus) et ça fait bien vingt ans et plus qu'on a mené des études à ce sujet dans l'idée de lutter contre plusieurs maladies.
Mieux, le médecin dit avoir obtenu des résultats in vitro. Et ça ne prouve pas grand-chose. Là, ça demande une explication. Un virus, c'est souvent relativement fragile. In vitro, sur une culture, c'est facile à détruire avec à peu près n'importe quoi, genre du sel de cuisine ou du vinaigre ou autre.
Le problème c'est qu'in vivo, dans l'organisme, le virus s'installe dans les cellules, du fait de son mode d'action (simplement, il se greffe sur l'ADN du malade pour pirater la machine cellulaire). Faire agir le produit in vivo, ça veut dire faire en sorte que la molécule agisse sur place, dans les fluides corporels infectés ou les cellules elles-mêmes. Plein de molécules prometteuses in vitro n'ont pas réussi à faire la démonstration de ce passage-là. Et justement, ça a été le cas de la chloroquine, systématiquement décevante dans les études précédentes. Néanmoins, vu l'urgence actuelle, mener une étude approfondie n'est pas une mauvaise idée. On ne sait jamais.
Et c'est là que se situe le problème. Le médecin en question a lancé l'étude. Très bien. Mais il la mène sur un panel de patients très limité. Au vu des circonstances, ça se comprend. Mais dans une interview donnée récemment (au magazine Marianne) il a eu cette déclaration qui me semble problématique :
"C'est contre-intuitif, mais plus l'échantillon d'un test clinique est faible, plus ses résultats sont significatifs. Les différences dans un échantillon de vingt personnes peuvent être plus significatives que dans un échantillon de 10.000 personnes. "
Sans rentrer dans le jargon statistique, on a vite fait de comprendre que c'est exactement l'inverse. Ce qui augmente en réduisant l'échantillon, ce n'est pas le côté significatif, mais le côté visible. C'est pas ma même chose. Ce qui augmente aussi, c'est la marge d'erreur, et à un degré phénoménal.
Prenons ses chiffres, et faisons l'hypothèse de 10 % de guérison : sur un échantillon de 20, ça fait deux personnes guéries, ce qui est très bien. Mais sur un échantillon si faible, les cas de figure sont restreint. Peut-on prouver que ces deux guérisons sont dues au produit, et pas à des variables non repérées ? Difficile. Alors que sur un échantillon de 10.000, il faut 1000 patient qui guérissent pour avoir cdes 10%, et si la guérison est une coïncidence, on aura plus difficilement 1000 coïncidences. Un ou deux patients guéris, ça peut être une fluctuation statistique, et sur une étude de ce genre, si je me souviens bien, on considère qu'une différence de 3% n'est pas significative, attribuable par exemple à l'effet placébo. Sur un échantillon de 20, un patient guéri, c'est 5% direct. ça permet de camoufler ce seuil de 3%. On ne peut pas le camoufler sur une étude avec 10.000 patients. Dans ce genre de travaux, il faut se garder des biais de confirmation. Les études randomisées en double aveugle sur gros échantillon sont faites pour limiter au maximum ce genre de biais.
Du coup, qu'en penser ? Ce médecin publie beaucoup. Les stats, il connait. Les procédures aussi. Du coup, je crains que son argument ne soit profondément malhonnête.
(accessoirement, c'est ce genre de raisons qui ont conduit à placer la barre permettant de considérer un sondage comme représentatif aux alentours de 1000 personnes. en-dessous, les marges d'erreur deviennent délirantes)
Ce genre de manips, en médecine, elles sont hélas relativement courantes. Y a des gros sous derrière. Mais là, le problème, c'est que dans les circonstances actuelles, avec les possibilités de panique, monter en épingle une étude présentant une telle faille méthodologique, c'est courir un risque d'emballement. Déjà, des gens même pas malade se font prescrire le produit, et agressent les médecins et pharmaciens pour l'obtenir. Ce médicament n'est pas dénué d'effets secondaires sérieux.
Tout le monde aimerait un miracle, là. Moi autant que les autres, d'ailleurs. Viendra-t-il de la chloroquine ? Pourquoi pas ? J'en sais rien. Je n'y crois que modérément, mais je ne demande qu'à avoir tort, et si un produit comme ça permettait de mettre fin à l'épidémie, j'applaudirais comme tout le monde.
Ce que je me borne à dire, c'est que dans les périodes où nous attendons des miracles, les marchands de miracles pullulent. Et les miracles frelatés sont souvent les plus nombreux.
Prenez soin de vous et de vos proches.
Update :
Une interview dans La Provence du praticien en question
Il y dit des choses très intéressantes et glaçantes sur la prise en charge. Qu'on soit clair, le type est loin d'être un idiot, et il semble très pragmatique. Par contre, sur sa méthodologie dans son étude, j'ai vu passer d'autres choses qui continuent d'être inquiétantes. Mais vu qu'il poursuit ses essais, avec un plus gros échantillon, voyons ce que ça donnera (et voyons ce que donneront les autres études sur le sujet).
D'une part, et c'est agaçant mais somme toute bénin, les écrivains parisiens réfugiés à la campagne qui commencent à bosser sur des trucs du genre "Journal de Confinement". Si se trouver confinés leur semble si étrange qu'ils se sentent obligés d'écrire dessus, c'est peut-être qu'en temps normal ils passent trop de temps en mondanités et pas assez confinés à écrire. Déjà qu'une bonne partie de la littérature "blanche" est confite dans l'entre-soi et le nombrilisme, ça va pas s'arranger avec ce genre d'initiatives. Elle va être belle, la rentrée littéraire, encore.
Le deuxième souci, il me semble nettement plus sérieux. C'est cette histoire de chloroquine. La chloroquine, c'est un vieil anti-paludéen, qu'on donne depuis un bout de temps en prévention pour les voyageurs en zone à risque. Il tombe peu à peu en désuétude du fait des résistances du germe responsable de la maladie, et d'autres médicaments existent. Tous ces produits sont néanmoins d'un maniement délicat.
Il se trouve qu'un médecin marseillais a proposé cette molécule dans le traitement du Covid-19. En soi, ça n'a rien d'absurde (même si le germe du paludisme, pour lequel est conçu le produit, n'est pas un virus) et ça fait bien vingt ans et plus qu'on a mené des études à ce sujet dans l'idée de lutter contre plusieurs maladies.
Mieux, le médecin dit avoir obtenu des résultats in vitro. Et ça ne prouve pas grand-chose. Là, ça demande une explication. Un virus, c'est souvent relativement fragile. In vitro, sur une culture, c'est facile à détruire avec à peu près n'importe quoi, genre du sel de cuisine ou du vinaigre ou autre.
Le problème c'est qu'in vivo, dans l'organisme, le virus s'installe dans les cellules, du fait de son mode d'action (simplement, il se greffe sur l'ADN du malade pour pirater la machine cellulaire). Faire agir le produit in vivo, ça veut dire faire en sorte que la molécule agisse sur place, dans les fluides corporels infectés ou les cellules elles-mêmes. Plein de molécules prometteuses in vitro n'ont pas réussi à faire la démonstration de ce passage-là. Et justement, ça a été le cas de la chloroquine, systématiquement décevante dans les études précédentes. Néanmoins, vu l'urgence actuelle, mener une étude approfondie n'est pas une mauvaise idée. On ne sait jamais.
Et c'est là que se situe le problème. Le médecin en question a lancé l'étude. Très bien. Mais il la mène sur un panel de patients très limité. Au vu des circonstances, ça se comprend. Mais dans une interview donnée récemment (au magazine Marianne) il a eu cette déclaration qui me semble problématique :
"C'est contre-intuitif, mais plus l'échantillon d'un test clinique est faible, plus ses résultats sont significatifs. Les différences dans un échantillon de vingt personnes peuvent être plus significatives que dans un échantillon de 10.000 personnes. "
Sans rentrer dans le jargon statistique, on a vite fait de comprendre que c'est exactement l'inverse. Ce qui augmente en réduisant l'échantillon, ce n'est pas le côté significatif, mais le côté visible. C'est pas ma même chose. Ce qui augmente aussi, c'est la marge d'erreur, et à un degré phénoménal.
Prenons ses chiffres, et faisons l'hypothèse de 10 % de guérison : sur un échantillon de 20, ça fait deux personnes guéries, ce qui est très bien. Mais sur un échantillon si faible, les cas de figure sont restreint. Peut-on prouver que ces deux guérisons sont dues au produit, et pas à des variables non repérées ? Difficile. Alors que sur un échantillon de 10.000, il faut 1000 patient qui guérissent pour avoir cdes 10%, et si la guérison est une coïncidence, on aura plus difficilement 1000 coïncidences. Un ou deux patients guéris, ça peut être une fluctuation statistique, et sur une étude de ce genre, si je me souviens bien, on considère qu'une différence de 3% n'est pas significative, attribuable par exemple à l'effet placébo. Sur un échantillon de 20, un patient guéri, c'est 5% direct. ça permet de camoufler ce seuil de 3%. On ne peut pas le camoufler sur une étude avec 10.000 patients. Dans ce genre de travaux, il faut se garder des biais de confirmation. Les études randomisées en double aveugle sur gros échantillon sont faites pour limiter au maximum ce genre de biais.
Du coup, qu'en penser ? Ce médecin publie beaucoup. Les stats, il connait. Les procédures aussi. Du coup, je crains que son argument ne soit profondément malhonnête.
(accessoirement, c'est ce genre de raisons qui ont conduit à placer la barre permettant de considérer un sondage comme représentatif aux alentours de 1000 personnes. en-dessous, les marges d'erreur deviennent délirantes)
Ce genre de manips, en médecine, elles sont hélas relativement courantes. Y a des gros sous derrière. Mais là, le problème, c'est que dans les circonstances actuelles, avec les possibilités de panique, monter en épingle une étude présentant une telle faille méthodologique, c'est courir un risque d'emballement. Déjà, des gens même pas malade se font prescrire le produit, et agressent les médecins et pharmaciens pour l'obtenir. Ce médicament n'est pas dénué d'effets secondaires sérieux.
Tout le monde aimerait un miracle, là. Moi autant que les autres, d'ailleurs. Viendra-t-il de la chloroquine ? Pourquoi pas ? J'en sais rien. Je n'y crois que modérément, mais je ne demande qu'à avoir tort, et si un produit comme ça permettait de mettre fin à l'épidémie, j'applaudirais comme tout le monde.
Ce que je me borne à dire, c'est que dans les périodes où nous attendons des miracles, les marchands de miracles pullulent. Et les miracles frelatés sont souvent les plus nombreux.
Prenez soin de vous et de vos proches.
Update :
Une interview dans La Provence du praticien en question
Il y dit des choses très intéressantes et glaçantes sur la prise en charge. Qu'on soit clair, le type est loin d'être un idiot, et il semble très pragmatique. Par contre, sur sa méthodologie dans son étude, j'ai vu passer d'autres choses qui continuent d'être inquiétantes. Mais vu qu'il poursuit ses essais, avec un plus gros échantillon, voyons ce que ça donnera (et voyons ce que donneront les autres études sur le sujet).
Commentaires
On a 19 chances sur 20 que le vrai taux T (en pour 1, pas en pour cent), soit dans l'intervalle [Taux observé - 1 / (racine carrée de la taille de l'échantillon ; taux observé + 1 / racine carrée de l'échantillon) ] soit, avec un échantillon de taille n = 20 et un taux observé de 0,75 (0,75 pour 1, 75% ) par le professeur Raoult : [0,52 ; 0,97 ].
Il y aurait donc 19 chances sur 20 que la proportion de personnes sur laquelle le traitement fonctionne soit entre 52 % et 97 %.
Évidemment, même quelqu'un d’honnête peut voir ce qu'il souhaite tant voir, c'est pourquoi le gouvernement a lancé le même protocole par plusieurs équipes indépendantes.
Les résultats devraient pouvoir tomber dès la semaine prochaine.
En attendant, sur la base des conseils de quelqu'un se rendant régulièrement au Niger, je viens d'acheter plusieurs bouteilles d'Indian Tonique, dans lesquelles se trouvent de la Quinine. Je vais en boire 4 verres par jour, cela ne peut pas me faire de mal.
https://www.today.ng/coronavirus/official-lagos-hospitals-treat-people-suffering-chloroquine-poisoning-287036
Mais à y réfléchir, la chloroquine est la molécule synthétique de la quinine : Le Gin Tonic ne serait il pas le cocktail à tester en ce moment ? Au moins le Schweps n'a comme effet secondaire que les effets de toutes les boissons gazeuses sucrées.
Sidro