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En avant, marche !

Ça faisait longtemps, non, les homélies du dimanche ? Faut dire que j'ai enchaîné des gros trucs depuis septembre. Vous avez déjà vu un des résultats avec le bouquin sur Tolkien, mais d'autres choses vont arriver.

Bref, je remettais le nez dans les vieux textes, parce que ça fait pas de mal, des fois, quand on est surmené et que j'écoute aussi les conférences du Collège de France sur l'exégèse biblique et tout ça. C'est le genre de trucs qui me requinquent quand je fais une pause. Et forcément, ça remet en route le ciboulot. Les rouages grincent au début, mais... 

Vous vous rappelez peut-être de ma vieille réflexion sur  le Dieu qui "se promenait dans le jardin au souffle du jour", il y a déjà... pfou, trop longtemps.

un petit Edmund Dulac, parce que bon

c'est toujours bien, Dulac

 

J'aime bien cette image de la Genèse, avec son petit côté presque bucolique et très incarné, les restes d'une vision moins abstraite et moins cosmique de Dieu, une forme de relique un peu naïve, celle d'une foi populaire, d'une mythologie ancestrale que les prêtres dévitalisent peu à peu pour lui donner une plus grande portée philosophique et éthique. C'est ce même Dieu qui converse plus tard et négocie pied à pied avec Abraham.

Bref, à côté de l'entité qui parle au cosmos pour lui donner forme, il existe une version de Dieu qui s'incarne sur terre sans faire de chichis et vient se balader, relever les compteurs, prendre des nouvelles. Les deux cohabitent assez longuement dans le texte. Ça vous surprend ? Après le coup du jardin, il y a d'autres occurrences. On ne sais pas trop comment ça se passe concrètement quand Dieu vient confronter Caïn, mais l'épisode est tellement construit comme celui du jardin qu'il doit y avoir la même version très incarnée.

    Ça c'est du Mézières, à ses tous débuts

 

 On peut effectivement, à la lecture, imaginer une voix immanente qui interroge Caïn, et Victor Hugo a de façon fameuse imaginé un oeil flottant qui partout suit le meurtrier primordial.

 Plus tard dans le texte, on retrouve de façon plus directe ce Dieu promeneur, à deux reprises. C'est dans la généalogie d'Adam. Après l'histoire de Caïn et la généalogie de Caïn, sans doute écrite, celle-ci, à un moment où l'histoire du Déluge n'était pas encore intégrée au reste. Pourquoi, sinon, évoquer avec tant de détails une lignée destinée à périr avec tout le reste, expliquant de surcroît la construction de la première ville, l'arrivée des premiers musiciens et des premiers métallurgistes ? C'est à ce genre de détails (et au fait qu'un certain nombre de gens, dans cette liste, sont des quasi-homonymes de la suivante) qu'on voit les coutures du texte.

 Dans la liste des autres descendants d'Adam qui ne sont pas des fils de Caïn, on trouve Enoch (qui a deux quasi-monymes, un cousin caïnite et un ancêtre), mais dont on nous dit qu'il "marchait avec Dieu" et que "Dieu le prit". Et c'est tout. Il y a très certainement eu bien des traditions autour du personnage (les "livres d'Enoch" plus tardifs en sont le reflet), mais la désinvolture avec laquelle la Genèse évoque le personnage semble indiquer une certaine gêne, comme si ces traditions anciennes ne collaient plus avec la vision de la divinité et du culte qui s'étaient imposées entre-temps. Ce n'est pas pour rien que John Dee, bien plus tard, appelle énochéen le langage qu'il emploie pour converser avec les anges.

Enoch marchait avec Dieu, ça pourrait être purement métaphorique, et l'exégèse traditionnelle préfère retenir cette hypothèse, bien sûr, mais de mon côté, j'ai la vision de deux vieux barbus déambulant dans la campagne avec gravité, les mains dans le dos, en échangeant sur l'état du monde, le Créateur apprenant à connaître sa création qui lui a échappé, essayant de tirer un bilan de son expérience. Visiblement, ces discussions plaisent à l'Éternel, puisqu'il "prend" Enoch. Une tradition dit qu'il a monté au ciel, une autre, plus ancienne probablement, qu'il a eu à nouveau accès au Jardin. La Bible ne dit rien, là aussi on sent une forme de gêne.

Au chapitre suivant, on dit que Noé, lui aussi, marchait avec Dieu, qu'il avait trouvé grâce à ses yeux. Peut-être est-ce lors d'une promenade du même genre que Dieu, finalement, en passant, lui parle de son projet de Déluge. "Au fait, Noé, on est bien d'accord, ça craint, ici. Alors voilà..."

Je l'aime bien, cette vision d'un Dieu incarné qui s'en vient discuter. Dans l'esprit, c'est un peu la même chose que Don Camillo se réfugiant dans son église pour causer avec Jésus et, lorsqu'il est muté ailleurs, s'apercevant avec tristesse que le Jésus de l'autre village ne lui répond pas, la mutation s'accompagnant d'un mutisme.

Mais ces déambulations tranquilles et pénétrées, à la manière d'Aristote et de ses disciples, elles me plaisent plus. Elles témoignent d'une conception de la sacralité pas encore enfermée entre quatre murs et d'une sagesse simple, plus directe.

 

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