Accéder au contenu principal

Chronique des années de peste, livre 4

Deux fléaux supplémentaires nous tombent dessus…

Résultat de recherche d'images pour "prisonner etching"


D'une part, et c'est agaçant mais somme toute bénin, les écrivains parisiens réfugiés à la campagne qui commencent à bosser sur des trucs du genre "Journal de Confinement". Si se trouver confinés leur semble si étrange qu'ils se sentent obligés d'écrire dessus, c'est peut-être qu'en temps normal ils passent trop de temps en mondanités et pas assez confinés à écrire. Déjà qu'une bonne partie de la littérature "blanche" est confite dans l'entre-soi et le nombrilisme, ça va pas s'arranger avec ce genre d'initiatives. Elle va être belle, la rentrée littéraire, encore.

Le deuxième souci, il me semble nettement plus sérieux. C'est cette histoire de chloroquine. La chloroquine, c'est un vieil anti-paludéen, qu'on donne depuis un bout de temps en prévention pour les voyageurs en zone à risque. Il tombe peu à peu en désuétude du fait des résistances du germe responsable de la maladie, et d'autres médicaments existent. Tous ces produits sont néanmoins d'un maniement délicat.

Il se trouve qu'un médecin marseillais a proposé cette molécule dans le traitement du Covid-19. En soi, ça n'a rien d'absurde (même si le germe du paludisme, pour lequel est conçu le produit, n'est pas un virus) et ça fait bien vingt ans et plus qu'on a mené des études à ce sujet dans l'idée de lutter contre plusieurs maladies.

Mieux, le médecin dit avoir obtenu des résultats in vitro. Et ça ne prouve pas grand-chose. Là, ça demande une explication. Un virus, c'est souvent relativement fragile. In vitro, sur une culture, c'est facile à détruire avec à peu près n'importe quoi, genre du sel de cuisine ou du vinaigre ou autre.

Le problème c'est qu'in vivo, dans l'organisme, le virus s'installe dans les cellules, du fait de son mode d'action (simplement, il se greffe sur l'ADN du malade pour pirater la machine cellulaire). Faire agir le produit in vivo, ça veut dire faire en sorte que la molécule agisse sur place, dans les fluides corporels infectés ou les cellules elles-mêmes. Plein de molécules prometteuses in vitro n'ont pas réussi à faire la démonstration de ce passage-là. Et justement, ça a été le cas de la chloroquine, systématiquement décevante dans les études précédentes. Néanmoins, vu l'urgence actuelle, mener une étude approfondie n'est pas une mauvaise idée. On ne sait jamais.

Et c'est là que se situe le problème. Le médecin en question a lancé l'étude. Très bien. Mais il la mène sur un panel de patients très limité. Au vu des circonstances, ça se comprend. Mais dans une interview donnée récemment (au magazine Marianne) il a eu cette déclaration qui me semble problématique :

"C'est contre-intuitif, mais plus l'échantillon d'un test clinique est faible, plus ses résultats sont significatifs. Les différences dans un échantillon de vingt personnes peuvent être plus significatives que dans un échantillon de 10.000 personnes. "

Sans rentrer dans le jargon statistique, on a vite fait de comprendre que c'est exactement l'inverse. Ce qui augmente en réduisant l'échantillon, ce n'est pas le côté significatif, mais le côté visible. C'est pas ma même chose. Ce qui augmente aussi, c'est la marge d'erreur, et à un degré phénoménal.

Prenons ses chiffres, et faisons l'hypothèse de 10 % de guérison : sur un échantillon de 20, ça fait deux personnes guéries, ce qui est très bien. Mais sur un échantillon si faible, les cas de figure sont restreint. Peut-on prouver que ces deux guérisons sont dues au produit, et pas à des variables non repérées ? Difficile. Alors que sur un échantillon de 10.000, il faut 1000 patient qui guérissent pour avoir cdes 10%, et si la guérison est une coïncidence, on aura plus difficilement 1000 coïncidences. Un ou deux patients guéris, ça peut être une fluctuation statistique, et sur une étude de ce genre, si je me souviens bien, on considère qu'une différence de 3% n'est pas significative, attribuable par exemple à l'effet placébo. Sur un échantillon de 20, un patient guéri, c'est 5% direct. ça permet de camoufler ce seuil de 3%. On ne peut pas le camoufler sur une étude avec 10.000 patients. Dans ce genre de travaux, il faut se garder des biais de confirmation. Les études randomisées en double aveugle sur gros échantillon sont faites pour limiter au maximum ce genre de biais.

Du coup, qu'en penser ? Ce médecin publie beaucoup. Les stats, il connait. Les procédures aussi. Du coup, je crains que son argument ne soit profondément malhonnête.

(accessoirement, c'est ce genre de raisons qui ont conduit à placer la barre permettant de considérer un sondage comme représentatif aux alentours de 1000 personnes. en-dessous, les marges d'erreur deviennent délirantes)

Ce genre de manips, en médecine, elles sont hélas relativement courantes. Y a des gros sous derrière. Mais là, le problème, c'est que dans les circonstances actuelles, avec les possibilités de panique, monter en épingle une étude présentant une telle faille méthodologique, c'est courir un risque d'emballement. Déjà, des gens même pas malade se font prescrire le produit, et agressent les médecins et pharmaciens pour l'obtenir. Ce médicament n'est pas dénué d'effets secondaires sérieux.

Tout le monde aimerait un miracle, là. Moi autant que les autres, d'ailleurs. Viendra-t-il de la chloroquine ? Pourquoi pas ? J'en sais rien. Je n'y crois que modérément, mais je ne demande qu'à avoir tort, et si un produit comme ça permettait de mettre fin à l'épidémie, j'applaudirais comme tout le monde.

Ce que je me borne à dire, c'est que dans les périodes où nous attendons des miracles, les marchands de miracles pullulent. Et les miracles frelatés sont souvent les plus nombreux.

Prenez soin de vous et de vos proches.

Update :
Une interview dans La Provence du praticien en question 
 Il y dit des choses très intéressantes et glaçantes sur la prise en charge. Qu'on soit clair, le type est loin d'être un idiot, et il semble très pragmatique. Par contre, sur sa méthodologie dans son étude, j'ai vu passer d'autres choses qui continuent d'être inquiétantes. Mais vu qu'il poursuit ses essais, avec un plus gros échantillon, voyons ce que ça donnera (et voyons ce que donneront les autres études sur le sujet).

Commentaires

Tonton Rag a dit…
Pour connaître l'intervalle de confiance, il y a une formule de niveau seconde :
On a 19 chances sur 20 que le vrai taux T (en pour 1, pas en pour cent), soit dans l'intervalle [Taux observé - 1 / (racine carrée de la taille de l'échantillon ; taux observé + 1 / racine carrée de l'échantillon) ] soit, avec un échantillon de taille n = 20 et un taux observé de 0,75 (0,75 pour 1, 75% ) par le professeur Raoult : [0,52 ; 0,97 ].
Il y aurait donc 19 chances sur 20 que la proportion de personnes sur laquelle le traitement fonctionne soit entre 52 % et 97 %.
Évidemment, même quelqu'un d’honnête peut voir ce qu'il souhaite tant voir, c'est pourquoi le gouvernement a lancé le même protocole par plusieurs équipes indépendantes.
Les résultats devraient pouvoir tomber dès la semaine prochaine.
En attendant, sur la base des conseils de quelqu'un se rendant régulièrement au Niger, je viens d'acheter plusieurs bouteilles d'Indian Tonique, dans lesquelles se trouvent de la Quinine. Je vais en boire 4 verres par jour, cela ne peut pas me faire de mal.
Alex Nikolavitch a dit…
et ça commence : pic d'intoxications à la choloquine à l'hôpital de Lagos

https://www.today.ng/coronavirus/official-lagos-hospitals-treat-people-suffering-chloroquine-poisoning-287036
Anonyme a dit…
J'ai pris de la Nivaquine en 2010 (à base de Chloroquine) en prévention du paludisme et j'ai dû arrêter car le traitement me faisait souffrir.
Mais à y réfléchir, la chloroquine est la molécule synthétique de la quinine : Le Gin Tonic ne serait il pas le cocktail à tester en ce moment ? Au moins le Schweps n'a comme effet secondaire que les effets de toutes les boissons gazeuses sucrées.

Sidro
Alex Nikolavitch a dit…
Ça peut pas faire de mal, mais de base, je compterais pas plus dessus que sur mes tisanes à la menthe.

Posts les plus consultés de ce blog

Medium

 Un truc que je fais de temps en temps, c'est de la médiation culturelle. Ce n'est pas mon métier, mais je connais suffisamment bien un certain nombre de sujets pour qu'on fasse appel à moi, parfois, pour accompagner des groupes scolaires dans des expos, des trucs comme ça. Là, on m'a appelé un peu à l'arrache pour accompagner une animation interactive sur les mangas, et notamment les mangas de sport, avec des groupes de centres de loisirs. Bon, c'est pas ma discipline de prédilection, j'ai révisé un peu vite fait. Le truc, c'est qu'on m'en a causé la semaine passée. La personne qui devait s'en charger était pas trop sur d'elle. La mairie du coin (dans une banlieue un poil sensible) voyait pas le truc bien s'emmancher, la patronne d'une asso où je donne des cours l'a su, a balancé mon nom, m'a prévenu... Et c'en était resté là. Je restais à dispo au cas où. On m'a rappelé ce matin "bon, on va avoir besoin de t...

Le grand livre des songes

 Encore un rêve où je passais voir un de mes éditeurs. Et bien sûr, celui que j'allais voir n'existe pas à l'état de veille, on sent dans la disposition des locaux, dans les gens présents, dans le type de bouquins un mix de six ou sept maisons avec lesquelles j'ai pu travailler à des titres divers (et même un peu d'une agence de presse où j'avais bossé du temps de ma jeunesse folle). Et, bien sûr, je ne repars pas sans que des gars bossant là-bas ne me filent une poignée de bouquins à emporter. Y avait des comics de Green Lantern, un roman, un truc sur Nightwing, un roman graphique à l'ambiance bizarre mettant en parallèle diverses guerres. Je repars, je m'aperçois que j'ai oublié de demander une nouveauté qui m'intéressait particulièrement, un autre roman graphique. Ça vient de fermer, mais la porte principale n'a pas encore été verrouillée. Je passe la tête, j'appelle. J'ai ma lourde pile de bouquins sous le bras. Clic. C'était ...

Beware the blob

La perversion alimentaire prend parfois des allures d'apostolat suicidaire. Que ce soit en termes de picole ou de bouffe, il m'arrive de taper dans le bizarre et de tenter des expériences qui tétaniseraient d'effroi une créature lovecraftienne. Comme on a les amis qu'on mérite, et que j'ai dû commettre des ignominies sans nom dans une vie antérieure, certain de mes amis, camarades et autres proches ont aussi leur bouffées culinaro-délirantes. C'est ainsi que certain libraire sévissant dans une grande enseigne vendant de la culture neuve et d'occasion dans le quartier étudiant de Paris m'a initié à toutes sortes de pickles qui arrachent la gueule et à des boissons polonaises que même les Polonaises évitent de prendre au petit déjeuner. C'est aussi ce douteux personnage (ou un ami commun exilé, je ne sais plus, il y a des traumas que l'esprit humain tente miséricordieusement de brouiller) qui m'avait fait découvrir la pâte à tartiner au spe...

The road to the War Zone

Il m'arrive parfois de mettre le nez sur la provenance gougueule de mes lecteurs : le système de ce blog me permet en effet de savoir quelles requêtes gougueule ont amené ici les gens qui ne me connaissaient pas (parce que les gens qui me connaissent ont depuis longtemps l'adresse de la War Zone, vous vous en doutez*). Et à chaque fois, je suis surpris, et souvent atterré. Que "Alex Nikolavitch" ou "War Zone" (mais parfois, visiblement, il s'agit de gens cherchant des infos sur la suite d'un jeu vidéo, je crois) ou Crusades caracolent en tête des requête, c'est un peu normal. Fulchibar aussi (si vous ne savez pas ce qu'est le fulchibar, ne vous en faites pas, nous non plus, mais c'est justement à ça que tient le concept) (et puis le fulchibar, ça ne s'explique pas. ça se vit). Les noms de personnalités évoquées dans ces pages servent aussi de point d'entrée, comme Vlad Drakul, Frédéric Lefebvre, Makhno, Tesla ou Crowley. C'est...

Tombent les renards en feu

Ça faisait des années que j'utilisais et que je défendais Firefox, ce navigateur internet qui est le très lointain héritier de l'antédiluvien Netscape. L'outil était puissant, rapide, efficace, des lieux devant l'immonde Explorer. Mais depuis les mises à jour de cet été, tout déconne. Gestion du Java complètement aléatoire, persistances d'affichage anormales, perte de la prise en compte de balises HTML pourtant classiques... Et à chaque nouvelle mise à jour, je me prends à espérer que ces problèmes seront réglés, et à chaque nouvelle mise à jour, c'est pire. Tout se passe comme si la Mozilla Corporation, éditeur du logiciel, était devenue Microsoft de la grande époque. Firefox 6.0 sur Mac, c'est un merdier total. Et la version 5, sortie deux mois plus tôt, déconnait déjà dans les grandes largeurs. J'envisage très sérieusement de passer à un autre navigateur. Je n'aime pas ça : j'ai mes habitudes, mes paramétrages, mes kilos de signets, et il v...

L'éternel retour

 Bon, c'est l"heure de notre traditionnelle minute d'expression gueuledeboitesque de fin janvier début février. Mon ressenti (page de Marvano à l'expo SF) (c'est toujours un moment fort de voir les originaux de pages tellement frappantes qu'elles se sont gravées à vie dans votre tête) Jeudi : Je n'avais pas prévu d'arriver le jeudi, au départ. Après cinq mois de boulot ultra-intense, déjà à genoux avant même le festival, je me disais qu'une édition plus ramassée à mon niveau serait plus appropriée. Divers événements en amont m'amènent à avancer largement mon arrivée. Il y a une réunion de calage sur un projet qui doit se faire là-bas, plutôt en début de festival. Dont acte. Ça m'amène à prendre les billets un peu au dernier moment, de prendre les billets qui restent en fonction du tarif aussi, donc là j'ai un changement, ça cavale, et je suis en décalé, ça aura son importance. Quand j'avais commencé à préparer mon planning, j'ava...

Trop de la Bal

 Bon, parmi les petits plaisirs angoumoisins, hormis les moments passés avec des amis et amies qu'on voit trop peu, hormis les bouteilles, hormis les expos d'originaux, il y a aussi fouiller dans les bacs. C'est ainsi que j'ai mis la main à vil prix sur un Savage Sword of Conan dans la collection Hachette. Je dois avoir dix ou douze de ces bouquins réimprimant au départ les aventures des années 70, publiées à l'époque en noir et blanc et en magazine, du célèbre Cimmérien de Robert E. Howard, souvent pris pour lire dans le train, quand j'en chopais un à la gare. Autant dire que ma collection est salement dépareillée. Mais comme ce sont à chaque fois des récits complets, ça n'a guère d'importance. En fait, c'est typiquement la série dans laquelle vous pouvez taper au pif sans trop de risque de déception.      Celui-ci, le n°5, je m'en voulais de l'avoir raté et je n'avais pas réussi à remettre la main dessus par la suite. Graphiquement y a...

Unions, ré-unions, il en restera toujours quelque chose si on s'y prend pas comme des chancres

 Bon, j'en ai jamais fait mystère, mais j'ai tendance à faire savoir autour de moi que la réunionite est un peu le cancer de notre société moderne. Je supporte pas les grandes tablées où, passé l'ordre du jour ça oscille entre le concours de bite et la branlette en rond, pour des résultats concerts qui seraient obtenus en règle générale avec un mail de dix lignes.   éviter la Cogip   Quoi ? Oui, je suis inapte au simagrées du monde de l'entreprise moderne, chacun de mes passages dans des grands groupes m'a convaincu que c'étaient des carnavals de... non, aucun mot utilisable en public ne me vient. Et mes passages aux conseils d'administrations d'associations n'ont pas été mieux. Le problème, ce n'est même pas la structure, qu'elle soit filiale d'un truc caquaranqué ou petit truc local tenu avec des bouts de ficelle. Et pourtant, des fois, faut bien en passer par là, j'en ai conscience. Voir les gens en vrai, se poser autour d'une ...

à Angoulème en dédicaces

Le festival d'Angoulème approche, c'est pour la fin du mois. Il faut commencer à s'organiser. Alors si vous avez un agenda,  notez donc ça : En plus de mes passages au stand des éditions La Cafetière, bulle New York, je serai en dédicaces sur l'espace Champ de Mars au stand du MOTIF. Vendredi 27 de 17 à 19 heures Samedi 28 de 14 à 16 heures Dimanche 29 de 12 à 14 heures Venez nombreux !

Space jesuit ecolo on the run !

Dans mon rêve de cette nuit, j'étais un Jésuite de l'espace chargé d'étudier l'écologie d'une planète nouvellement découverte. Sauf que des colons avaient accidentellement introduit des espèces terriennes et étaient en train de bousiller l'écosystème, du coup. Au camp de base numéro 4, je me souviens distinctement avoir expliqué à un cosmonaute "les charmes et les lapins se sont magnifiquement adaptés, hélas". Le tout dans un décor insolite et grandiose de forêt extraterrestre dont des morceaux commençaient de plus en plus à ressembler au bois de Meudon, me demandez pas pourquoi. Le truc, c'est qu'en me réveillant, il me semble que cette histoire de jésuite écolo n'est pas qu'une production enfiévrée de mon esprit malade. Il me semble avoir lu un roman de SF dans le genre. J'ai de bons souvenirs du Cas de Conscience de James Blish, du père Carmody créé par P.J. Farmer,et il y a des jésuites dans Hypérion de Dan Simmons. Je précis...