Accéder au contenu principal

Jamais d'oeufs sans trois

 Il m'arrive de temps à autres, vous l'aurez remarqué sans doute, de venir ici dégoiser sur la licence Alien, en général pour me plaindre de la façon dont elle a été maltraitée par la suite. C'est compliqué, la saga Alien, c'est un empilement de visions d'auteurs qui se sont suivies et télescopées.

 

Le troisième opus, première réalisation de David Fincher, a été particulièrement malmené, suite notamment à une production des plus chaotiques (François Theurel est récemment revenu dessus). Résultat de ces retards, dépassements de budgets, changements intempestifs de scénarios et clashes divers, le film Alien 3, sorti en salle en 1992 était, de l'avis de tous, très imparfait. Il prenait le risque de fâcher les fans de son prédécesseur, Aliens de James Cameron, en faisant bon marché des personnages introduits à l'époque, pour essayer de revenir aux sources, à une seule créature très menaçante, dans un environnement hostile, mais échouait à développer son univers.

Malgré beaucoup de belles idées formelles, une pure ambiance et de chouettes personnages, sans parler d'une photographie aux petits oignons, le film était complètement bancal. Pas incohérent, pas fondamentalement raté, mais clairement pas fini.

Il y a de ça un paquet d'années, j'avais pu voir un bout de la version longue, dans d'assez mauvaises conditions. Je n'avais pas été fort impressionné (au point qu'en me la remettant l'autre jour, j'ai brièvement eu l'impression d'être encore dans une autre version, il a fallu que j'aille vérifier). Et puis là, pour diverses raisons (notamment le fait que j'étais claqué à cause d'un boulot dont je me dépêtrais pas bien, et divers inquiétudes personnelles), je me suis remis devant, tranquille, pour me changer les idées sans quitter un territoire connu.

En plus, j'ai eu l'occasion de lire entretemps, y a quelques mois, la BD tirée du scénar original de William Gibson (auteur dont j'ai parlé dernièrement ici même), joli témoignage, en un sens, du bordel qu'a été cette production. Je suis pas hyper fan de cette BD, d'ailleurs, on sent que Gibson n'est pas à l'aise avec l'exercice, et s'intéresse plus au contexte (toujours très schématiques dans les Alien) qu'à la créature elle-même.


 

Et donc, j'ai vu l'Assembly Cut, qui n'est pas à proprement parler un "director's cut", mais qui tente de se rapprocher au plus près de ce qu'aurait dû être Alien3 si Fincher avait pu aller au bout de son film.

Si certains des défauts subsistent (la mort de Hicks et Newt au premier chef), et d'autres apparaissent (le chien n'existe pas dans cette version, mais une des séquences n'a de sens que si l'un des taulards croit l'avoir retrouvé) mais le film prend enfin le temps de s'installer, et les personnages sont développés, ainsi que leurs relations. Leurs morts comptent nettement plus dès lors. Et il y a toute une belle séquence au milieu au cours de laquelle les taulards parviennent à piéger la créature. De même, la relation entre Ripley et le toubib (joué par le toujours impeccable Charles Dance) me semble mieux construite (mais je n'ai pas revu la version de base depuis des années, peut-être que je me fais des idées).

Bref, j'ai passé un bon moment à me replonger dans cette portion de l'univers, avec ses gueules improbables et son ambiance particulière. Fincher, à l'époque, a failli y laisser sa carrière, mais on sent déjà nettement le réalisateur au sens visuel très marqué, et à la narration solide. Surtout, cette version fait vraiment exister cet énorme complexe industriel quasi vide, réduit à l'état d'épave contenant d'autres épaves plus esquintées encore.

De façon très intéressante, le film développe, par le biais de ces prisonniers qui se raccrochent à la foi et à leur groupe, une approche symbolique et mystique. L'alien devient le "dragon", un héraut apocalyptique descendu dans leur enfer pour mettre à l'épreuve une dernière fois ces pauvres pêcheurs, tous des repris de justice condamnés pour des faits d'une extrême gravité. Mais tout est traité sous l'angle de la métaphore, quand bien même certains des personnages affectent d'y croire. Il y a assez de voix discordantes pour que le film n'en soit pas à marteler un quelconque message. Cette belle économie sera hélas oubliée dans les opus les plus récents, appuyant par trop lourdement leur symbolisme univoque.

Bref, un film mal aimé, qui reprend forme et une place honorable dans la saga, bouclant ce qui aurait pu rester une trilogie efficace et inscrite dans un âge d'or du cinéma d'action. La (les) suite en aura décidé autrement, quand Ripley sera passée en mode replay.



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La fille-araignée

Tiens, ça fait une paye que j'avais pas balancé une nouvelle inédite... Voilà un truc que j'ai écrit y a 6 mois de ça, suite à une espèce de cauchemar fiévreux. J'en ai conservé certaines ambiances, j'en ai bouché les trous, j'ai lié la sauce. Et donc, la voilà... (et à ce propos, dites-moi si ça vous dirait que je fasse des mini-éditions de certains de ces textes, je me tâte là-dessus) Elle m’est tombée dessus dans un couloir sombre de la maison abandonnée. Il s’agissait d’une vieille villa de maître, au milieu d’un parc retourné à l’état sauvage, jouxtant le canal. Nul n’y avait plus vécu depuis des décennies et elle m’avait tapé dans l’œil un jour que je promenais après le travail, un chantier que j’avais accepté pour le vieil épicier du coin. J’en avais pour quelques semaines et j’en avais profité pour visiter les alentours. Après avoir regardé autour de moi si personne ne m'observait, je m’étais glissé dans une section effondrée du mur d’enceinte, j’...

Au ban de la société

 Tiens, je sais pas pourquoi (peut-être un trop plein de lectures faites pour le boulot, sur des textes ardus, avec prise de note) j'ai remis le nez dans les Justice Society of America de Geoff Johns, période Black Reign . J'avais sans doute besoin d'un fix de super-héros classique, avec plein de persos et de pouvoirs dans tous les sens, de gros enjeux, etc. Et pour ça, y a pas à dire JSA ça fait très bien le job. La JSA, c'est un peu la grand-mère des groupes super-héroïques, fondée dans les années 40, puis réactivée dans les années 60 avec les histoires JLA/JSA su multivers. C'étaient les vieux héros patrimoniaux, une époque un peu plus simple et innocente. Dans les années 80, on leur avait donné une descendance avec la série Infinity Inc . et dans les années 90, on les avait réintégrés au prix de bricolages divers à la continuité principale de DC Comics, via la série The Golden Age , de James Robinson et Paul Smith, qui interprétait la fin de cette époque en la...

La fin du moooonde après la fin de l'année

 Ah, tiens, voilà qu'on annonce pour l'année prochaine une autre réédition, après mon Cosmonautes : C'est une version un peu augmentée et au format poche de mon essai publié à l'occasion de la précédente fin du monde, pas celle de 2020 mais celle de 2012. Je vous tiens au courant dès que les choses se précisent. Et la couve est, comme de juste, de Melchior Ascaride.

Perte en ligne

 L'autre soir, je me suis revu Jurassic Park parce que le Club de l'Etoile organisait une projo avec des commentaires de Nicolas Allard qui sortait un chouette bouquin sur le sujet. Bon outil de promo, j'avais fait exactement la même avec mon L'ancelot y a quelques années. Jurassic Park , c'est un film que j'aime vraiment bien. Chouette casting, révolution dans les effets, les dinos sont cools, y a du fond derrière (voir la vidéo de Bolchegeek sur le sujet, c'est une masterclass), du coup je le revois de temps en temps, la dernière fois c'était avec ma petite dernière qui l'avait jamais vu, alors qu'on voulait se faire une soirée chouette. Elle avait aimé Indiana Jones , je lui ai vendu le truc comme ça : "c'est le mec qui a fait les Indiana Jones qui fait un nouveau film d'aventures, mais cette fois, en plus, y a des dinos. Comment peut-on faire plus cool que ça ?" Par contre, les suites, je les ai pas revues tant que ça. L...

Matin et brouillard

On sent qu'on s'enfonce dans l'automne. C'est la troisième matinée en quelques jours où le fleuve est couvert d'une brume épaisse qui rend invisible le rideau d'arbres de l'autre côté, et fantomatique tout ce qui est tapi sur les quais : voiture, bancs, panneaux. Tout a un contraste bizarre, même la surface de l'eau, entre gris foncé et blanc laiteux, alors qu'elle est marronnasse depuis les inondations en aval, le mois dernier. Une grosse barge vient de passer, j'entends encore vaguement dans le lointain son énorme moteur diesel. Son sillage est magnifique, dans cette lumière étrange, des lignes d'ondulations obliques venant s'écraser, puis rebondir sur le bord, les creux bien sombre, les crêtes presque lumineuses. Elles rebondissent, se croisent avec celles qui arrivent, et le jeu de l'interférence commence. Certaines disparaissent d'un coup, d'autres se démultiplient en vaguelettes plus petites, mais conservant leur orienta...

Au nom du père

 Tout dernièrement, j'ai eu des conversations sur la manière de créer des personnages. Quand on écrit, il n'y a dans ce domaine comme dans d'autre aucune règle absolue. Certains personnages naissent des nécessité structurelle du récit, et il faut alors travailler à leur faire dépasser leur fonction, d'autres naissent naturellement d'une logique de genre ou de contexte, certains sont créés patiemment et se développent de façon organique et d'autres naissent d'un coup dans la tête de leur auteur telle Athéna sortant armée de celle de Zeus. Le Père Guichardin, dans les Exilés de la plaine , est un autre genre d'animal. Lui, c'est un exilé à plus d'un titre. Il existe depuis un sacré bail, depuis bien avant le début de ma carrière d'auteur professionnel. Il est né dans une nouvelle (inédite, mais je la retravaillerai à l'occasion) écrite il y a plus d'un quart de siècle, à un moment où je tentais des expériences d'écriture. En ce temp...

IA, IA, Fhtagn

 En ce moment, je bosse entre autres sur des traductions de vieux trucs pulps apparemment inédits sous nos latitudes. C'est un peu un bordel parce qu'on travaille à partir de PDFs montés à partir de scans, et que vu le papier sur lequel étaient imprimés ces machins, c'est parfois pas clean-clean. Les illustrateurs n'avaient  vraiment peur de rien Par chance, les sites d'archives où je vais récupérer ce matos (bonne nouvelle d'ailleurs archive.org qui est mon pourvoyeur habituel en vieilleries de ce genre, semble s'être remis de la récente attaque informatique qui avait failli m'en coller une. d'attaque, je veux dire) ont parfois une version texte faite à partir d'un OCR, d'une reconnaissance de caractère. Ça aide vachement. On s'use vachement moins les yeux. Sauf que... Ben comme c'est de l'OCR en batch non relu, que le document de base est mal contrasté et avec des typos bien empâtées et un papier qui a bien bu l'encre, le t...

Sorties

Hop, vite fait, mes prochaines sorties et dédicaces : Ce week-end, le 9 novembre, je suis comme tous les ans au Campus Miskatonic de Verdun, pour y signer toute mon imposante production lovecraftienne et sans doute d'autres bouquins en prime.   Dimanche 1er décembre, je serai au Salon des Ouvrages sur la BD à la Halle des blancs manteaux à Paris, avec mes vieux complices des éditions La Cafetière. Je participerai également à un Congrès sur Lovecraft et les sciences, 5 et 6 décembre à Poitiers.

Deux-ception

 C'est complètement bizarre. Je rêve de façon récurrente d'un festival de BD qui a lieu dans une ville qui n'existe pas. L'endroit où je signe est dans un chapiteau, sur les hauteurs de la ville (un peu comme la Bulle New York à Angoulème) mais entre cet endroit et la gare routière en contrebas par laquelle j'arrive, il y a un éperon rocheux avec des restes de forteresse médiévale, ça redescend ensuite en pente assez raide, pas toujours construite, jusqu'à une cuvette où il y a les restaus, bars et hôtels où j'ai mes habitudes. L'hôtel de luxe est vraiment foutu comme ça sauf que la rue sur la droite est en très forte pente Hormis l'avenue sur laquelle donne l'hôtel de luxe (où je vais boire des coups dans jamais y loger, même en rêve je suis un loser), tout le reste du quartier c'est de la ruelle. La géographie des lieues est persistante d'un rêve à l'autre, je sais naviguer dans ce quartier. Là, cette nuit, la particularité c'ét...

Et merde...

J'avais une idée d'illus sympa, un petit détournement pour mettre ici et illustrer une vacherie sur notre Leader Minimo, histoire de tromper l'ennui que distille cette situation pré insurrectionnelle pataude et molle du chibre dans laquelle tente péniblement de se vautrer l'actualité. Et donc, comme de juste en pareil cas, je m'en étais remis à gougueule pour trouver la base de mon détournement. Le truc fastoche, un peu potache, vite fait en prenant mon café. Sauf que gougueule est impitoyable et m'a mis sous le nez les oeuvres d'au moins deux type qui avaient exactement eu la même idée que moi. Les salauds. Notez que ça valide mon idée, d'une certaine façon. Mais quand même. C'est désobligeant. Ils auraient pu m'attendre. C'est un de ces cas que mon estimable et estimé collègue, le mystérieux J.W., appelle "plagiat par anticipation". Bon, c'est plutôt pas mal fait, hein. Mais ça m'agace.