Accéder au contenu principal

Irresponsables, mais pas coupables

Les comics sont remplis de personnages de savants fous. Mais ils regorgent aussi de savants posés en modèles, qui travaillent pour l'amour de la science et le progrès de l'humanité. L'archétype en est bien entendu Reed Richards, un monsieur que tout le monde s'accorde à trouver fantastique.
Pourtant, quand on y regarde de plus près, les savants "bons" des comics sont aussi dangereux que leurs contreparties maléfiques. Commençons donc par Reed Richards, emblématique des Marvel Comics. Lançant sa fusée au mépris du danger, il s'expose à des radiations inconnues, et pourrit au passage ses compagnons d'aventure. Par la suite, il inventera des transmetteurs de matière, qui deviennent prétexte à une invasion skrull, et le célèbre portail vers la Zone Négative, source d'emmerdes incroyables, exposant la Terre à des menaces de type Annihilus ou Blastaar. Pourtant, Richards est souvent présenté comme le savant le plus génial de la planète, caution morale des autres et ultime recours technologique. Ça fait peur.
 




Toujours chez Marvel, Hank Pym fait encore mieux : le procédé qui lui permet de changer de taille finit par le rendre complètement psychopathe, ce qui ne l'empêche pas de collectionner les retours au sein de l'équipe des Vengeurs, au service de la protection du monde contre les menaces planétaires. Mieux encore, il va pousser le vice jusqu'à fabriquer un robot à peu près indestructible, Ultron, qui deviendra vite à peu près aussi fou que lui, et qui a de plus le douteux mérite d'exister à de multiples exemplaires, devenant un problème plus que récurrent.

Ne parlons même pas de Tony Stark, à l'origine fabriquant d'armes, dont les armures high tech ont attiré pas mal de convoitises, et ont souvent été détournées de leur usage initial. Pas étonnant qu'il ait fini alcoolique. Ce qui serait presque à mettre à son crédit, puisque ça tendrait à prouver que sa conscience le travaille, alors que Reed Richards dort très bien la nuit (sauf quand l'alarme résonne, bien entendu).

Mais Pym et Richards bossent seuls dans leur labo, ce qui peut expliquer ces dérives. C'est plus inquiétant quand on s'aperçoit que des programmes gouvernementaux dotés de fonds conséquent deviennent de véritables boîtes de Pandore. Le Projet Pegasus est une source quasi intarissable de catastrophes. Chez DC, le Projet Cadmus n'est pas beaucoup moins nocif, et les laboratoires STAR sont souvent à l'origine de désastres.

C'est là qu'on prend la mesure des limites du positivisme scientifique qui animait ses personnages à l'époque de leur création. Toutes les belles inventions de Richards et consorts devraient participer au progrès de l'humanité, et sont finalement avant tout sources de désagréments allant d'un eczéma sec persistant (dans le cas de Ben Grimm), à des invasions extraterrestres voire extradimensionnelles. On pourrait ne pas chercher la cause de cet état de fait ailleurs que dans la dramaturgie des comics (et de la SF en général) : en effet, une invention qui tourne mal est un ressort pratique pour auteur en panne d'inspiration (axiome de Pohl : "la SF n'est pas la pour prédire la voiture, mais l'embouteillage").

Mais peut-être peut-on y voir aussi une métaphore pas forcément volontaire de ce monde de haute technicité dans lequel nous vivons, où le téléphone portable est peut-être vecteur de cancer du cerveau, où l'élevage bovin productiviste induit la maladie de Kreutzfeld-Jacob (on recommandera à ce sujet la lecture de l'album FF numéro 36, l'Héritage Maudit), où l'Internet était à l'origine une technologie militaire… Les Quatre Fantastique ont été créés à l'époque de Spoutnik et Gagarine, mais aussi à l'époque de la Guerre Froide, quand l'utilisation du nucléaire commençait à illuminer les villes, et menaçait de détruire toute vie sur Terre...

 

Richards fait de la recherche fondamentale, il cherche à aller toujours plus loin. C'est un explorateur des possibles, un aventurier de la science, un obsessionnel qui ignore généralement le principe de précaution. À sa manière, il est aussi fou que les psychopathes qu'il combat parfois, que ces scientifiques dévoyés qui recherchent la domination mondiale au fond de leurs éprouvettes. Son côté sympathique le rend d'autant plus dangereux, d'autant plus insidieux, d'autant plus inquiétant, dans le fond...


Cet article a été publié une première fois en 2005 sur le site Superpouvoir.com

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Da-doom

 Je me suis ému ici et là de voir que, lorsque des cinéastes ou des auteurs de BD adaptent Robert E. Howard, ils vont souvent piquer ailleurs dans l'oeuvre de celui-ci des éléments qui n'ont pourtant rien à voir. L'ombre du Vautou r, et Red Sonja, deviennent ainsi partie intégrante du monde de Conan à l'occasion d'un comic book, et Les dieux de Bal Sagot h subissent le même traitement dans Savage Sword . De même, ils vont développer des personnages ultra-secondaires pour en faire des antagonistes principaux. C'est ce qui arrive à Toth-Amon , notamment.  Sienkiewicz, toujours efficace   Mais un cas ultra emblématique, à mon sens, c'est Thulsa Doom. Apparu dans une nouvelle de Kull même pas publiée du vivant de Howard, c'est un méchant générique ressemblant assez à Skull Face, créé l'année suivante dans une histoire de Steve Costigan. Les refus sur Kull ont toujours inspiré Howard : la première histoire de Conan, c'est la version remaniée de la der...

Qui était le roi Arthur ?

Tiens, vu que le Geek Magazine spécial Kaamelott connaît un deuxième numéro qui sort ces jours-ci, c'est peut-être l'occasion de rediffuser ici un des articles écrits pour le précédent. Souverain de légende, il a de tous temps été présenté comme le grand fondateur de la royauté anglaise. Mais plus on remonte, et moins son identité est claire. Enquête sur un fantôme héroïque. Cerner un personnage historique, ou remonter le fil d’une légende, cela demande d’aller chercher les sources les plus anciennes les concernant, les textes les plus proches des événements. Dans le cas d’Arthur et de ses chevaliers, le résultat a de quoi surprendre.  « [Gwawrddur] sut nourrir les corbeaux sur les remparts de la forteresse, quoique n’étant pas Arthur. » La voilà, la plus ancienne mention d’Arthur dans les sources britanniques, et avouons qu’elle ne nous apprend pas grand-chose. Elle provient d’un recueil de chants de guerre et de mort, Y Gododdin, datant des alentours de l’an 600, soit quelque...

En direct de demain

 Dans mon rêve de cette nuit, j'étais en déplacement, à l'hôtel, et au moment du petit dèj, y avait une télé dans un coin, comme souvent dans les salles à manger d'hôtel. Ce qui était bien, c'est que pour une fois, à la télé ce n'était ni Céniouze ni Béhèfème (faites une stat, les salles à manger d'hôtel c'est toujours une de ces deux chaînes), mais un documentaire. Je hausse le sourcil en reconnaissant une voix.   Cette image est un spoiler   Oui, c'est bien lui, arpentant un décor cyberpunk mêlant à parts égales Syd Mead et Ron Cobb, l'increvable Werner Herzog commentait l'architecture et laissait parler des gens. La force du truc, c'est qu'on devine des décors insolites et grandioses, mais que la caméra du réalisateur leur confère une aura de banalité, de normalisation. "Je suis venu ici à la rencontre des habitants du futur, dit-il avec son accent caractéristique. J'ai dans l'idée qu'ils ont plein de trucs à me dire....

L'éternel retour

 Bon, c'est l"heure de notre traditionnelle minute d'expression gueuledeboitesque de fin janvier début février. Mon ressenti (page de Marvano à l'expo SF) (c'est toujours un moment fort de voir les originaux de pages tellement frappantes qu'elles se sont gravées à vie dans votre tête) Jeudi : Je n'avais pas prévu d'arriver le jeudi, au départ. Après cinq mois de boulot ultra-intense, déjà à genoux avant même le festival, je me disais qu'une édition plus ramassée à mon niveau serait plus appropriée. Divers événements en amont m'amènent à avancer largement mon arrivée. Il y a une réunion de calage sur un projet qui doit se faire là-bas, plutôt en début de festival. Dont acte. Ça m'amène à prendre les billets un peu au dernier moment, de prendre les billets qui restent en fonction du tarif aussi, donc là j'ai un changement, ça cavale, et je suis en décalé, ça aura son importance. Quand j'avais commencé à préparer mon planning, j'ava...

Ïa, ïa, spam !

Bon, vous connaissez tous les spams d'arnaque nigériane où la veuve d'un ministre sollicite votre aide pour sortir du pognon d'un pays d'Afrique en échange d'une partie du pactole, pour pouvoir vous escroquer en grand. C'est un classique, tellement éculé que ça a fini par se tasser, je reçois surtout ces temps-ci des trucs pour des assurances auto sans malus ou les nouveaux kits de sécurité pour le cas de panne sur autoroute et des machins du genre, c'est dire si ces trucs sont ciblés. Y a aussi de temps en temps des mails d'Ukrainiennes et de Biélorusses qui cherchent l'amour et tout ça, et qu'on devine poster leur texte bancal d'un cybercafé de Conakry. Ça se raréfie, ceci dit, les démembrements de fermes à bots ayant porté un peu de fruit.   Mais là, j'en ai eu un beau. Et la structure du truc montre qu'il a été généré par IA. On me sollicite pour un club de lecture. Très bien, on me sollicite aussi pour des médiathèques des salons...

Seul au monde, Kane ?

Puisque c'est samedi, autant poursuivre dans le thème. C'est samedi, alors c'est Robert E. Howard. Au cinéma. Et donc, dans les récentes howarderies, il manquait à mon tableau de chasse le Solomon Kane , dont je n'avais chopé que vingt minutes lors d'un passage télé, vingt minutes qui ne m'avaient pas favorablement impressionné. Et puis là, je me suis dit "soyons fou, après tout j'ai été exhumer Kull avec Kevin Sorbo , donc je suis vacciné". Et donc, j'ai vu Solomon Kane en entier. En terme de rendu, c'est loin d'être honteux Mais resituons un peu. Le personnage emblématique de Robert Howard, c'est Conan. Conan le barbare, le voleur, le pirate, le fêtard, le bon vivant, devenu roi de ses propres mains, celui qui foule de ses sandales les trônes de la terre, un homme aux mélancolies aussi démesurées que ses joies. Un personnage bigger than life, jouisseur, assez amoral, mais tellement sympathique. Conan, quoi. L'autre...

Hail to the Tao Te King, baby !

Dernièrement, dans l'article sur les Super Saiyan Irlandais , j'avais évoqué au passage, parmi les sources mythiques de Dragon Ball , le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest ) (ou Pèlerinage au Couchant ) (ou Légende du Roi des Singes ) (faudrait qu'ils se mettent d'accord sur la traduction du titre de ce truc. C'est comme si le même personnage, chez nous, s'appelait Glouton, Serval ou Wolverine suivant les tra…) (…) (…Wait…). Ce titre, énigmatique (sauf quand il est remplacé par le plus banal «  Légende du Roi des Singes  »), est peut-être une référence à Lao Tseu. (vous savez, celui de Tintin et le Lotus Bleu , « alors je vais vous couper la tête », tout ça).    C'est à perdre la tête, quand on y pense. Car Lao Tseu, après une vie de méditation face à la folie du monde et des hommes, enfourcha un jour un buffle qui ne lui avait rien demandé et s'en fut vers l'Ouest, et on ne l'a plus jamais revu. En chemin, ...

Une chronique de merde

J'ai eu une épiphanie. Genre, un bouleversement mental. Depuis toujours, je connais le mot "drokk" employé dans Judge Dredd. En tout cas depuis que je lis Judge Dredd, donc on se situe milieu des années 80, ou début de la deuxième moitié. C'est l'interjection classique de la série (employée aussi à l'occasion dans Dan Dare) et, dans une interview de je ne sais plus quel auteur anglais, lue il y a longtemps, il revenait là-dessus en disant "oui, c'était pour remplacer fuck parce qu'on pouvait pas mettre des gros mots et tout le monde comprenait". Notons que dans Battlestar Galactica, ils disent "frak" et ça revient au même.   Sauf  que non, les deux mots ne sont pas exactement équivalents. Le diable est dans les détails, hein ? Frak/fuck, ça tient. C'est évident. Par contre, Drokk il a une étymologie en anglais. Et ce n'est pas fuck. Il y a en vieux norrois, la langue des vikings, un mot, "droek" qui signifie grosso...

Frères humains qui après nous vivez

Tiens, je viens de voir les deux premiers épisodes de Real Humains sur Arte. Et j'ai plein de raisons de râler. Pas sur la série elle-même, hein, dont j'ai trouvé le scénar très malin, et la prod très efficace. Le look des Bots et la manière dont ils sont joués sont très bons, et tout le design joue à plein sur la métaphore technophile (déballage et mise en service du Bot, avec le mode d'emploi ouvert à côté, comme on déballe un ordi ou un téléphone portable, cales en polystyrène comprises), mais aussi sur tout un tas de métaphores sociales intriquées (le sous prolétariat immigré, l'alter-mariage, Alzheimer, etc.). Tout amateur de SF bien pensée devrait regarder cette série. Sur le fond, elle reste dans du classique : la garde malade trop zélée renvoie directement à des textes de Jack Williamson qui ne sont pas du tout récent ;  Les Humanoïdes datent de 1949, et Les Bras Croisés d'encore avant. La scène où le voisin fait planter la petite Anita, elle sort dir...

Le slip en peau de bête

On sait bien qu’en vrai, le barbare de bande dessinées n’a jamais existé, que ceux qui sont entrés dans l’histoire à la fin de l’Antiquité Tardive étaient romanisés jusqu’aux oreilles, et que la notion de barbare, quoiqu’il en soit, n’a rien à voir avec la brutalité ou les fourrures, mais avec le fait de parler une langue étrangère. Pour les grecs, le barbare, c’est celui qui s’exprime par borborygmes.  Et chez eux, d’ailleurs, le barbare d’anthologie, c’est le Perse. Et n’en déplaise à Frank Miller et Zack Snyder, ce qui les choque le plus, c’est le port du pantalon pour aller combattre, comme nous le rappelle Hérodote : « Ils furent, à notre connaissance, les premiers des Grecs à charger l'ennemi à la course, les premiers aussi à ne pas trembler d’effroi à la vue du costume mède ». Et quand on fait le tour des autres peuplades antiques, dès qu’on s’éloigne de la Méditerranée, les barbares se baladent souvent en falzar. Gaulois, germains, huns, tous portent des braies. Ou alo...