Accéder au contenu principal

Motion Pictes

 Je reviens quand même assez souvent sur Robert E. Howard dans ces colonnes. J'ai pas mal parlé de Red Sonja, et encore dernièrement, souvent de Conan, et j'avais causé des adaptations de Solomon Kane et de Kull. Mais je ne crois pas avoir évoqué un autre héros de Howard, un peu moins connu, qui est Bran Mak Morn.

Héros d'une poignée de nouvelles publiées dans Weird Tales, Bran est donné comme le "dernier roi des Pictes" et mène une résistance désespérée contre les Romains. Il est l'illustration des idées d'Howard voyant le barbare comme plus noble que les civilisés (conception qui lui vaudra d'ailleurs quelques passes d'armes épistolaires avec son camarade Lovecraft, qui lui se plaçait résolument dans le camp des Romains). La fin de ses aventures a d'ailleurs quelque chose de lovecraftien : elle voit le roi invoquer d'immondes créatures, les "Vers de la terre" pour venger ses compagnons, sachant qu'il risque d'y laisser son âme et celle se son peuple.

La couve d'époque de Nicollet

 L'ensemble des récits qui lui sont consacrés faisait l'objet d'un petit recueil de la collection Néo, et tout a été repris, mais pas que, dans la grosse série howardienne publiée par Del Rey, un beau bouquin illustré par le toujours élégant Gary Gianni et repris en VF chez Bragelonne. Celui-ci ne se cantonne pas aux récits de la résistance de Bran et aux poèmes qu'Howard lui a consacré, mais reprend d'autres textes qui y sont plus lointainement liés. "L'Homme Noir" est une aventure de Turlogh Dubh, un guerrier irlandais vivant mille ans plus tard, et qui a lui-même été le héros de quelques nouvelles, dont une sur la bataille tout à fait historique de Clontarf. "L'Homme Noir" tourne autour d'une idole représentant Bran. "Les Enfants de la Nuit" est un texte plus éloigné encore en apparence, mais cette histoire de réincarnation et de souvenirs enfouis renvoie directement aux combats des Pictes contre d'autres peuples.

De fait, si l'on creuse un peu, les Pictes traversent une bonne partie de l'œuvre de Howard. Dans les aventures du roi Kull, son meilleur ami et confident est Brule le Picte, un être loyal, aux valeurs simples, auquel le héros peut se fier, contrairement à ses sujets plus civilisés et plus retors. Ce Brule est donné comme l'ancêtre de Bran, d'ailleurs. Pour l'anecdote, si Brude le Picte s'appelle ainsi, dans mon Trois Coracles Cinglaient vers le Couchant, c'est non seulement parce que le nom renvoie à "frère", ce qu'il est dans le récit (il est demi-frère d'Uther), mais également en pensant à Brule. D'ailleurs, Brude tient auprès de son frère une place similaire à celle de l'ami fidèle de Kull.

La couve de Frazetta pour un des premiers recueils US de Bran Mak Morn

Dans les aventures de Conan, censées se dérouler bien plus tard, les Pictes ont dégénéré. Ce peuple jadis fier et ombrageux est présenté désormais comme un ensemble de tribus redoutables, vivant aux lisières du monde. Elles deviennent un prétexte à des aventures proches du Western dans leur fonctionnement : "Au-delà de la Rivière Noire" n'est ni plus ni moins qu'une attaque d'indiens sur un fortin de la cavalerie, qu'un messager tente désespérément d'avertir avant le désastre. Pour le Texan Howard, le Western fait partie de l'ADN du récit d'aventures, et certaines des meilleures histoires de Conan flirtent avec ce genre (avez-vous remarqué que "Les Clous Rouges" est très proche de Pour une Poignée de Dollars, dans son concept ?). Howard en profite pour différencier barbarie et sauvagerie. Si le barbare se défie de la civilisation, il sait aussi s'en accommoder au besoin. Ce n'est pas le cas des Pictes.

Arrivés à l'époque de Bran, les Pictes ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, et seules quelques lignées nobles conservent la grandeur de leurs ancêtres. L'épopée de Bran est le baroud d'honneur d'un peuple finissant, à bout de souffle. Lorsque Turlogh s'empare de la statue de Bran, les Pictes ne sont plus qu'un souvenir enfui.

Et dans des récits contemporains comme "Les Enfants de la Nuit", tout cela est recouvert par le voile du temps, de la superstition et une aura ténébreuse. La saga des Pictes, chez Howard, forme une sorte d'univers discrètement partagé entre certains de ses grands cycles.

J'ai toujours beaucoup aimé le boulot de Gianni 

Ce qu'il a fait sur Conan est admirable aussi

Howard se passionnait pour les peuples anciens. Les Cimmériens de Conan ont réellement existé, même s'ils n'ont, en fait, pas grand-chose à voir avec le Barbare le plus connu de toute la pop culture. Les Pictes selon Howard connaissent le même genre de décalage. Il plaque sur eux ses propres conceptions, et celles de son temps. On sait désormais que ce peuple mal connu du nord de la Grande Bretagne parlait apparemment une langue apparentée à celle des Celtes vivant plus au sud, quoiqu'influencée sans doute par un substrat plus ancien. Nous demeurons incapables de lire les quelques traces d'écriture qu'ils nous ont laissé, et si les Romains ont rapidement abandonné l'idée de les conquérir (les murs d'Hadrien et d'Antonin ont été bâtis pour les contenir et les surveiller), ce sont finalement les Irlandais qui sont responsables de leur disparition. Vers le huitième siècle, les alliances entre roi pictes et chefs scots ont conduit à des fusions des lignées, et à l'absorption de l'identité picte dans celle d'une nouvelle nation, l'Ecosse. Irlando-écossais par son ascendance, Robert E. Howard ne pouvait qu'être fasciné par ce peuple mystérieux auquel il pouvait à bon droit faire remonter sa propre histoire.

Fun fact : vous pensiez que les Pictes devaient leur nom à leur habitude de se peinturlurer ou de se tatouer le corps ? En vrai, personne n'en sait rien. Il est possible que les Romains les aient appelés ainsi à cause de marques de ce genre, mais ils n'en parlent jamais, et l'existence d'autres tribus celtiques portant des noms apparentés pourrait infirmer cette hypothèse. Accessoirement, il est possible également que ça vienne du mot celte "pixte" qui signifie juste "crado". Je vous jure que c'est vrai.

Bref, voilà, un perso moins connu que Conan ou Kane, ce Bran Mak Morn, mais que j'aime personnellement beaucoup, et qui a très peu été adapté en BD, et jamais au cinoche. C'est dommage : un film Bran par un réal un peu vénère, je trouve que ça pourrait poutrer.

Commentaires

Odrade a dit…
Le mur d'Hardien ? C'était un ancêtre hardeur ?

O.

Posts les plus consultés de ce blog

Au ban de la société

 Tiens, je sais pas pourquoi (peut-être un trop plein de lectures faites pour le boulot, sur des textes ardus, avec prise de note) j'ai remis le nez dans les Justice Society of America de Geoff Johns, période Black Reign . J'avais sans doute besoin d'un fix de super-héros classique, avec plein de persos et de pouvoirs dans tous les sens, de gros enjeux, etc. Et pour ça, y a pas à dire JSA ça fait très bien le job. La JSA, c'est un peu la grand-mère des groupes super-héroïques, fondée dans les années 40, puis réactivée dans les années 60 avec les histoires JLA/JSA su multivers. C'étaient les vieux héros patrimoniaux, une époque un peu plus simple et innocente. Dans les années 80, on leur avait donné une descendance avec la série Infinity Inc . et dans les années 90, on les avait réintégrés au prix de bricolages divers à la continuité principale de DC Comics, via la série The Golden Age , de James Robinson et Paul Smith, qui interprétait la fin de cette époque en la...

La fille-araignée

Tiens, ça fait une paye que j'avais pas balancé une nouvelle inédite... Voilà un truc que j'ai écrit y a 6 mois de ça, suite à une espèce de cauchemar fiévreux. J'en ai conservé certaines ambiances, j'en ai bouché les trous, j'ai lié la sauce. Et donc, la voilà... (et à ce propos, dites-moi si ça vous dirait que je fasse des mini-éditions de certains de ces textes, je me tâte là-dessus) Elle m’est tombée dessus dans un couloir sombre de la maison abandonnée. Il s’agissait d’une vieille villa de maître, au milieu d’un parc retourné à l’état sauvage, jouxtant le canal. Nul n’y avait plus vécu depuis des décennies et elle m’avait tapé dans l’œil un jour que je promenais après le travail, un chantier que j’avais accepté pour le vieil épicier du coin. J’en avais pour quelques semaines et j’en avais profité pour visiter les alentours. Après avoir regardé autour de moi si personne ne m'observait, je m’étais glissé dans une section effondrée du mur d’enceinte, j’...

La fin du moooonde après la fin de l'année

 Ah, tiens, voilà qu'on annonce pour l'année prochaine une autre réédition, après mon Cosmonautes : C'est une version un peu augmentée et au format poche de mon essai publié à l'occasion de la précédente fin du monde, pas celle de 2020 mais celle de 2012. Je vous tiens au courant dès que les choses se précisent. Et la couve est, comme de juste, de Melchior Ascaride.

Perte en ligne

 L'autre soir, je me suis revu Jurassic Park parce que le Club de l'Etoile organisait une projo avec des commentaires de Nicolas Allard qui sortait un chouette bouquin sur le sujet. Bon outil de promo, j'avais fait exactement la même avec mon L'ancelot y a quelques années. Jurassic Park , c'est un film que j'aime vraiment bien. Chouette casting, révolution dans les effets, les dinos sont cools, y a du fond derrière (voir la vidéo de Bolchegeek sur le sujet, c'est une masterclass), du coup je le revois de temps en temps, la dernière fois c'était avec ma petite dernière qui l'avait jamais vu, alors qu'on voulait se faire une soirée chouette. Elle avait aimé Indiana Jones , je lui ai vendu le truc comme ça : "c'est le mec qui a fait les Indiana Jones qui fait un nouveau film d'aventures, mais cette fois, en plus, y a des dinos. Comment peut-on faire plus cool que ça ?" Par contre, les suites, je les ai pas revues tant que ça. L...

Matin et brouillard

On sent qu'on s'enfonce dans l'automne. C'est la troisième matinée en quelques jours où le fleuve est couvert d'une brume épaisse qui rend invisible le rideau d'arbres de l'autre côté, et fantomatique tout ce qui est tapi sur les quais : voiture, bancs, panneaux. Tout a un contraste bizarre, même la surface de l'eau, entre gris foncé et blanc laiteux, alors qu'elle est marronnasse depuis les inondations en aval, le mois dernier. Une grosse barge vient de passer, j'entends encore vaguement dans le lointain son énorme moteur diesel. Son sillage est magnifique, dans cette lumière étrange, des lignes d'ondulations obliques venant s'écraser, puis rebondir sur le bord, les creux bien sombre, les crêtes presque lumineuses. Elles rebondissent, se croisent avec celles qui arrivent, et le jeu de l'interférence commence. Certaines disparaissent d'un coup, d'autres se démultiplient en vaguelettes plus petites, mais conservant leur orienta...

IA, IA, Fhtagn

 En ce moment, je bosse entre autres sur des traductions de vieux trucs pulps apparemment inédits sous nos latitudes. C'est un peu un bordel parce qu'on travaille à partir de PDFs montés à partir de scans, et que vu le papier sur lequel étaient imprimés ces machins, c'est parfois pas clean-clean. Les illustrateurs n'avaient  vraiment peur de rien Par chance, les sites d'archives où je vais récupérer ce matos (bonne nouvelle d'ailleurs archive.org qui est mon pourvoyeur habituel en vieilleries de ce genre, semble s'être remis de la récente attaque informatique qui avait failli m'en coller une. d'attaque, je veux dire) ont parfois une version texte faite à partir d'un OCR, d'une reconnaissance de caractère. Ça aide vachement. On s'use vachement moins les yeux. Sauf que... Ben comme c'est de l'OCR en batch non relu, que le document de base est mal contrasté et avec des typos bien empâtées et un papier qui a bien bu l'encre, le t...

Sorties

Hop, vite fait, mes prochaines sorties et dédicaces : Ce week-end, le 9 novembre, je suis comme tous les ans au Campus Miskatonic de Verdun, pour y signer toute mon imposante production lovecraftienne et sans doute d'autres bouquins en prime.   Dimanche 1er décembre, je serai au Salon des Ouvrages sur la BD à la Halle des blancs manteaux à Paris, avec mes vieux complices des éditions La Cafetière. Je participerai également à un Congrès sur Lovecraft et les sciences, 5 et 6 décembre à Poitiers.

Au nom du père

 Tout dernièrement, j'ai eu des conversations sur la manière de créer des personnages. Quand on écrit, il n'y a dans ce domaine comme dans d'autre aucune règle absolue. Certains personnages naissent des nécessité structurelle du récit, et il faut alors travailler à leur faire dépasser leur fonction, d'autres naissent naturellement d'une logique de genre ou de contexte, certains sont créés patiemment et se développent de façon organique et d'autres naissent d'un coup dans la tête de leur auteur telle Athéna sortant armée de celle de Zeus. Le Père Guichardin, dans les Exilés de la plaine , est un autre genre d'animal. Lui, c'est un exilé à plus d'un titre. Il existe depuis un sacré bail, depuis bien avant le début de ma carrière d'auteur professionnel. Il est né dans une nouvelle (inédite, mais je la retravaillerai à l'occasion) écrite il y a plus d'un quart de siècle, à un moment où je tentais des expériences d'écriture. En ce temp...

Et merde...

J'avais une idée d'illus sympa, un petit détournement pour mettre ici et illustrer une vacherie sur notre Leader Minimo, histoire de tromper l'ennui que distille cette situation pré insurrectionnelle pataude et molle du chibre dans laquelle tente péniblement de se vautrer l'actualité. Et donc, comme de juste en pareil cas, je m'en étais remis à gougueule pour trouver la base de mon détournement. Le truc fastoche, un peu potache, vite fait en prenant mon café. Sauf que gougueule est impitoyable et m'a mis sous le nez les oeuvres d'au moins deux type qui avaient exactement eu la même idée que moi. Les salauds. Notez que ça valide mon idée, d'une certaine façon. Mais quand même. C'est désobligeant. Ils auraient pu m'attendre. C'est un de ces cas que mon estimable et estimé collègue, le mystérieux J.W., appelle "plagiat par anticipation". Bon, c'est plutôt pas mal fait, hein. Mais ça m'agace.

Deux-ception

 C'est complètement bizarre. Je rêve de façon récurrente d'un festival de BD qui a lieu dans une ville qui n'existe pas. L'endroit où je signe est dans un chapiteau, sur les hauteurs de la ville (un peu comme la Bulle New York à Angoulème) mais entre cet endroit et la gare routière en contrebas par laquelle j'arrive, il y a un éperon rocheux avec des restes de forteresse médiévale, ça redescend ensuite en pente assez raide, pas toujours construite, jusqu'à une cuvette où il y a les restaus, bars et hôtels où j'ai mes habitudes. L'hôtel de luxe est vraiment foutu comme ça sauf que la rue sur la droite est en très forte pente Hormis l'avenue sur laquelle donne l'hôtel de luxe (où je vais boire des coups dans jamais y loger, même en rêve je suis un loser), tout le reste du quartier c'est de la ruelle. La géographie des lieues est persistante d'un rêve à l'autre, je sais naviguer dans ce quartier. Là, cette nuit, la particularité c'ét...