Accéder au contenu principal

C'est pas le Wakanda, bordel !

Je ne sais pas pourquoi j'ai scotché sur ce portrait de Ramsès. Il n'a rien de particulier, tant l'art égyptien antique est basé sur des formes de stéréotypes qui font que, dans le fond, tout se ressemble un peu.
 
 

 J'ai eu mes "périodes égyptiennes", ado c'était une culture qui me fascinait, et de dévorais des bouquins sur les fouilles, je me régalais de photos représentant des trésors venus de si loin dans le temps.

Par la suite, d'autres peuples anciens ont exercé sur moi un attrait relevant de l'obsession, comme les Aztèques et les Mayas (beaucoup moins les Incas, curieusement) ou comme les Celtes d'Irlande ou les scribes islandais médiévaux. Dans ces cas-là, pendant quelques temps, je dévore tout ce que je trouve en prenant des notes. Et puis ça retombe et je passe à autre chose. Comme je dis, ce sont des périodes. Il suffit d'un rien d'ailleurs pour que je replonge et me mette à jour.

Il y a une vingtaine d'années, par exemple, alors que je bossais en agence de presse, je me suis retrouvé à traiter et légender des photos de fouilles, des tombes pré-dynastiques qui venaient d'être découvertes. Des trucs fabuleux que j'étais parmi les premiers à voir. Et bim, dans les semaines suivantes j'avais repiqué au truc, essayant de trouver ce que je pouvais sur la période mal connue des deux royaumes et de l'unification du pays.

Alors, pourquoi ce Ramsès ?

Peut-être parce que j'aime beaucoup ce travail du bas relief en creux, sur lequel l'usure du temps est apparente, tout en permettant d'incarner le travail du ou des sculpteurs ayant donné ce visage au Pharaon.

Peut-être aussi parce qu'il s'agit d'un fragment, et que j'aime toujours les fragments suggérant l'ensemble. On devine que le monarque tire à l'arc, et on se prend à imaginer une oeuvre comme son célèbre portrait en pied, lorsqu'il mène la charge sur son char, en décochant des flèches à la bataille de Kadesh.

Il y a un truc intéressant à propos de Ramsès, d'ailleurs. Il semble constituer une espèce de pic de la civilisation égyptienne, il mène une politique diplomatique et militaire de grande ampleur, ce qui le conduit à se heurter de plein fouet à la puissance hittite, au nord. Sous son règne, l'Égypte est une des superpuissances d'une région déjà mondialisée. De grands royaumes éloignés de milliers de kilomètres commercent entre eux des denrées provenant d'encore plus loin. Entre tout ce beau monde, des cité-états jouent les entremetteuses ou servent de monnaie d'échange.

Et vous savez quoi ? Deux ou trois générations plus tard (mais un certain nombre de Pharaons, parce que les successeurs de Ramsès durent de moins en moins longtemps), tout est fini. Pas loin du capitole à la roche tarpéienne, disaient les Romains, et la fin de l'âge du Bronze s'accompagne d'un effondrement généralisé. L'Égypte passe sous domination étrangère, la carte de la méditerranée orientale se recompose violemment, et de la Grèce à la Vallée du Rhône, les villes et lignées puissantes disparaissent et il faut plusieurs siècles pour en voir apparaître de nouvelles.

Si l'on a longtemps présenté Ramsès comme le Pharaon de l'Exode, c'est sans doute à l'un de ses fils ou petit-fils que se réfèrent ces événements, même si l'Exode n'est pas à prendre au pied de la lettre, pas plus que la Guerre de Troie qui lui est à peu près contemporaine selon les chronologie grecques, et dont la version épique a sans doute quelque chose à voir avec le souvenir déformé du chaos s'abattant d'un coup.

Là où c'est vertigineux, c'est que notre Ramsès se situe à peu près à mi-chemin entre Cléopâtre et les pyramides. Ce qui revient à dire que Charlemagne est à mi-chemin entre nous et Alexandre le Grand. Voilà les intervalles de temps en jeu. Si on décale le curseur dans l'autre sens, Cléopâtre est à mi-chemin entre Ramsès et Saint Louis (qui avait relancé le tourisme vers l'Égypte, d'ailleurs, mais ceux qui lisent mes BD doivent le savoir). Et Saint Louis se trouve à mi-chemin entre Cléopâtre et... disons Star Trek versions Capitaine Picard.

C'est le truc à se rappeler dès qu'on parle de civilisation égyptienne. Ce n'est pas un bloc monolithique. Si elle perdure pendant près de 4000 ans, c'est au prix d'évolutions de structure, de modes de pensée, de territoire, que cachent les stéréotypes figés (mais pas tant que ça, en plus) de ses représentations artistiques. Le pic de puissance de Ramsès se situe à mi-chemin entre la crise spirituelle représentée par Akhenaton (accompagnée d'une activité diplomatique montrant que l'état est puissant, et que les controverses religieuses n'en entament pas la force politique) et l'écroulement. Prenons n'importe quelle période de deux siècles sur les mille dernières années, elle ne sera pas plus agitée que ça.

Il y a tout ça dans ce fragment de bas-relief. Le potentiel de tous ces musardages. Que la protection de Râ soit sur vous.

Commentaires

Tonton Rag a dit…
Alex, tu écris "Si l'on a longtemps présenté Ramsès comme le Pharaon de l'Exode, c'est sans doute à l'un de ses fils ou petit-fils que se réfèrent ces événements".

Permets moi de contester et d'aller dans l'autre sens.

Ramses II, c'est la XIXème dynastie, mais la sortie d’Égypte, c'est plutôt la XVIIème dynastie.

Selon les sources égyptiennes, un peuple asiatique, les Hyksos, arrive en Egypte, s'installe dans le pays de Goshen et repart quelques générations après, sous le règne de Segenenrê Tâa.

Toutes ressemblances avec le récit de l'Exode n'est pas une coïncidence, et, s'il y a des divergences narratives, elles sont bien inférieures aux divergences narratives d'un autre conflit, quand le récit vient d'une part de Volodimir Zelensky et d'autre part de Vladimir Poutine.
Alex Nikolavitch a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Alex Nikolavitch a dit…
Alors, oui, y a plusieurs théories à ce niveau. Celle selon laquelle ce serait Mérenptah est pas la plus étayée, mais elle a été proposée. Il y en a même qui placent l'exode encore plus tardivement, au moment des Peuples de la Mer.
Sur les Hyksos, l'hypothèse qu'ils aient été Hébreux demeure contestée (d'autres indicent pointent vers des Hourites ou des Hatti, mais il est difficile de trancher, d'autant que l'appellation pourrait être un fourre-tout désignant plusieurs peuples)
Et tout dépend, bien sûr, de la datation qu'on donne à l'exode (toute durée en 40 ou 400, dans la chronologie biblique, est suspecte, probablement symbolique)
mon "sans doute" est probablement trop fort. J'aurais dû dire "peut-être"

Posts les plus consultés de ce blog

Medium

 Un truc que je fais de temps en temps, c'est de la médiation culturelle. Ce n'est pas mon métier, mais je connais suffisamment bien un certain nombre de sujets pour qu'on fasse appel à moi, parfois, pour accompagner des groupes scolaires dans des expos, des trucs comme ça. Là, on m'a appelé un peu à l'arrache pour accompagner une animation interactive sur les mangas, et notamment les mangas de sport, avec des groupes de centres de loisirs. Bon, c'est pas ma discipline de prédilection, j'ai révisé un peu vite fait. Le truc, c'est qu'on m'en a causé la semaine passée. La personne qui devait s'en charger était pas trop sur d'elle. La mairie du coin (dans une banlieue un poil sensible) voyait pas le truc bien s'emmancher, la patronne d'une asso où je donne des cours l'a su, a balancé mon nom, m'a prévenu... Et c'en était resté là. Je restais à dispo au cas où. On m'a rappelé ce matin "bon, on va avoir besoin de t...

Le grand livre des songes

 Encore un rêve où je passais voir un de mes éditeurs. Et bien sûr, celui que j'allais voir n'existe pas à l'état de veille, on sent dans la disposition des locaux, dans les gens présents, dans le type de bouquins un mix de six ou sept maisons avec lesquelles j'ai pu travailler à des titres divers (et même un peu d'une agence de presse où j'avais bossé du temps de ma jeunesse folle). Et, bien sûr, je ne repars pas sans que des gars bossant là-bas ne me filent une poignée de bouquins à emporter. Y avait des comics de Green Lantern, un roman, un truc sur Nightwing, un roman graphique à l'ambiance bizarre mettant en parallèle diverses guerres. Je repars, je m'aperçois que j'ai oublié de demander une nouveauté qui m'intéressait particulièrement, un autre roman graphique. Ça vient de fermer, mais la porte principale n'a pas encore été verrouillée. Je passe la tête, j'appelle. J'ai ma lourde pile de bouquins sous le bras. Clic. C'était ...

Beware the blob

La perversion alimentaire prend parfois des allures d'apostolat suicidaire. Que ce soit en termes de picole ou de bouffe, il m'arrive de taper dans le bizarre et de tenter des expériences qui tétaniseraient d'effroi une créature lovecraftienne. Comme on a les amis qu'on mérite, et que j'ai dû commettre des ignominies sans nom dans une vie antérieure, certain de mes amis, camarades et autres proches ont aussi leur bouffées culinaro-délirantes. C'est ainsi que certain libraire sévissant dans une grande enseigne vendant de la culture neuve et d'occasion dans le quartier étudiant de Paris m'a initié à toutes sortes de pickles qui arrachent la gueule et à des boissons polonaises que même les Polonaises évitent de prendre au petit déjeuner. C'est aussi ce douteux personnage (ou un ami commun exilé, je ne sais plus, il y a des traumas que l'esprit humain tente miséricordieusement de brouiller) qui m'avait fait découvrir la pâte à tartiner au spe...

The road to the War Zone

Il m'arrive parfois de mettre le nez sur la provenance gougueule de mes lecteurs : le système de ce blog me permet en effet de savoir quelles requêtes gougueule ont amené ici les gens qui ne me connaissaient pas (parce que les gens qui me connaissent ont depuis longtemps l'adresse de la War Zone, vous vous en doutez*). Et à chaque fois, je suis surpris, et souvent atterré. Que "Alex Nikolavitch" ou "War Zone" (mais parfois, visiblement, il s'agit de gens cherchant des infos sur la suite d'un jeu vidéo, je crois) ou Crusades caracolent en tête des requête, c'est un peu normal. Fulchibar aussi (si vous ne savez pas ce qu'est le fulchibar, ne vous en faites pas, nous non plus, mais c'est justement à ça que tient le concept) (et puis le fulchibar, ça ne s'explique pas. ça se vit). Les noms de personnalités évoquées dans ces pages servent aussi de point d'entrée, comme Vlad Drakul, Frédéric Lefebvre, Makhno, Tesla ou Crowley. C'est...

Tombent les renards en feu

Ça faisait des années que j'utilisais et que je défendais Firefox, ce navigateur internet qui est le très lointain héritier de l'antédiluvien Netscape. L'outil était puissant, rapide, efficace, des lieux devant l'immonde Explorer. Mais depuis les mises à jour de cet été, tout déconne. Gestion du Java complètement aléatoire, persistances d'affichage anormales, perte de la prise en compte de balises HTML pourtant classiques... Et à chaque nouvelle mise à jour, je me prends à espérer que ces problèmes seront réglés, et à chaque nouvelle mise à jour, c'est pire. Tout se passe comme si la Mozilla Corporation, éditeur du logiciel, était devenue Microsoft de la grande époque. Firefox 6.0 sur Mac, c'est un merdier total. Et la version 5, sortie deux mois plus tôt, déconnait déjà dans les grandes largeurs. J'envisage très sérieusement de passer à un autre navigateur. Je n'aime pas ça : j'ai mes habitudes, mes paramétrages, mes kilos de signets, et il v...

Trop de la Bal

 Bon, parmi les petits plaisirs angoumoisins, hormis les moments passés avec des amis et amies qu'on voit trop peu, hormis les bouteilles, hormis les expos d'originaux, il y a aussi fouiller dans les bacs. C'est ainsi que j'ai mis la main à vil prix sur un Savage Sword of Conan dans la collection Hachette. Je dois avoir dix ou douze de ces bouquins réimprimant au départ les aventures des années 70, publiées à l'époque en noir et blanc et en magazine, du célèbre Cimmérien de Robert E. Howard, souvent pris pour lire dans le train, quand j'en chopais un à la gare. Autant dire que ma collection est salement dépareillée. Mais comme ce sont à chaque fois des récits complets, ça n'a guère d'importance. En fait, c'est typiquement la série dans laquelle vous pouvez taper au pif sans trop de risque de déception.      Celui-ci, le n°5, je m'en voulais de l'avoir raté et je n'avais pas réussi à remettre la main dessus par la suite. Graphiquement y a...

L'éternel retour

 Bon, c'est l"heure de notre traditionnelle minute d'expression gueuledeboitesque de fin janvier début février. Mon ressenti (page de Marvano à l'expo SF) (c'est toujours un moment fort de voir les originaux de pages tellement frappantes qu'elles se sont gravées à vie dans votre tête) Jeudi : Je n'avais pas prévu d'arriver le jeudi, au départ. Après cinq mois de boulot ultra-intense, déjà à genoux avant même le festival, je me disais qu'une édition plus ramassée à mon niveau serait plus appropriée. Divers événements en amont m'amènent à avancer largement mon arrivée. Il y a une réunion de calage sur un projet qui doit se faire là-bas, plutôt en début de festival. Dont acte. Ça m'amène à prendre les billets un peu au dernier moment, de prendre les billets qui restent en fonction du tarif aussi, donc là j'ai un changement, ça cavale, et je suis en décalé, ça aura son importance. Quand j'avais commencé à préparer mon planning, j'ava...

Unions, ré-unions, il en restera toujours quelque chose si on s'y prend pas comme des chancres

 Bon, j'en ai jamais fait mystère, mais j'ai tendance à faire savoir autour de moi que la réunionite est un peu le cancer de notre société moderne. Je supporte pas les grandes tablées où, passé l'ordre du jour ça oscille entre le concours de bite et la branlette en rond, pour des résultats concerts qui seraient obtenus en règle générale avec un mail de dix lignes.   éviter la Cogip   Quoi ? Oui, je suis inapte au simagrées du monde de l'entreprise moderne, chacun de mes passages dans des grands groupes m'a convaincu que c'étaient des carnavals de... non, aucun mot utilisable en public ne me vient. Et mes passages aux conseils d'administrations d'associations n'ont pas été mieux. Le problème, ce n'est même pas la structure, qu'elle soit filiale d'un truc caquaranqué ou petit truc local tenu avec des bouts de ficelle. Et pourtant, des fois, faut bien en passer par là, j'en ai conscience. Voir les gens en vrai, se poser autour d'une ...

à Angoulème en dédicaces

Le festival d'Angoulème approche, c'est pour la fin du mois. Il faut commencer à s'organiser. Alors si vous avez un agenda,  notez donc ça : En plus de mes passages au stand des éditions La Cafetière, bulle New York, je serai en dédicaces sur l'espace Champ de Mars au stand du MOTIF. Vendredi 27 de 17 à 19 heures Samedi 28 de 14 à 16 heures Dimanche 29 de 12 à 14 heures Venez nombreux !

Space jesuit ecolo on the run !

Dans mon rêve de cette nuit, j'étais un Jésuite de l'espace chargé d'étudier l'écologie d'une planète nouvellement découverte. Sauf que des colons avaient accidentellement introduit des espèces terriennes et étaient en train de bousiller l'écosystème, du coup. Au camp de base numéro 4, je me souviens distinctement avoir expliqué à un cosmonaute "les charmes et les lapins se sont magnifiquement adaptés, hélas". Le tout dans un décor insolite et grandiose de forêt extraterrestre dont des morceaux commençaient de plus en plus à ressembler au bois de Meudon, me demandez pas pourquoi. Le truc, c'est qu'en me réveillant, il me semble que cette histoire de jésuite écolo n'est pas qu'une production enfiévrée de mon esprit malade. Il me semble avoir lu un roman de SF dans le genre. J'ai de bons souvenirs du Cas de Conscience de James Blish, du père Carmody créé par P.J. Farmer,et il y a des jésuites dans Hypérion de Dan Simmons. Je précis...