Dernièrement, dans l'article sur les Super Saiyan Irlandais, j'avais évoqué au passage, parmi les sources mythiques de Dragon Ball, le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest) (ou Pèlerinage au Couchant) (ou Légende du Roi des Singes) (faudrait qu'ils se mettent d'accord sur la traduction du titre de ce truc. C'est comme si le même personnage, chez nous, s'appelait Glouton, Serval ou Wolverine suivant les tra…) (…) (…Wait…).
Ce titre, énigmatique
(sauf quand il est remplacé par le plus banal « Légende du
Roi des Singes »), est peut-être une référence à Lao
Tseu. (vous savez, celui de Tintin et le Lotus Bleu, « alors
je vais vous couper la tête », tout ça).
C'est à perdre la
tête, quand on y pense.
Car Lao Tseu, après
une vie de méditation face à la folie du monde et des hommes,
enfourcha un jour un buffle qui ne lui avait rien demandé et s'en
fut vers l'Ouest, et on ne l'a plus jamais revu. En chemin, il prit
juste le temps de dicter le résultat de ses cogitations au douanier
qui est la dernière personne à l'avoir aperçu, et la philosophie
qui s'en dégage est appelée « taoïsme ».
Cet ouvrage s'appelle
Tao Te King (ou Tao
Tö King, d'ailleurs. Même en
traduction Chinois-Chinois ça déconne, maintenant, merde!),
ce qui signifie grosso-modo « livre de la voie et de la
vertu ». Parce que chez les Chinois, qui ne font rien comme
tout le monde, « king » signifie « livre »,
alors que chez nous, ça signifie Jack Kirby ou Elvis (et on le sait
moins, mais chez les Sumériens, une personne de dignité royale se
disait « King-Al », c'est rigoureusement authentique je
vous le jure sur une pile de bibles dépareillées) (et parfois Lug-Al, alors si on rapproche Lug de Kirby, c'est explosion de cosmos intérieur pour le même prix, moi je dis).
Mais en tout cas, on
est en droit de se poser la question : voyages vers l'Ouest dans
les deux cas, est-ce une coïncidence ? Le Voyage en Occident
du Roi des Singes est-il au fond une œuvre taoïste, une allusion
subtile à Lao Tseu ?
Méfiez-vous quand
même, la maîtrise totale de son corps,
c'est un truc à se faire
racheter par le Qatar.
Qui est le Roi des
Singes, ou le Singe de Pierre ? Un personnage qui, dans sa
méconnaissance des usages, va semer le chaos et montrer l'arbitraire
et l'inanité de ceux-ci. C'est un personnage totalement libre, sans
entraves, prenant une posture qui ne semble absurde que parce que le
monde qu'il explore est plus absurde encore que lui (on ne se rend
pas compte du côté dynamite que ça peut représenter dans la Chine
confucéenne où toute chose doit être à sa place et s'y tenir).
Cette affirmation de la vacuité et de l'absurdité du monde, à
laquelle on répond par un relativisme radical et un côté Marcel
Duchamp, c'est le Tao. Quoique. Le Tao lui-même échappe aux
affirmations aussi péremptoires. Mais c'est néanmoins la voie du
taoïste sérieux.
Car plus il est
sérieux, moins le taoïste cherche à en avoir l'air. Il peut
sembler dissipé, s'habille éventuellement comme un clochard, et ne
recherche pas les honneurs. De préférence, il a l'air à l'Ouest,
tout se recoupe. Le taoïste va chercher la vacuité propre, comme le
bouddhiste, ou plus précisément le non-être. Car à l'instar du
Tao lui-même, le taoïste fuit les définitions trop précises. Il
préfère être vague, indéterminé, en un mot assez Schrödingerien
pour qu'un physicien se mêle d'écrire un jour un Tao des
Particules. Et d'ailleurs on trouve d'autant mieux le Tao qu'on
ne le cherche pas activement, et nous y reviendrons.
Pourtant, l'épilation
sourcils à la cire froide,
l'esthéticienne du coin le fait pour
trois yuan,
alors ils n'ont pas d'excuse, les vioques.
L'exemple type du
taoïste nous est donné par le poète Li-Po (ou Li-Baï, ici encore,
faudrait que les traducteurs se mettent d'accord), qui a été
confident d'empereur, proscrit, rebelle, ermite en quête de vérité,
et mort bêtement alors qu'il était rappelé d'exil : en
tentant d'embrasser le reflet de la Lune à la surface du lac qu'il
traversait en bateau (à sa décharge, il était pété comme un
coing). Nombreux sont ceux qui voient dans cette fin une métaphore
de ce en quoi il croyait profondément. Car une grande partie de sa
vie, il avait cherché le Tao en grimpant au sommet des montagnes.
Peut-être l'a-t-il trouvé en plongeant au fond d'un lac.
Un peu déprimé, il
avait écrit quelques temps avant : « Les savants et les
sages de l'antiquité n'ont eu que le silence et l'oubli pour partage
/ Il n'est que les buveurs dont le nom passe à la postérité. »
De nos jours encore, ce
personnage méprisé en son temps (à l'époque de Pépin le Bref,
par chez nous) à la cour impériale demeure un des très grands
poètes chinois.
Mais l'exemple moderne
de ce genre de personnage, on le croise plutôt de nos jours dans des
films de kung-fu. Car le maître chinois à barbe blanche et aux
sourcils démesurés, acariâtre et parfois (en apparence) alcoolique
au dernier degré, ce maître en arts martiaux qui préfère demander
à son disciple de briquer le sol ou de porter des cruches démesurées
(et pleines de flotte, tant qu'à faire) est totalement taoïste.
Se faire installer
l'eau courante chez soi, est-ce se couper du Non-Être ?
Et généralement, il
apprend à son disciple une version du kung-fu plus passive que celle
de ses adversaires, un kung-fu qui ne se réjouit pas de la violence
et ne poursuit pas le gain immédiat. Le non-être se mue ici en
désintéressement. S'il y a une histoire de vengeance personnelle à
la clé, elle se transforme généralement en sauvetage d'un village,
etc. La vengeance ne devient au final qu'une propriété émergente
du parcours du héros.
Et surtout, après des
mois à porter des jarres et à briquer les parquets en râlant, le
disciple découvre qu'il s'est forgé le caractère et durci le
corps. Il a même commencé à apprendre les fondamentaux du kung-fu
sans s'en rendre compte. Il a appris le kung-fu par le non-kung-fu.
C'est complètement taoïste dans le principe. Et le disciple, au
bout du compte, en sort normalement grandi (ou complètement alcoolo
à son tour, comme on le suppose dans les Drunken Master).
Une variante, c'est Yen
le taoïste chasseur de fantômes d'Histoire de Fantômes Chinois
(en tout cas le vrai, pas le
remake, je l'ai pas vu, vous me direz). Mais lui, en plus, il
chante, quand il ne vole pas et ne lance pas son sabre. Il faut
l'avoir vu en action au moins une fois dans sa vie.
Notons que les célèbres
moines de Shaolin, adeptes eux aussi du kung-fu, sont plutôt
bouddhistes. Mais ça se recoupe peut-être, vu que certains taoïstes
pensent qu'après être parti de Chine, Lao-Tseu a échoué en Inde
et que c'est à son enseignement que Bouddha doit tout. Allez savoir.
Le stade
ultime du taoïste, tel que vu par notre culture occidentale (donc,
d'une certaine manière, au bout du voyage vers l'Ouest), c'est
peut-être Yoda. Ses aphorismes semblent souvent tirés du Tao Te
King et il pratique plus qu'à son tour l'insignifiance
personnelle et l'enseignement indirect. Yoda n'est pas un guerrier,
parce que justement Luke Skywalker en recherche un. Tout comme
l'Obi-Wan cénobite, il joue à l'ermite à moitié foldingot qui
décourage les visiteurs. Ni guerrier, ni grand, il demande à son
disciple de soulever des cailloux et de porter des gnomes en
crapahutant dans les marais. Et la temporalité des Star Wars
étant ce qu'elle est (c'est à dire incohérente), il suffit
d'apparemment quelques jours pour dégoûter ce sale gosse de
Skywalker (un trait familial, semble-t-il), mais heureusement, le
vrai enseignement était ailleurs, et quand il revient la queue entre
les jambes et la main aux abonnés absents, le jeune disciple est en
fait déjà formé. L'enseignement par le non-être est un
non-enseignement signifiant dans sa plus pure expression, quasiment
du niveau d'un psychanalyste lacanien ou d'un moniteur de bronzage de
Lacanau.
Pourtant,
la Force (mélangeant côté obscur et côté lumineux dans le plus
pur style Yin/Yang) produit-elle par nature vraiment des taoïstes ?
En fait, nos Jedi semi-clochardisés (ou semi-clochards célestes un
peu beatniks) vivant en exil sont dans la même situation que Li-Po
le poète, qui avait goûté aux fastes de la cour impériale avant
d'en être ignominieusement chassé. Ce n'est que livré à lui-même
qu'il se mit réellement en quête des grands maîtres du Tao (même
s'il avait été très taoïste dès le départ) et qu'il se
dépouilla de ses dernier oripeaux mondains.
Non, ils mettront
jamais la Tsingtao au robinet, faut pas rêver, mon gars.
Nos Jedi
n'avaient même pas cette fibre taoïste au départ. Quand on regarde
opérer le conseil Jedi dans la Prélogie Star Wars, on y voit
plus des confucéens que des taoïstes, c'est à dire en schématisant
des emmerdeurs droits dans leurs bottes c'est comme ça et pas
autrement et vous n'avez pas l'âge requis et veuillez nous
transmettre votre taux de midichloriens en trois exemplaires avant la
date limite merci le cachet de la poste faisant foi. Des mandarins
imbus de leur caste, comme ceux qui avaient pourri la vie de Li-Po.
Le seul à
sortir un peu du lot, c'est Qui-Gon Jinn (dont le nom évoque, comme
par hasard, une gymnastique chinoise inspiré du Tao, même si elle a
été développé par les moines Shaolin. Tout se recoupe, mais
tellement dans tous les sens qu'on dirait une baston entre Serv… le
Glou… Wolve… machin, là, avec les griffes, et son copain l'homme
à la touffe de sabre). Qui-Gon, on s'en souvient, est le premier à
se faire déglinguer dans ce qui deviendra par la suite une purge à
grande échelle des Jedi, alors qu'il était quand même un peu
l'outsider, un peu celui qui était tao. Et une fois le massacre
consommé, les survivants vont suivre son exemple et accéder à un
état autre, une plénitude qui semble bien plus grande que celle de
leurs camarades décadents et confits dans leurs certitudes.
De toute façon, sur la
fin, les Jedi ils avaient vachement baissé.
(dessin de Zaitchick)
Au point qu'ils
deviennent les plus grands des Jedi, et acquièrent une forme
d'immortalité, par-delà la mort elle-même.
Comme le dit le Tao
Te King :
Le saint se met
en arrière.
Il est donc mis en
avant.
Il néglige son moi
et son moi se
conserve.
Trop fort, hein ?
Et je vous avait dit que le clodo Li-Po, qui avait cherché toute sa
vie les maîtres de l'immortalité taoïste, sans les trouver, était
considéré à présent comme l'un des plus grands poètes de tous
les temps en Chine, et qu'il jouissait donc de cette immortalité si
particulière réservée aux grands génies et aux grandes crapules ?
Non ? Ben maintenant vous savez.
Article publié une première fois en 2016 sur Comics Sanctuary
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