Accéder au contenu principal

Relativisons avec Cüneyt Arkin

Ayant découvert avec horreur qu'un de mes vieux articles mis en ligne il y a des années, puis réuploadé suite au naufrage du vieux forum de Superpouvoir avait perdu toute son iconographie*, je me suis dit qu'il fallait y remédier. Et donc, revoici pour vos yeux ébahis et sous un tonnerre d'applaudissement ma critique d'un superbe film de capes et d'épées turc.



Le Star Wars Turc n'était qu'un épiphénomène particulier dans l'immense et tentaculaire carrière du plus grand héros d'action anatolien de tous les temps : l'immense Cüneyt Arkin !

Alors que la politique de nos jours semble essentiellement consister à pointer du doigt l'autre, dans sa culture et même sa civilisation, pour se goberger d'une illusoire supériorité basée sur des clichés rassis, j'ai décidé qu'il serait amusant de voir les clichés que véhiculent à propos de l'occident chrétien d'autres peuples avec lesquels les rapports sont parfois conflictuels. 



L'objet du délit de la semaine

Prenons, complètement au hasard, ça va de soi, la Turquie. Membre indispensable de l'OTAN, aux portes de l'Europe et frappant d'ailleurs à la porte de l'UE, ce pays est chargé d'histoire. Dans les campagnes des Balkans, le grand méchant Turc au couteau entre les dents est un méchant d'anthologie. En Grèce, ça reste même l'adversaire ancestral, celui sur le dos duquel on colle toutes les avanies. Pourtant, c'est le pays musulman qui est allé le plus loin dans la laïcité, la démocratie et la modernité, malgré quelques ratés**.

Pendant des décennies, la Turquie a eu sa propre industrie cinématographique. Le cinéma turc force l'admiration du connaisseur, plus encore que celui de Bollywood. Avec des budgets en dessous du misérable, les cinéastes du cru nous ont livré comédies, drames sociaux, films de genre, et même remakes pur et simples de succès américains. On se souviendra de Sheitan, le remake turc de l'Exorciste, ou de ce Star Wars aberrant que tout amateur de Z se doit d'avoir vu au moins une fois dans sa vie, et dont ces colonnes se sont fait l'écho.

You know what ? I'm the hero


Cüneyt Arkin, le Alain Delon local, a joué dans ce Star Wars, mais aussi dans un nombre quasiment incalculable de films de capes et d'épées, dont plusieurs consacrés à Battal Gazi, un héros folklorique de la région. C'est un de ces films qui m'a interpellé, puisqu'à notre époque où le méchant numéro un des films d'actions est le méchant terroriste musulman (y compris à Bollywood, avec les affreux Pakistanais qui mettent en danger de pures jeunes filles au teint de cuivre et aux yeux de biche), il peut s'avérer intéressant d'inverser le point de vue.

Ainsi, dans Battal Gazi'nin Intikami, les féroces soldats qu'on entend mugir dans les campagnes d'Anatolie, ce sont de méchants croisés, la barbe abondante (on peut donc supposer qu'ils sont Grecs, ou pour le moins orthodoxes de rite grec), l'oeil cruel et l'épée affilée. Ces grands méchants viennent ravager de paisibles villages turcs, massacrant leurs habitants, réduisant en esclavage leurs enfants, pour en faire des guerriers qui poursuivront le combat de leurs nouveaux maîtres. La femme de Battal (joué par Cüneyt Arkin) est crucifiée et brûlée vive sous les yeux de son héros de mari. Ce dernier réussit à se libérer, mais trop tard. Il est finalement embastillé, s'évade, réunit de joyeux compagnons, et ourdit sa vengeance. Confronté à son fils, dont le cerveau a été lavé par ces chiens d'infidèles venus de l'Ouest, il réussit à réveiller sa fibre ancestrale (Battal Junior, je suis ton père !) et à vaincre tous ces méchants cochons de roumis.


Les méchants, c'est eux. Donc nous.

Le résultat se laisse regarder. C'est un bon vieux film de capes et d'épées bien premier degré, avec histoire de vengeance et batailles homériques, et c'est clairement pas plus con dans la dialectique que la plupart des films avec Steven Seagal.



Hé, vous me reconnaissez ?

La production est clairement tiers-mondiste (il n'y a qu'à voir les accessoires et les costumes) et la réalité historique n'est semble-t-il pas la préoccupation principale dans l'affaire. Les costumes sont rigolos, mais ne renvoient à aucune période précise (se mêlent chemises du XVIIIe, casques romains et robes évoquant les Templiers), et les méchants sont tellement caricaturaux qu'on n'imagine même pas que les pires soudards de Vlad Drakul puissent leur ressembler. C'est ce qui est d'ailleurs intéressant. Parce que si, par chez nous, certains véhiculent une vision bien méprisante du levantin onctueux, fourbe et fanatique, les méchants de ce film sont la façon dont nous sommes vus nous dans les campagnes de la Turquie profonde.


Cüneyt en fâcheuse posture


Le culte de la croix semble les choquer. Il faut dire que la croix est quand même à l'origine un instrument de torture, et pas un des plus élégants. Pas plus élégant, qui plus est, que le fait de manger du porc. Souvenez-vous du dialogue entre Samuel Jackson et Travolta, dans Pulp Fiction, sur l'enracinement des préjugés alimentaires. Il se trouve que ce sont les plus difficile à se débarrasser, surtout quand ils sont inculqués dès l'enfance, à un niveau culturel. Par ailleurs, la capture des jeunes et leur endoctrinement, si elle a pu exister au temps des croisades, a été systématisée avant tout... Par les Turcs eux-mêmes. Le célèbre corps des Janissaires, la troupe de choc de la Sublime Porte, était constitué avant tout de jeunes chrétiens arrachés à leur famille. Intéressant de constater qu'on juge les autres à sa propre aune, et qu'on applique à l'ennemi ses propres schémas.


Ça pique un peu

Bon, ce film date du début des années 70, à une époque où la Turquie partageait avec Israël le douteux privilège d'être un des rares pays au monde à être fâché avec tous ses voisins sans exception. Mais nous voir dans le rôle des méchants, c'est un bon moyen d'analyser nos travers, de rigoler franchement, aussi (le "Do the A stand for France" d'Ultimate Cap m'avait fait marrer aussi) et de réfléchir aux différences culturelles qui font la richesse du monde.


Robin d'Ankara

De toute façon, en termes de relativisme culturel, la leçon ultime aura été donnée à l'occident par cet aborigène australien, qui, contemplant le carnage de la Somme pendant la Première Guerre Mondiale, nota qu'il était dispendieux, irrespectueux et barbare de laisser autant de viande pourrir sans que ça ne serve à nourrir qui que ce soit.


Fort comme un Turc, le Cüneyt !





*Bon, apparemment c'est réparé. Du coup, je vous redonne les liens des deux autres articles de ma turkish trilogy (c'est pas une quadri tétralogie, vu que je n'ai jamais eu le temps d'écrire l'article sur leur version locale de l'Exorciste) :
**Cet article est une vieillerie, parce que quand on voit la Turquie de maintenant, on se dit "oui mais ça, c'était avant"

Commentaires

Le Doc a dit…
J'ai vérifié sur CS et en fait, ce sont tous tes vieux articles (comme le Star Wars et le Star Trek turcs) qui ont perdu leur icono (pb d'hébergeur ?).

En tout cas, c'est grâce à ces textes que j'ai découvert l'Homme au Trampoline il y a quelques années sur SP et depuis j'ai chroniqué Lion Man et Death Warrior sur CS. C'est goûtu !
Alex Nikolavitch a dit…
apparemment, Photobucket est en maintenance. ça pourrait venir de là (je crois que j'hébergeais chez eux, à l'époque). si ça persistait, je posterai les deux autres papiers ici.

Posts les plus consultés de ce blog

Medium

 Un truc que je fais de temps en temps, c'est de la médiation culturelle. Ce n'est pas mon métier, mais je connais suffisamment bien un certain nombre de sujets pour qu'on fasse appel à moi, parfois, pour accompagner des groupes scolaires dans des expos, des trucs comme ça. Là, on m'a appelé un peu à l'arrache pour accompagner une animation interactive sur les mangas, et notamment les mangas de sport, avec des groupes de centres de loisirs. Bon, c'est pas ma discipline de prédilection, j'ai révisé un peu vite fait. Le truc, c'est qu'on m'en a causé la semaine passée. La personne qui devait s'en charger était pas trop sur d'elle. La mairie du coin (dans une banlieue un poil sensible) voyait pas le truc bien s'emmancher, la patronne d'une asso où je donne des cours l'a su, a balancé mon nom, m'a prévenu... Et c'en était resté là. Je restais à dispo au cas où. On m'a rappelé ce matin "bon, on va avoir besoin de t...

Le grand livre des songes

 Encore un rêve où je passais voir un de mes éditeurs. Et bien sûr, celui que j'allais voir n'existe pas à l'état de veille, on sent dans la disposition des locaux, dans les gens présents, dans le type de bouquins un mix de six ou sept maisons avec lesquelles j'ai pu travailler à des titres divers (et même un peu d'une agence de presse où j'avais bossé du temps de ma jeunesse folle). Et, bien sûr, je ne repars pas sans que des gars bossant là-bas ne me filent une poignée de bouquins à emporter. Y avait des comics de Green Lantern, un roman, un truc sur Nightwing, un roman graphique à l'ambiance bizarre mettant en parallèle diverses guerres. Je repars, je m'aperçois que j'ai oublié de demander une nouveauté qui m'intéressait particulièrement, un autre roman graphique. Ça vient de fermer, mais la porte principale n'a pas encore été verrouillée. Je passe la tête, j'appelle. J'ai ma lourde pile de bouquins sous le bras. Clic. C'était ...

Beware the blob

La perversion alimentaire prend parfois des allures d'apostolat suicidaire. Que ce soit en termes de picole ou de bouffe, il m'arrive de taper dans le bizarre et de tenter des expériences qui tétaniseraient d'effroi une créature lovecraftienne. Comme on a les amis qu'on mérite, et que j'ai dû commettre des ignominies sans nom dans une vie antérieure, certain de mes amis, camarades et autres proches ont aussi leur bouffées culinaro-délirantes. C'est ainsi que certain libraire sévissant dans une grande enseigne vendant de la culture neuve et d'occasion dans le quartier étudiant de Paris m'a initié à toutes sortes de pickles qui arrachent la gueule et à des boissons polonaises que même les Polonaises évitent de prendre au petit déjeuner. C'est aussi ce douteux personnage (ou un ami commun exilé, je ne sais plus, il y a des traumas que l'esprit humain tente miséricordieusement de brouiller) qui m'avait fait découvrir la pâte à tartiner au spe...

The road to the War Zone

Il m'arrive parfois de mettre le nez sur la provenance gougueule de mes lecteurs : le système de ce blog me permet en effet de savoir quelles requêtes gougueule ont amené ici les gens qui ne me connaissaient pas (parce que les gens qui me connaissent ont depuis longtemps l'adresse de la War Zone, vous vous en doutez*). Et à chaque fois, je suis surpris, et souvent atterré. Que "Alex Nikolavitch" ou "War Zone" (mais parfois, visiblement, il s'agit de gens cherchant des infos sur la suite d'un jeu vidéo, je crois) ou Crusades caracolent en tête des requête, c'est un peu normal. Fulchibar aussi (si vous ne savez pas ce qu'est le fulchibar, ne vous en faites pas, nous non plus, mais c'est justement à ça que tient le concept) (et puis le fulchibar, ça ne s'explique pas. ça se vit). Les noms de personnalités évoquées dans ces pages servent aussi de point d'entrée, comme Vlad Drakul, Frédéric Lefebvre, Makhno, Tesla ou Crowley. C'est...

Tombent les renards en feu

Ça faisait des années que j'utilisais et que je défendais Firefox, ce navigateur internet qui est le très lointain héritier de l'antédiluvien Netscape. L'outil était puissant, rapide, efficace, des lieux devant l'immonde Explorer. Mais depuis les mises à jour de cet été, tout déconne. Gestion du Java complètement aléatoire, persistances d'affichage anormales, perte de la prise en compte de balises HTML pourtant classiques... Et à chaque nouvelle mise à jour, je me prends à espérer que ces problèmes seront réglés, et à chaque nouvelle mise à jour, c'est pire. Tout se passe comme si la Mozilla Corporation, éditeur du logiciel, était devenue Microsoft de la grande époque. Firefox 6.0 sur Mac, c'est un merdier total. Et la version 5, sortie deux mois plus tôt, déconnait déjà dans les grandes largeurs. J'envisage très sérieusement de passer à un autre navigateur. Je n'aime pas ça : j'ai mes habitudes, mes paramétrages, mes kilos de signets, et il v...

L'éternel retour

 Bon, c'est l"heure de notre traditionnelle minute d'expression gueuledeboitesque de fin janvier début février. Mon ressenti (page de Marvano à l'expo SF) (c'est toujours un moment fort de voir les originaux de pages tellement frappantes qu'elles se sont gravées à vie dans votre tête) Jeudi : Je n'avais pas prévu d'arriver le jeudi, au départ. Après cinq mois de boulot ultra-intense, déjà à genoux avant même le festival, je me disais qu'une édition plus ramassée à mon niveau serait plus appropriée. Divers événements en amont m'amènent à avancer largement mon arrivée. Il y a une réunion de calage sur un projet qui doit se faire là-bas, plutôt en début de festival. Dont acte. Ça m'amène à prendre les billets un peu au dernier moment, de prendre les billets qui restent en fonction du tarif aussi, donc là j'ai un changement, ça cavale, et je suis en décalé, ça aura son importance. Quand j'avais commencé à préparer mon planning, j'ava...

Unions, ré-unions, il en restera toujours quelque chose si on s'y prend pas comme des chancres

 Bon, j'en ai jamais fait mystère, mais j'ai tendance à faire savoir autour de moi que la réunionite est un peu le cancer de notre société moderne. Je supporte pas les grandes tablées où, passé l'ordre du jour ça oscille entre le concours de bite et la branlette en rond, pour des résultats concerts qui seraient obtenus en règle générale avec un mail de dix lignes.   éviter la Cogip   Quoi ? Oui, je suis inapte au simagrées du monde de l'entreprise moderne, chacun de mes passages dans des grands groupes m'a convaincu que c'étaient des carnavals de... non, aucun mot utilisable en public ne me vient. Et mes passages aux conseils d'administrations d'associations n'ont pas été mieux. Le problème, ce n'est même pas la structure, qu'elle soit filiale d'un truc caquaranqué ou petit truc local tenu avec des bouts de ficelle. Et pourtant, des fois, faut bien en passer par là, j'en ai conscience. Voir les gens en vrai, se poser autour d'une ...

Trop de la Bal

 Bon, parmi les petits plaisirs angoumoisins, hormis les moments passés avec des amis et amies qu'on voit trop peu, hormis les bouteilles, hormis les expos d'originaux, il y a aussi fouiller dans les bacs. C'est ainsi que j'ai mis la main à vil prix sur un Savage Sword of Conan dans la collection Hachette. Je dois avoir dix ou douze de ces bouquins réimprimant au départ les aventures des années 70, publiées à l'époque en noir et blanc et en magazine, du célèbre Cimmérien de Robert E. Howard, souvent pris pour lire dans le train, quand j'en chopais un à la gare. Autant dire que ma collection est salement dépareillée. Mais comme ce sont à chaque fois des récits complets, ça n'a guère d'importance. En fait, c'est typiquement la série dans laquelle vous pouvez taper au pif sans trop de risque de déception.      Celui-ci, le n°5, je m'en voulais de l'avoir raté et je n'avais pas réussi à remettre la main dessus par la suite. Graphiquement y a...

Writever janvier, part 1

 Tiens, ça faisait longtemps que j'avais pas participé au Writever. J'avais lâché l'affaire au moment où la connexion internet était devenue un enfer. Comme c'est un exercice marrant, et qui m'a bien aidé à des moments où j'avais des pannes d'écriture, c'est pas plus mal de m'y remettre. Le thème, "fucking tech!", à un moment où Musk est sur les rangs pour devenir maître du monde, c'est peut-être de saison. 1- Réaliste "Soyez réaliste, on ne peut pas avoir cette option, c'est trop de complications et de risques." C'est comme une âme en peine qu'il ressorti de la boutique PinApple. Ce n'était pas encore avec cette génération-là qu'il pourrait faire de l'irish coffee avec son smartphone. 2- Accessoire On a accessoirisé les machines, on passe aux utilisateurs. Les écouteurs et la montre turboconnectés? Ringard. Maintenant il y a le contrôleur dentaire, trois dents sur pivots qu'on titille de la langu...

Burton is back !

Tiens, petite surprise dans ma boite aux lettres ce matin, il semblerait qu' Aux Sources du Nil , mon album sorti il y a déjà quelques années et consacré à Richard Burton (le vrai, pas l'acteur) ressorte sous une nouvelle couverture dans la collection Le Monde sur les grands personnages historiques. Je n'ai aucune idée de la date à laquelle il sera en kiosque, mais apparemment, il sera immédiatement suivi par Le Voyage à la Mecque , une autre aventure de ce baroudeur infatigable au caractère approximatif (respectivement, n°40 et 41 de la collec'). Edit (et Marcel) : apparemment, il est déjà dispo. Les deux albums avaient été coécrits avec Christian Clot (qui signe aussi le dossier explicatif, en fin de bouquin), et le premier dessiné par Dim-D et le second par Lionel Marty. Bref, c'est l'occasion pour ceux qui ne les auraient pas lu de redécouvrir ces albums, et au besoin de faire connaissance avec un explorateur assez impressionnant.