Accéder au contenu principal

Effet de seuil cumulatif

Puisque je suis au début de la rédaction d'un nouveau roman, je suis en plein dans cette phase où je dévore plein de documentation de façon totalement obsessionnelle. Bouquins, films, cartes géographiques, fiches wikipédia, je fais feu de tout bois. Le but avoué est de m'immerger pleinement dans mon sujet (le but réel, en fait, c'est juste de satisfaire à ma maniaquerie compulsive, mais je ne le dis pas parce que ça fait moins genre).

Dans le cas présent, le gros de la doc c'est tout ce que je peux trouver sur les îles britanniques au cinquième siècle et sur les bases les plus profondes de la légende arthurienne. Je ne suis pas le premier à jouer à ce jeu-là, mais ces périodes de genèses mythiques sont fascinantes (il en va de même sur la période présumée de la Guerre de Troie) (les deux époques se ressemblent assez, d'ailleurs, avec de grands effondrements politiques s'accompagnant de grands mouvements de populations) et j'y reviens souvent.

Et en fait, même si l'idée de ce bouquin ne m'est venu qu'il y a quelques mois, je m'aperçois qu'en fait ça marinait depuis longtemps. J'ai toujours aimé l'arthurien et toujours lu des trucs à ce sujet. Et ça fait quelques années que je potasse en profondeur toute la période qui entoure directement la fin de l'empire romain, grosso modo de la bataille d'Andrinople (crise migratoire des Goths) à celle de Vouillé (fin du royaume gothique de Toulouse et suprématie franque sur la Gaule), soit un siècle et demi de mutations profondes en Europe Occidentale. Cette étude du sujet n'a rien de systématique, mais quand je tombe sur des bouquins là-dessus, je prends. Du Patrick Geary, du Alessandro Barbero,  voire du Ferdinand Lot, des ouvrages de synthèse, les rares textes survivants de la période, etc. Au fil du temps, j'ai accumulé du matos. Je me suis fait des opinions assez précises sur certaines choses. J'en ai précisé d'autres (ce qu'on nous apprend à l'école là-dessus est au mieux infime, au pire inepte).

Et de temps en temps, toutes ces infos accumulées, ces bribes de compréhension et ces faits qui s'assemblent peu à peu se cristallisent d'un coup. Il y a quelques années, ça s'est retrouvé dans ma grosse conférence sur le Moyen-Âge en BD, par exemple (même si elle se centrait plutôt sur la période 1000-1500, elle évoquait frontalement le problème de la limite plus que floue entre Antiquité Tardive et Haut-Moyen-Âge).

Depuis, j'ai continué à accumuler. Et d'un coup, paf, ça s'est cristallisé à nouveau. Et quand je parle de cristallisation, c'est exactement ça. Je ne sais pas si vous avez déjà vu ce genre de trucs : dans une solution sursaturée, on introduit un bout de cristal, et d'un coup, sa structure "infecte" le tout, elle se propage et la solution cristallise en masse d'un coup (c'est une astuce connue dans l'industrie, notamment), c'est très spectaculaire. Eh bien c'est ce qui m'est arrivé quand, il y a quelques mois lors d'un voyage en bus, j'ai lu (de travers, d'ailleurs, mais ça n'a aucune importance), un commentaire sur les plus anciennes sources galloises du mythe arthurien. Pouf, plein d'idées qui me clapotaient dans la cervelle se sont assemblées en masse et j'avais le plan de mon bouquin quasiment tout cuit dans le bec avant même d'être arrivé à mon arrêt (de l'importance d'avoir un calepin sur soi en permanence pour noter ce genre de trucs).

Mais le plus drôle là-dedans, c'est que c'est maintenant que commence vraiment le boulot de documentation. Aller rechercher des infos dans les bouquins déjà lus, puis en vérifier d'autres dans d'autres bouquin, comparer des textes, vérifier des points de détail, trouver les éléments de vie quotidienne que les grosses synthèses sur les bouleversement politiques n'évoquent même pas, etc.
Tout ça pour faire de l'arthurien, soit un machin qui (on en parlait ici même y a quelques semaines à peine) n'a jamais réellement existé, et dont personne ne m'en voudrait si je me vautrais dans la fantaisie pure.

Et avec tout ça, le plus triste, c'est que, quand j'aurai fini de l'écrire, ce roman, je ne pourrai plus voir en peinture toute cette masse de doc accumulée et que je serai pressé de passer à autre chose. Ça me l'a fait pour Saint Louis, ça me l'a fait pour Burton, ça me l'a fait pour Lovecraft, ça me l'a fait pour un scénar sur Ian Fleming qui est terminé et dont je ne sais même pas s'il sortira un jour… Et alors je me vautrerai dans autre chose, dans le Siècle d'Or espagnol, par exemple, ou la Conquête Normande, ou la fin de la Guerre de Cent Ans, suivant ce qui se débloquera d'un coup. Ou alors je me lancerai dans un nouveau truc de pure SF qui me demandera surtout de contrôler la crédibilité de mes délires technologiques (ce qui est beaucoup moins chronophage que la recherche historique)…

Commentaires

BettyTheme a dit…
Et donc c'est quand que "la flemme est l'avenir de l'homme" ?
Anonyme a dit…
Il faudra que je te retrouve un vieil article de Guerre et Histoire qui explique que ce n’est pas Saint Jacques qui est enterré à St Jacques de Compostelle, mais le roi Arthur. Il est cependant possible qu’il y ait un peu d’humour dans cet article.
Krka
Alex Nikolavitch a dit…
de toute façon, plus le temps passe, et plus Arthur devient l'empereur de l'europe, mieux que Charlemagne. Surtout quand les auteurs utilisent des références au royaume de "Logres" qu'ils ne comprennent plus (le mot désignait au départ la partie romanisée de la Bretagne insulaire, inutile de dire qu'après trois siècles d'occupation saxonne, plus personne ne savait ce que ça voulait dire)
Tonton Rag a dit…
dans le n°5 de Guerres et Histoire, article page 114, signé Charles Turquin. L'article est, comme tu le dis, à prendre sur le ton de l'humour mais le raisonnement est intéressant.
Alex Nikolavitch a dit…
Faudra me montrer ça !

Posts les plus consultés de ce blog

Et vous ?

"Mais pour qui vous prenez-vous ?" Voilà bien une question qui m'insupporte, tiens. Bon, ça fait longtemps qu'on ne me l'a pas trop adressée, vu que la réponse est alors "pour un Serbe de 2 mètres et 110 kilos, pourquoi ?" ce qui peut avoir tendance à calmer le jeu, surtout si je pose bien ma voix. Mais bon, quelqu'un que je connait y a encore eu droit. Qu'est-ce qu'elle signifie, cette question qui n'en est pas une ? Elle n'en est pas une parce que la réponse induite, dans la tête de qui la pose est : "quelqu'un qui n'a pas à la ramener". C'est le signe d'une absence d'argument, c'est le dernier recours pour maintenir une position de surplomb symbolique, de se raccrocher à une convention sociale fumeuse qui permet de rester au-dessus, de balayer le désaccord en le ramenant à l'aigreur du petit (par coïncidence, c'est un peu le sens de la longue tirade de la responsable du festival d'Angou...

Le slip en peau de bête

On sait bien qu’en vrai, le barbare de bande dessinées n’a jamais existé, que ceux qui sont entrés dans l’histoire à la fin de l’Antiquité Tardive étaient romanisés jusqu’aux oreilles, et que la notion de barbare, quoiqu’il en soit, n’a rien à voir avec la brutalité ou les fourrures, mais avec le fait de parler une langue étrangère. Pour les grecs, le barbare, c’est celui qui s’exprime par borborygmes.  Et chez eux, d’ailleurs, le barbare d’anthologie, c’est le Perse. Et n’en déplaise à Frank Miller et Zack Snyder, ce qui les choque le plus, c’est le port du pantalon pour aller combattre, comme nous le rappelle Hérodote : « Ils furent, à notre connaissance, les premiers des Grecs à charger l'ennemi à la course, les premiers aussi à ne pas trembler d’effroi à la vue du costume mède ». Et quand on fait le tour des autres peuplades antiques, dès qu’on s’éloigne de la Méditerranée, les barbares se baladent souvent en falzar. Gaulois, germains, huns, tous portent des braies. Ou alo...

Et ça va causer dans le poste encore

 Bon, ça faisait plusieurs fois qu'on me conseillait de me rapprocher de Radionorine, la petite web-radio associative dont les locaux sont à quelque chose comme **vérifie sur gogolemap** 500 mètres de la Casa Niko. Je connaissais de vue une partie de l'équipe, un pote à moi faisait une émission chez eux en son temps, un autre vient d'en lancer une, et voilà que j'ai un atelier d'écriture qui se déroule... un étage en-dessous. Bref, l'autre jour, ils m'ont invité pour que je cause de mon travail et de cet atelier. Et en préparant l'interview, on a causé hors antenne, forcément. Et donc, je peux annoncer ici qu'il y aura désormais une émission mensuelle, le Legendarium ,  où je causerai d'imaginaire littéraire (et sans doute pas que). La première sera consacrée à Robert E. Howard et Conan, le jeudi 27 novembre à 19h, la deuxième peut-être à Beowulf le jeudi 11 décembre (on essaiera de se coller le deuxième jeudi du mois autant que possible). C...

Hail to the Tao Te King, baby !

Dernièrement, dans l'article sur les Super Saiyan Irlandais , j'avais évoqué au passage, parmi les sources mythiques de Dragon Ball , le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest ) (ou Pèlerinage au Couchant ) (ou Légende du Roi des Singes ) (faudrait qu'ils se mettent d'accord sur la traduction du titre de ce truc. C'est comme si le même personnage, chez nous, s'appelait Glouton, Serval ou Wolverine suivant les tra…) (…) (…Wait…). Ce titre, énigmatique (sauf quand il est remplacé par le plus banal «  Légende du Roi des Singes  »), est peut-être une référence à Lao Tseu. (vous savez, celui de Tintin et le Lotus Bleu , « alors je vais vous couper la tête », tout ça).    C'est à perdre la tête, quand on y pense. Car Lao Tseu, après une vie de méditation face à la folie du monde et des hommes, enfourcha un jour un buffle qui ne lui avait rien demandé et s'en fut vers l'Ouest, et on ne l'a plus jamais revu. En chemin, ...

Brumes du passé

Pour diverses raisons, notamment des textes sur lesquels je travaille et qui sont très différents les uns des autres, je remets le nez dans les ancienne mythologies slaves. J'en ai déjà parlé à propos de Tchernobog , c'est un abominable foutoir, une source infinie de frustration, plus encore que l'étude des mythes celtes ou germains. En Scandinavie, Islande, Irlande et ailleurs, on a su préserver des récits, des textes, parfois des fragments énigmatiques, qui nous éclairent un tout petit peu. Pour les Slaves, on est face à un champ de ruines (je ne vais pas dire que c'est traditionnel dans ces pays-là, mais bon, un peu quand même). Même les comparatistes s'y cassent les dents. Comment interpréter Perun ? De prime abord, c'est le cousin très proche de Thor/Donar et de Taranis. Est-il en fait le descendant d'une divinité primordiale vénérée à l'âge du bronze ? Possible. Mais les mondes slaves, germains et celtes n'ont jamais été des boîtes étanches. Le...

En repassant loin du Mitan

 Bilan de la semaine : outre un peu de traduction, j'ai écrit  - 20000 signes d'un prochain roman - 20000 signes de bonus sur le prochain Chimères de Vénus (d'Alain Ayrolles et Etienne Jung - 30000 signes d'articles pour Geek Magazine    Du coup je vous mets ci-dessous un bout de ce que j'ai fait sur ce roman (dans l'univers du Mitan, même si je n'ai plus d'éditeur pour ça à ce stade, mais je suis buté). Pour la petite histoire, la première scène du bouquin sera tirée, poursuivant la tradition instaurée avec Les canaux du Mitan, d'un rêve que je j'ai fait. Le voici (même si dans la version du roman, il n'y aura pas de biplans) . On n'est pas autour de la plaine, cette fois-ci, je commence à explorer le vieux continent :   Courbé, il s’approcha du fond. À hauteur de sa poitrine, une niche était obstruée par une grosse pierre oblongue qu’il dégagea du bout des doigts, puis fit pivoter sur elle-même, dévoilant des visages entremêlés. Une fo...

Sonja la rousse, Sonja belle et farouche, ta vie a le goût d'aventure

 Je m'avise que ça fait bien des lunes que je ne m'étais pas penché sur une adaptation de Robert E. Howard au cinoche. Peut-être est-ce à cause du décès de Frank Thorne, que j'évoquais dernièrement chez Jonah J. Monsieur Bruce , ou parce que j'ai lu ou relu pas mal d'histoires de Sonja, j'en causais par exemple en juillet dernier , ou bien parce que quelqu'un a évoqué la bande-son d'Ennio Morricone, mais j'ai enfin vu Red Sonja , le film, sorti sous nos latitudes sous le titre Kalidor, la légende du talisman .   On va parler de ça, aujourd'hui Sortant d'une période de rush en termes de boulot, réfléchissant depuis la sortie de ma vidéo sur le slip en fourrure de Conan à comment lui donner une suite consacrée au bikini en fer de Sonja, j'ai fini par redescendre dans les enfers cinématographiques des adaptations howardiennes. Celle-ci a un statut tout particulier, puisque Red Sonja n'est pas à proprement parler une création de Robert H...

Ça va s'arranger, Monsieur Milan !

Hop, encore un petit article sauvé du naufrage de superpouvoir. J'ai hésité à le poster sur la nouvelle version du site, et puis finalement je le rapatrie ici, comme ça ne parle pas vraiment de comics. Petit tour de table pour débuter la négo La provocation a toujours été consubstantielle de l'activité artistique. à quoi ça tient, mystère. Peut-être au fait que l'artiste, par nature, est un peu en marge du corps social et a donc la distance nécessaire pour l'interroger. Mais "provocation", le mot semble faible pour qualifier les outrances de Laibach. travailleurs de tous les pays... Pour ceux qui ne connaissent pas, Laibach, c'est un peu l'ancêtre sous amphètes de Rammstein. D'ailleurs, un des membres de Laibach le disait : "ouais, c'est bien, ce qu'ils font, Rammstein. Ils rendent notre style de musique accessible aux kids, c'est important." Je paraphrase. Mais donc, provocation. C'est un mot qu...

Coup double

 Ainsi donc, je reviens dans les librairies le mois prochain avec deux textes.   Le premier est "Vortace", dans le cadre de l'anthologie Les Demeures terribles , chez Askabak, nouvel éditeur monté par mes vieux camarades Melchior Ascaride (dont vous reconnaissez dans doute la patte sur la couverture) et Meredith Debaque. L'idée est ici de renouveler le trope de la maison hantée. Mon pitch :   "Les fans d'urbex ne sont jamais ressortis de cette maison abandonnée. Elle n'est pourtant pas si grande. Mais pourrait-elle être hantée par... un simple trou dans le mur ?" Le deuxième, j'en ai déjà parlé, c'est "Doom Niggurath", qui sortira dans l'anthologie Pixels Hallucinés, première collaboration entre L'Association Miskatonic et les éditions Actu-SF (nouvelles).  Le pitch :  "Lorsque Pea-B tente un speed-run en live d'un "mod" qui circule sur internet, il ignore encore qu'il va déchainer les passions, un ef...

Send in the clowns

Encore un vieux texte : We need you to laugh, punk Y'avait un cirque, l'autre week-end, qui passait en ville. Du coup, on a eu droit aux camionnettes à hauts-parleurs qui tournaient en ville en annonçant le spectacle, la ménagerie et tout ça, et surtout aux affiches placardées partout. Et pour annoncer le cirque, quoi de plus classique qu'un portrait de clown, un bel Auguste au chapeau ridicule et au sourire énorme ? Démultiplié sur tous les murs de la ville, ce visage devient presque inquiétant. Un sourire outrancier, un regard masqué sous le maquillage, une image que la répétition rend mécanique. Ce sourire faux, démultiplié par le maquillage, voire ce cri toutes dents dehors, que le maquillage transforme en sourire, c'est la négation de la notion même de sourire. Le sourire, c'est une manière de communiquer, de faire passer quelque chose de sincère, sans masque. Un faux sourire, a fortiori un faux sourire maquillé et imprimé, fracasse cet aspect encor...