Hop, suite et fin des redifs à propos de Dune. Si jamais je me fends d'un "les hérétiques", ce sera de l'inédit.
Et, un fois encore, le vieil Herbert (on oubliera charitablement le jeune Herbert et son sbire Kevin J. en personne) les aura roulés dans la farine.
Dune est une série dont l'aspect mystique est une illusion habile, un savant effet de manche. Certains personnages de la série sont mystiques. Certaines organisations et peuples de Dune sont profondément mystiques. Mais l'univers en lui-même et le propos ne le sont, paradoxalement, en aucun cas.
La mystique fait partie du décor de Dune. Il y a une mystique atréïde de la dévotion à l'honneur et à la parole donnée, il y a une mystique bene gesserit du sacrifice à la cause, et une mystique fremen de l'attente du messie, puis de la guerre sainte. Chacune de ces mystiques est battue en brèche, puis annulée par la suite de l'histoire. Les Atréïdes sont exterminés. Les Bene Gesserit se renient, cherchant à empêcher la création du Kwizatz Haderach après avoir réussi à l'accomplir, comprenant qu'elles ont ouvert la boite de Pandore. Les Fremen finissent par être assimilés et par se dissoudre dans l'Empire, finissant comme marchands de souvenirs d'un temps révolu. Il n'est pas innocent que messie promis, Paul Muad Dib ne croit pas à sa propre mystique et tente par tout les moyens d'y échapper.
Et à l'arrivée, la référence à un quelconque Dieu n'est qu'une façade, Dieu n'intervient jamais. Il n'y a que des dieux, des hommes qui se hissent à un niveau divin, ou qui sont divinisés par leur peuple. Le seul à se rapprocher d'un pouvoir divin et opératif est Léto II le tyran, sacrifiant tout pour infléchir le cours du futur.
Le mysticisme, dans Dune, est comme le reste affaire de perception. Le jus mystique dans lequel baignent certains des protagonistes contamine le regard du lecteur. Au point que Jodorowsky, quand il tente de l'adapter au cinéma (avec Moebius, Chris Foss et Giger aux manettes graphiques), projette dessus tout un appareil ésotérique. Ce n'est, de sa part, pas un contresens. C'est juste une réinterprétation personnelle, une reconstruction dans un autre cadre de référence. Il n'est d'ailleurs pas innocent que, quand il réutilise le travail accompli pour Dune pour créer une bande dessinée, l'Incal, il soit obligé d'y ajouter deux éléments d'essence divine, Orh et l'Incal lui-même.
Le précédent épisode de notre grande série sur la série de Frank Herbert avait évoqué l'aspect manipulatoire de la narration dans Dune, cette façon d'arriver à créer dans l'esprit du lecteur des motifs qui ne sont pas dans le texte initial.
La manipulation est patente dans le domaine du mysticisme. Demandez à dix lecteurs de Dune si Dune est une série mystique, au moins neuf vous répondront "oui" sans ambage, considérant que ça va de soi.
La manipulation est patente dans le domaine du mysticisme. Demandez à dix lecteurs de Dune si Dune est une série mystique, au moins neuf vous répondront "oui" sans ambage, considérant que ça va de soi.
Il y a même des bonnes sœurs.
C'est à s'y tromper, forcément.
Et, un fois encore, le vieil Herbert (on oubliera charitablement le jeune Herbert et son sbire Kevin J. en personne) les aura roulés dans la farine.
Dune est une série dont l'aspect mystique est une illusion habile, un savant effet de manche. Certains personnages de la série sont mystiques. Certaines organisations et peuples de Dune sont profondément mystiques. Mais l'univers en lui-même et le propos ne le sont, paradoxalement, en aucun cas.
tout de suite, là, vu comme ça,
ça fait moins mystique
Mais le paradoxe n'est, justement, qu'apparent. La multiplication des points de vue et l'insistance mise à trancher le moins possible font de Dune un univers profondément relativiste, déterministe et, par conséquent, matérialiste, quelles que soient les croyances de ses habitants. Le pouvoir le plus fantastique de la série, la prescience, est ramené à une combinaison génétique associée à un déclencheur chimique puissant, l'épice. Tous les autres "pouvoirs" sont présentés comme la libération du potentiel humain, le résultat d'un entraînement rigoureux, sans intervention d'aucune transcendance. Les pouvoirs génétiques mémoriels des Bene Gesserit ont besoin du même déclencheur chimique, et sont liés à une mémoire ancestrale présentée comme allant naturellement de soi.
Avouez que Benoit XVI serait vachement plus rigolo comme ça.
Bon, tous les autres sont dessinés par Moebius,
alors je vais essayer de faire semblant, histoire de pas me faire repérer.
Et à l'arrivée, la référence à un quelconque Dieu n'est qu'une façade, Dieu n'intervient jamais. Il n'y a que des dieux, des hommes qui se hissent à un niveau divin, ou qui sont divinisés par leur peuple. Le seul à se rapprocher d'un pouvoir divin et opératif est Léto II le tyran, sacrifiant tout pour infléchir le cours du futur.
Essaie encore, petit scarabée
Commentaires
O.
Mais considères-tu Dune comme un roman initiatique, alors ? Et dès lors, initiatique à quoi ?
O.
*si j'avais une barbe, je me la tripoterais pensivement*
Intéressant.
Matière à réflexion.
O.
Les enfants de Dune ne parviennent pas à détricoter la spiritualité qui régit cet univers et mène le récit fondateur du premier roman. J'aurais même tendance à inverser ton propos en disant que les références matérialistes et la négation du divin ne font que donner une aumône de points de repères au mystique, tant son rôle est prégnant.
Quoi qu'il en soit, mystique déçue, sûrement, mais convenons-en, mystique tout de même.
Lp
en ce qui concerne la "réincarnation", Herbert ne l'appuie pas sur une âme, mais sur une "mémoire génétique", certes éloignée de notre conception du réel (il n'y a guère que les raéliens pour croire encore à une identité ADN/mémoire personnelle), mais qui est cohérente dans la construction d'univers de Herbert. il ne s'agit jamais d'âme, mais de mémoire (au point que chaque Ghola semble se retrouver nanti d'une personnalité propre, voir les considérations de Leto II à ce sujet). notons que chez les BG, ce n'est pas la pensée qui se transmet, mais la mémoire, et que ces mémoires transmises ne deviennent délétères (abomination) que quand elles sont transmises par l'hérédité.
la condition humaine dépassée d'un Leto ou d'un Paul est une condition surhumaine, certes, mais qui s'apparente assez à la surhumanité d'un Nietzsche, non pas changement de nature absolue, mais libération d'un certain nombre d'entraves enserrant l'humain. notons d'ailleurs que ce passage les confronte à d'autres entraves, à leur mesure, bien plus terribles (c'est le principe de la "marionnette qui voit les fils" dans le Watchmen d'Alan Moore)
du coup je maintiens que la mystique dans Dune est une projection exclusive des personnages sur l'écran neutre de ce point de vue de l'univers matérialiste dans lequel ils s'agitent.
Lp
bien sûr que la "génétique" est ici une convention, un "plot device" pour faire tenir le truc (tout comme le voyage spatial hyperluminique, autre convention SF).
l'idée, je crois, c'était de déplacer la part de mystère, de prendre du champ, de la distance par rapport au Mystère. sous l'angle herbertien, il se résume à des causes matérielles, c'est quasiment une démonstration de l'axiome de Clarke sur la science suffisament avancée qui ne se distingue plus de la magie.
Lp
Mais vous mettez le doigt, justement, sur le cœur de mon analyse : les personnages ont une approche mystique (quoique dans le cas de Leto, cette mystique ne se focalise pas sur une transcendance, mais comme vous le notez fort bien sur une idéalisation des sentiments), mais la lecture mystique n'est que cela : une lecture. elle est dans le regard du lecteur, et pas dans les romans eux-mêmes. le noter, je ne crois pas que ce soit faire insulte à Herbert ou l'amoindrir (amoindrir et insulter Frank Herbert, Kevin J. et Brian Herbert s'en chargent depuis quelques années, avec une absence de brio qui force l'admiration).
Fondation est un univers rationnel peuplé de gens rationnels (le fait qu'Asimov soit solidement positiviste n'y est probablement pas étranger). 2001 est au contraire un univers peuplé de gens rationnels, mais qui sont confrontés à quelque chose de totalement irrationnel (ou qui ne peut être éventuellement rationnalisé que via l'axiome de Clarke, tiens donc), l'infinité de l'espace étant associée à une entité inconnaissable, ineffable, peut-être (ou peut-être pas, d'ailleurs) d'essence divine mais en tout cas supérieure.
Dune, sous ce rapport, fonctionne à l'inverse de 2001. Les habitants de cet univers sont en demande de transcendance. Ils attendent le messie, le Court Chemin, etc. Le seul problème, c'est que leur univers n'est pas en mesure de répondre totalement à leur prière : le dieu qui apparait est humain, trop humain, et c'est son humanité qui est sa croix, sa tare fondamentale. pour échapper à son humanité et se rapprocher de l'attente divine, il doit se faire monstre (qui veut faire l'ange fait la bête, disait un de nos grands penseurs). je trouve ça assez brillant, assez fascinant.
Mais le mysticisme dans Dune reste pour moi une propriété émergente, absente du matériau qui la voit naitre : c'est justement ce paradoxe que je trouve fascinant. (mais qui est perturbant aussi quand on l'analyse, je le reconnais)
Lp
Vous avez gagné votre place dans la ferme de Bouvard et Pécuchet.
Lp