Qui c'est, ce « Il » ?
C'est Thanos, bien sûr, un des bad guys ultimes de chez Marvel tant
par la charisme que par la puissance de feu. Il nanifie les Bouffons
Verts, les Magnéto et autres Crâne Rouge. À côté de lui, ils ne
sont rien, des nuisances mineures, tout au plus des moustiques
insignifiants.
Lui, quoi
Quand Jim Starlin crée
Thanos dans les pages d'Iron Man en 1973, il se livre à
l'époque à un démarquage du Darkseid créé deux ans auparavant
par Jack Kirby dans le cadre de son Quatrième Monde. Ce ne
sera pas la dernière fois qu'il se livrera à l'exercice,
d'ailleurs : Mongul, dans DC Comics Presents, et le Lord
Papal, dans Dreadstar, suivront bientôt, à quelques années
d'intervalle. Qu'ont-ils en commun avec le maître d'Apokolips ?
Ce sont des êtres amoraux au physique massif et au potentiel
destructeur apocalyptique.
Non, Thanos… Je suis ton père…
Chacun a pourtant ses
propres particularités. Le Lord Papal est un dignitaire religieux,
maître d'une Eglise de l'Instrumentalité conquérante et
totalitaire qui fait de lui aussi un frère de ce Magus
qu'affrontèrent en leur temps Thanos et Warlock. Mongul, pour sa
part, est une brute, un potentat planétaire arrivé à la force du
poignet, et qui a fini par s'emparer d'une arme ultime.
Thanos, s'il leur
ressemble, est d'une autre trempe, ne serait-ce que pas son
intelligence acérée.
Mais pour comprendre ce
qu'est réellement Thanos, et quelle est sa spécificité, il faut
peut-être en revenir à son modèle.
Darkseid est un méchant
assez atypique, dans l'univers des comics. S'il se présente comme un
dictateur redoutablement intelligent, ce qui fait de lui, à la base,
une version surgonflée du docteur Fatalis, ses mobiles sont d'une
très haute portée : sa quête personnelle est celle de
l'équation d'Anti-Vie, la formule permettant rien moins que
l'asservissement total et définitif de toute conscience dans
l'Univers, sa sujétion intégrale à une volonté unique, celle de
Darkseid, la réalisation d'un panthéisme noir.
Aucun de ses imitateurs
ne peut se hisser à ce niveau, sauf un : Thanos de Titan. Mais
même ainsi, Thanos est d'une autre nature que Darkseid. Le Titan fou
est en effet en quête de mort, et pas d'Anti-Vie. Et ce n'est pas du
tout la même chose. Darkseid n'est pas un nihiliste, contrairement à
Thanos, et ses plans ne laissent pas de place au doute ni au
sentiment. L'Anti-Vie est pour lui un outil, un moyen non pas de
détruire la vie, mais de la réduire à une mécanique régulière
et bien huilée. La Mort, pour Thanos, est l'objet d'un amour
exclusif et sans borne, et surtout à sens unique, ce qui fait de lui
un être dévoré par le doute, à l'image de soi forcément
dégradée. Plus curieusement, cela fait de lui un esthète, aussi,
quelqu'un qui pourra s'arrêter un instant et contempler les choses
pour ce qu'elles sont, ce qu'on n'imaginerait pas Darkseid faire. Car
Darkseid, c'est l'utilitarisme poussé dans ses derniers
retranchements, et là se situe la vraie différence avec Thanos qui
est un romantique torturé, quelqu'un dont les actes présenteront
toujours une part de gratuité et de panache.
J'ai toujours bien aimé Mongul, mais lui, il est aussi primaire qu'une classe de CP
Par ailleurs, Darkseid
est quelqu'un de très entouré. C'est un dieu, et en tant que tel,
il fait partie d'un panthéon. Il a une véritable armée de sbires
spécialisés, du tortionnaire tortueux Desaad à la marâtre
malfaisante Granny Goodness, en passant par le propagandiste
prétentieux Glorious Godfrey. Thanos peut avoir des lieutenant, mais
il ne leur déléguera rien, ou alors quelques tâches salissantes et
dangereuses. Ils sont de toute façon sacrifiables et totalement
interchangeables. Il se trouvera des alliés quand il en aura besoin,
pourra même établir avec eux des apports si ce n'est d'amitié, du
moins de respect, mais il est au fond un grand solitaire, qui se
retirera souvent pour méditer en contemplant sa vie et les étoiles
entre lesquelles il l'a vécue.
Et puis si Thanos est
le « Titan Fou », cela marque bien la nuance qui le
séparera à tout jamais de Darkseid : sa quête d'amour dans la
mort est en effet complètement irrationnelle, et lui-même en est
conscient. De son côté, nul n'irait qualifier Darkseid de fou. Il
est bien trop calculateur, froid et méthodique pour ça, et il est
lancé dans une quête bien trop utilitaire. Sa mégalomanie
elle-même n'est qu'un des moyens permettant d'arriver à cette fin,
puisqu'elle entraîne ce culte de la personnalité qui soude ses
troupes et qui n'est qu'un outil de contrôle de plus dont la
conséquence (la vénération qu'on lui porte) lui est relativement
indifférente.
À la clé, il y a bien
sûr une différence de générations entre les créateurs des deux
personnages. Jack Kirby est déjà en fin de carrière quand il crée
Darkseid. C'est pour lui un aboutissement, la quintessence de
personnages qu'il a développés auparavant comme Fatalis ou
Annihilus. Darkseid s'inscrit dans une série de constructions
mythologiques à chaque fois plus poussées, dont la culmination est
le Quatrième Monde d'un côté et les Eternals de
l'autre.
Par contre, quand il
créée Thanos, Jim Starlin est un petit nouveau cherchant à imposer
son style, un de ces auteurs qui émergent alors que Marvel est en
pleine mutation, les grands créateurs historiques étant à l'époque
partis ou en retrait. Avec Thanos, il tient un personnage bien à
lui, dont il va développer la saga sur quatre décennies.
Au départ, il ressemble à ça
Il y a plusieurs
périodes dans la Geste de Thanos, qu'on peut assez facilement
différencier. Sa saga comprend trois chapitres très distincts.
D'abord, l'époque
allant de son apparition dans les pages d'Iron Man et de
Marvel Two in One à sa
pétrification par le spectre de Warlock, dans Marvel Two
in One annual n°2. S'étendant
de 1973 à 1977 et sur plusieurs séries, c'est la saga de Thanos
originale, c'est un bloc qui n'appelle même pas de suite, et elle a
un goût de tragédie classique. Thanos apparaît comme menace
diffuse orchestrant une agression contre Iron Man. Puis sa présence
se fait de plus en plus pesante, jusqu'à ce que Captain Marvel
mettre fin à une tentative du Titan Fou de devenir rien moins que
Dieu. Par la suite, ce dieu déchu part en guerre contre une église
cosmique, avant de s'emparer des Pierres de l'Âme pour se lancer
dans une campagne de vandalisme à l'échelle galactique. Il est
arrêté par une coalition des Vengeurs, de Captain Marvel, de
Warlock, de Spider-Man et de la Chose. Il fallait au moins ça pour
l'arrêter. Mais Thanos ne meurt pas : il est pétrifié, encore
semi conscient dans sa forme de pierre, et l'amour de sa vie, la
Mort, lui restera inaccessible à tout jamais.
La tragédie du titan taré
Starlin
donne un épilogue à la saga dans le graphic novel
La Mort de Captain Marvel, où l'on voit le corps pétrifier du
méchant faire l'objet d'un culte idolâtre, mais aussi son esprit
servir de psychopompe à celui du Captain qui fut l'un de ses plus
redoutables adversaires. La mort aurait-elle enfin accueilli son
soupirant en son ténébreux royaume ?
Par
la suite, Roger Stern jouera avec l'idée de l'héritage de Thanos,
lui inventant une petite fille, Nébula, et montrant ses anciens
sbires utiliser les armes qu'il a laissées derrière lui.
La
deuxième période s'ouvre en 1990 quand Starlin revient à la charge
dans les pages de la série régulière consacrée au Surfer
d'Argent. La Mort redonne vie au Titan Fou pour lui confier une
mission à son service, et pour l'accomplir il se donne des moyens
démesurés : il récupére à nouveau les Pierres de l'Âme,
renommées Pierres d'Infinité, et redevient Dieu dans les séries
Thanos Quest et
Infinity Gauntlet. Une
coalition de toutes les puissances de l'univers réussit à en venir
à bout, profitant surtout de ses failles intérieures. Car Thanos
est un être profondément blessé et malheureux (encore une
différence avec son modèle) et cela le rend curieusement
vulnérable. Il décide alors de prendre le temps de méditer et de
s'assagir, et combattra par la suite aux côtés des héros face à
des menaces démesurées. Mais il n'est pas un héros pour autant, et
continue à poursuivre des buts personnels et fort ésotériques,
mais qui en font une sorte de protecteur de l'univers à son corps
défendant.
Cette
période prend fin abruptement, sur une histoire de Thanos en quête
de rédemption, mais n'hésitant pas à recourir à la manipulation
la plus tortueuse pour arriver à ses fins. Puis Starlin se fâche
durablement avec Marvel et s'en va chez DC pour réactiver une de ses
vieilles créations, The Weird tout en dézinguant les New Gods.
Sinon, le Lord Papal ressemblait à ça
Y a comme un air de famille
Les
auteurs Marvel ont alors le champ libre, et de Keith Giffen à Dan
Abnett et Andy Lanning, ils vont se servir du personnage dans des
sagas cosmiques comme Annihilation ou
Thanos Imperative. Thanos y
devient un personnage trouble, aux mobiles flous, et auquel Jason
Aaron voudra donner de nouvelles origines dans le cadre de Marvel
Now.
Sa
querelle avec l'éditeur s'étant enfin apaisée, Starlin revient.
Une fois encore, il doit faire avec le chantier laissé en son
absence par ceux qui ont fait mumuse avec sa créature. En 1990, il
avait réexpliqué Nébula. Au début des années 2000, il avait mis
une mort de Thanos survenue dans Thor
sur le compte de doubles robotiques partis en vrille (et exploré
l'idée plus avant dans Gouffre d'Infini).
Là, il doit faire avec Thane, le fils de Thanos introduit par
Hickman dans le crossover Infinity.
Et
il reformate son petit univers. Infinity Revelation
est un prologue, redistribuant les cartes en créant des doubles et
des ambiguïtés nouvelles. Une troisième période de la vie du
personnage s'ouvre.
Quelles
surprises nous réserve-t-elle ?
Cet article date de 2015, c'est pourquoi il ne mentionne pas les récents développement sur Thanos par Jeff Lemire et consorts, ainsi que ce qu'ont fait dernièrement Starlin et Alan Davis.
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