Accéder au contenu principal

Le Messie de Dune saga l'autre

Hop, suite de l'article de l'autre jour sur Dune. Là encore, j'ai un petit peu remanié l'article original publié il y a trois ans.




Je ne sais pas si vous avez vu l'argumentaire des "interquelles" (oui, c'est le terme qu'ils emploient) de Kevin J. En Personne, l'Attila de la littérature science-fictive. Il y a un proverbe qui parle de nains juchés sur les épaules de géants, mais l'expression implique que les nains voient plus loin, du coup, que les géants sur lesquels ils se juchent. Alors que Kevin J., non. Il monte sur les épaules d'un géant, mais ce n'est pas pour regarder plus loin, c'est pour regarder par terre. C'est triste, je trouve.

Donc, voyons l'argumentaire de Paul le Prophète, l'histoire secrète entre Dune et le Messie de Dune. Et l'argumentaire pose cette question taraudante : dans Dune, Paul est un jeune et gentil idéaliste qui combat des méchants affreux. Dans Le Messie de Dune, il est devenu une espèce de salopard de dictateur galactique qui a tué plus de gens que Mao, Hitler et le régime coca / hamburgers réunis. Que s'est-il passé, grands dieux ? Quel mystère ! Comme l'argumentaire est mal foutu, on peut même y lire entre les lignes un vibrant reproche à la vraie saga de Dune. Une accusation d'incohérence. Une difficulté insurmontable pour les gentils lecteurs qui n'y retrouvent pas leurs petits. Heureusement que Kevin J. est là pour réparer les conneries de Frank Herbert.

Kull Wahad.

C'est fou, cette civilisation où même les gens dont c'est censé être le métier ne comprennent plus les forces souterraines qui agitent un texte. Ne comprennent plus le vrai sujet d'un texte sous son argument apparent. N'en comprennent plus les personnages par incapacité à dépasser le dualisme "les gentils et les méchants". Si Paul est un gentil au départ, alors faut expliquer comment il est devenu méchant un tome plus tard. Ou le dédouanner de sa méchanceté pour qu'il reste un gentil, en réexpliquant tout au besoin. Dommage que Kevin J. (et son complice, que je ne nommerai pas car il déshonore ses ancêtres) n'ait pas lu d'assez près les bouquins dont il est censé donner la suite. Même dans Dune, Paul Atreides n'est pas qu'un gentil garçon. Oui, il est peut-être idéaliste (Et qu'un idéaliste puisse se durcir face à la réalité semble échapper à Kevin. Qu'un idéaliste puisse se retrouver prisonnier de sa propre mystique lui est visiblement inconcevable), mais c'est aussi quelqu'un qui est en train d'accomplir une terrible vengeance. Ce n'est pas un "gentil", même s'il a, peut-être, meilleur fond que ses adversaires. Une telle vengeance, surtout avec les moyens que se donne Paul, compte tenu aussi des forces avec lesquelles il joue pour l''accomplir, l'empêche de rester un gentil garçon, s'il l'a jamais été.

Ce qui est très drôle, c'est que toute la saga de Dune est dominée par les Bene Gesserit, dont le boulot est de lire entre les lignes encore plus fort qu'un DRH accro à la PNL et aux ecstas. Dans Dune, rien ne doit être totalement pris au premier degré, jamais. Tout relève du signe pointant sur autre chose. Des plans dans des plans dans des plans, des feintes dans des feintes dans des feintes. Même les pires explosions de violence destructrice ne sont parfois qu'un leure. Même les meilleures intentions sont parfois une arme politique. Même les meilleurs traits de caractère sont parfois des tares génétiques qu'on s'efforce d'éliminer. Les Atréïdes ne sont pas des gentils. Le vieux Duc était un bravache, Leto 1er un ambitieux, Paul un usurpateur et Leto II un tyran. Qu'ils aient pu avoir de bonnes intentions est probable. Qu'ils aient tenté de limiter la casse en un fait avéré. Le sacrifice accompli par Leto II est admirable dans sa démesure, dans son côté christique absolu. Il conduit aussi à faire de lui un monstre répugnant, un manipulateur mégalomane. Tout cela pour une bonne raison. C'est là que se situe, justement, une partie du sacrifice. Mais Leto n'est pas celui qui paye le prix le plus élevé. La famine et l'exode qui s'ensuivent représente encore plus de morts que tous les jihads lancés au nom de Paul Muad'Dib.


À l'autre extrémité du spectre, les Harkonnen, ennemis héréditaires, présentent un cas tout aussi intéressant. Les Harkonnen, à la base, ce sont ces méchants qui feraient peur même à Dark Vador. Ils sont odieux, pervers, déviants, répugnants. Heureusement qu'ils passent leur temps à essayer de se zigouiller entre eux (quand ils ne sont pas en train de zigouiller leurs ennemis, ou de les faire zigouiller par d'autres, ou de les torturer). Méchants, les Harkonnen. Méchants. Et pourtant... Pourtant, le Bene Gesserit tient à récupérer leurs gènes. Et y tient tellement que pour bien faire, il faudrait les croiser deux fois plutôt qu'une avec la lignée atréïde. Les Atréïdes sont ceux qui finissent par s'enfermer dans le piège déterministe de la prescience. Et ce sont leurs gènes Harkonnen qui leurs permettent de basculer, parfois, dans l'imprévisible. De desserrer les mâchoires de l'étau (en refermant celles de Leto sur la civilisation dans son ensemble). C'est Jessica, la fille du baron Harkonnen, qui suivra ses sentiments plutôt que les plan et empêchera que le Kwizatz Haderach ne soit une marionette entre les mains des Sœurs. C'est Paul qui jettera à bas une civilisation dix fois millénaires. C'est Leto qui navigue dans les replis du futur comme les monstrueux navigateurs explorent les replis de l'espace.

La prescience fige le temps, mais il existe un facteur qui permet de secouer les barreaux de la cage. D'un coup, l'extraordinaire perversité des Harkonnen prend des allures de mal nécessaire. Horiblement, terriblement nécessaire. Difficile d'ailleurs de ne pas rapprocher le baron, obèse, manipulateur et monstreux, de son arrière petit fils Leto qui pousse ces traits jusqu'à une démesure absolue.

I see plans within pants (proverbe Harkonnen)

Des milliers d'années plus tard, c'est encore un dispositif Harkonnen qui permettra à Miles Teg et à Duncan Idaho d'échapper à leurs ennemis. D'un coup, on se demande si l'éternel jeu de cache-cache entre hasard et nécessité ne trouve pas son illustration dans le cycle de Dune. Des évènements qui sembleraient aléatoires, absurdes sur le moment, mais qui s'insèrent tous dans un grand plan ou, pour mieux dire, dans un grand mouvement de nécessité aveugle. Leto le tyran comme incarnation de la coûteuse nécessité, celle de rétablir la part de chaos, de hasard, dans les affaires humaines...

C'est une éthique étrange, qui se dégage de Dune, par delà-le bien et le mal. Une éthique du pragmatisme abolu, incarnée par Leto, mais aussi (et presque surtout) par le Bene Gesserit, qui fera faire à ses propres plans un virage à 180 degrés quand il finira par comprendre que le Kwizatz Haderach, au lieu d'être un être libre de toute entrave, est une prison pour tous.

Hasard et nécessité. Des incarnations d'icelle qui précipitent le règne d'icelui, et retour. Un pragmatisme qui tent à canaliser ce chaos. Un chaos qui conduit à prendre des positions tranchées et à tirer des plans sur le long terme.

C'est une des choses que l'on peut voir dans Dune, et que ses continuateurs n'ont semble-t-il pas vue. Ou peut-être n'était-ce qu'une autre feinte de l'auteur, qui aurait alors laissé délibérément saccager son œuvre pour pousser les fans à aller voir ailleurs ?


Commentaires

Odrade a dit…
Tu sais que tu me plais quand tu parles comme ça ?
:o)


O.


PS c'est quoi une incarnatation ? des mouvements aquatiques sychrotronisés ?

Posts les plus consultés de ce blog

Ruelle dans les brancards

 De nouveaux des rêves de villes d'ancien régime, labyrinthiques, aux ruelles tortueuses, aux pierres et aux huisseries de bois noircies. Cette nuit, j'étais dans la partie touristique de la vieille cité, les bâtiments vénérables sont défigurés par des boutiques de souvenirs cheap et des bars à hôtesses pour touristes en goguette.  L'une d'entre elles, qui joue les rabatteuses pour un établissement louche et surveille donc toutes les allées et venues de la rue, me fait pénétrer dans la maison d'un riche propriétaire qui écrase tous ses voisins sous les loyers. Il a une collection d'art assez étrange, un côté océanien marqué, mais remanié par Lovecraft et Derleth. Les pièces sont exposées sur des murs boisés à l'ancienne, qui assombrissent les pièces. L'éclairage ne parvient pas à compenser et tout a un côté sinistre et inquiétant. Je trouve ce que je venais chercher, une statuette ultra chelou, gigero-primitive. Je sais que si je l'embarque, je me fe...

Révisions, rétrocontinuité et crises infinies, quand les héros fuient leur passé

Encore une rediff, un gros article que j'avais publié dans l'antho des Moutons électriques  Super-héros : Sous le masque. Les univers de super-héros se « rebootent » à intervalles réguliers, partiellement ou complètement. Les histoires redémarrent à zéro et l’on en profite pour dépoussiérer les concepts. Mais pourquoi ce révisionnisme ? Pourquoi le Superman de 1938 n’est-il plus exactement le même personnage que celui de 1954, de 1988 ou de 2012 ? Le temps qui passe est-il la kryptonite de ces personnages costumés ? Lorsque Siegel et Shuster créent Superman au milieu des années 1930, ils n’ont encore aucune idée de la postérité à venir de leur personnage. Et pour cause : personne chez l’éditeur n’y croit et la première histoire publiée en 1938 l’est à titre de bouche-trou dans Action Comics n°1. Mais le succès immédiat engendre des imitations et détournements, et au fil des années qui suivent, on voit apparaître Batman, Human Torch, Sub Mariner, Wonder Woman, Captain America et...

Bonneteau sémantique

Bon, même si j'ai pas vraiment d'éditeur en ce moment, pour les raisons que vous savez (si vous êtes éditeur et que je vous ai pas encore embêté en vous envoyant mes trucs, manifestez-vous), je continue à écrire.   Avec le temps, j'en ai déjà causé, je suis devenu de plus en plus "jardinier", en ce sens que quand je commence à écrire, je n'ai plus qu'un plan très succinct, indiquant juste la direction du récit et ses grosses balises et je me laisse porter par les situations et les personnages. Bon, une des raisons, c'est que quand je faisais des plans détaillés, j'en foutais la moitié au panier en cours de route. Une autre, c'est que je me fais plus confiance, à force. Là où j'ai changé mon fusil d'épaule, c'est que le truc sur lequel je bosse en ce moment est un roman d'anticipation (développant l'univers posé dans quelques unes de mes nouvelles, on retrouve d'ailleurs un personnage) et pas de fantasy. Mon plan se rédui...

Return of the space cow-boy

 À l'occasion de ma pause post-prandiale, je m'étais remis la scène d'ouverture d' Il était une fois dans l'ouest , parce que ça fait du bien des fois de revenir aux fondamentaux. Et puis, alors que je tentais de me remettre au boulot, j'ai tilté que le nouvel épisode d' Alien Earth venait de sortir. Bon, j'en causerai pas plus avant aujourd'hui, because que j'attends la fin de la série pour me faire un avis définitif (j'aime bien  Noah Hawley à la base, y a des choses que j'apprécie là-dedans et d'autre dont... j'attends de voir comment elles vont évoluer), mais j'ai eu un petit tilt. Ça représentait en apparence une sorte de grand écart conceptuel et esthétique, Charles Bronson et son harmonica d'un côté, Timothy Olyphant peroxydé téléchargeant des données biologiques de l'autre, sauf que... non, en fait. Ben oui, le western et le récit spatial (bon, même si on est pas dans le spatial avec Alien Earth , mais avec la...

Causes, toujours

 Dans la mesure où j'ai un peu de boulot, mais que ce n'est pas du tout intense comme ça a pu l'être cette année, j'en profite pour tomber dans des trous du lapin de documentation, qui vont de la ville engloutie de Kitej (pour une idée de roman avec laquelle je joue depuis l'an passé mais que je ne mettrai pas en oeuvre avant de l'avoir bien fait mûrir) à des considérations sur les influences platoniciennes sur le christianisme et le gnosticisme primitifs (pour me tenir à jour sur des sujets qui m'intéressent de façon personnelle) à des trucs de physiques fondamentale pour essayer des comprendre des choses sans doute trop pointues pour moi.     Là, ce soir, c'étaient des conversations entre physiciens et un truc m'a fait vriller. L'un d'entre eux expliquait que la causalité est une notion trop mal définie pour être encore pertinente en physique. Selon lui, soit on la repense, soit on la vire. Il cite un de ses collègues britanniques qui disai...

Rebooteux

 Bon, on a profité de l'été pour se faire des sorties cinés avec la tribu Lavitch. Et comme il y a un tropisme comics par ici, ça a été Superman et Fantastic Four.     Pas grand-chose à dire sur le FF , qui est dans la moyenne des films Marvel en termes de scénar, mais bénéficie d'une belle direction artistique et d'un ton qui, pour le coup, colle assez avec ce qu'on était en droit d'attendre d'un film sur le quatuor le plus emblématique des comics, et qu'aucun des films précédents qui leur étaient consacrés n'arrivait à approcher (à part peut-être un peu le Corman, mais on reconnaîtra que c'est un cas particulier). Pas le film de l'année, mais un moment fun et coloré. On notera que prendre une actrice qui s'appelle Kirby pour faire le personnage le plus stanleesque de la bande ne manque pas d'ironie, mais elle fait bien le job, donc...  Fun et coloré, ce sont aussi des mots qui viennent à l'esprit en voyant le Superman , James Gunn ...

Romulus et Rémus sont dans un vaisseau

 Comme il y a des domaines sur lesquels je suis toujours un poil à la bourre, j'ai enfin vu Alien : Romulus . J'avais eu l'intention d'y aller en salle, mais pour des problèmes d'emploi du temps, ça ne s'était pas fait. Et de toute façon, vous le savez si vous me lisez depuis longtemps, j'avais signé l'avis de décès de la licence Alien il y a déjà quelques années. Bon, hier soir, après avoir passé quelques heures en recherches perso sur des sujets obscurs (le proto-canon paulinien de Marcion, ça vous parle ? Probablement pas), je me suis calé devant la télé, et en fouillant dans les menus des plateformes, je suis tombé sur Romulus et je me suis dit : allez. Y a quinze jours, en faisant la même démarche, j'étais tombé sur le documentaire de Werner Herzog sur Bokassa. Pas exactement le même délire. Je ne m'attendais pas à grand-chose. J'avais vu passer des critiques pas très sympa. Ceci dit, les bandes annonces m'avaient fait envie : décor...

Sur la route encore

 Longtemps que je n'avais pas rêvé d'un voyage linguistique. Ça m'arrive de temps en temps, je ne sais pas pourquoi. Là j'étais en Norvège, je me retrouve à devoir aller dans le nord du pays pour accompagner un groupe, je prends un ferry puis une sorte de car pour y aller. Une fois sur place, on se fait une forteresse de bois surplombant un fjord, c'est féérique et grandiose. Pour le retour, pas de car. On me propose un camion qui redescend par la Suède, j'accepte le deal. Je me retrouve à voyager à l'arrière d'abord puis, après la douane, je passe devant avec le conducteur qui parle un français bancal et son collègue co-pilote qui cause un anglais foireux. Bon baragouine en suivant des routes tortueuses entre des pins gigantesques. Y a des étapes dans des trucs paumés où on s'arrête pour manger, un début de bagarre qu'on calme en payant une bouffe à tout le monde. Des paysages chouettes. Je suis jamais arrivé à destination, le réveil a sonné, ma...

Chez les voisins

 Vous le savez peut-être, mais il m'arrive d'écrire dans la presse, notamment dans Geek le Mag (je travaille avec eux depuis déjà quelques années).  Là, ils m'ont demandé des notules pour leur site internet. Tout à fait le genre de choses que j'aurais fait normalement sur ce blog, des petites considérations sur tel personnage, telle préconception. Y en a déjà quatre en lignes : Pourquoi Hollywood ne peut pas adapter Fondation  ? Guy Gardner est-il un connard ?  L'éternel retour de Red Sonja Tezuka a-t-il vraiment inventé les mangas ?    Y a parfois un côté gentiment troll. On va voir ce que ça donne. J'essaierai de les répercuter ici à l'occasion.   Par ailleurs, je mets en place à partir du 2 octobre un atelier d'écriture sur l'imaginaire, à la Maison de Quartier du vieux Conflans, à Conflans Ste Honorine. Ce sera un jeudi sur deux de 20 à 22h. N'hésitez pas à me solliciter en commentaire à ce sujet. Le site du comité de quartier    

Sonja la rousse, Sonja belle et farouche, ta vie a le goût d'aventure

 Je m'avise que ça fait bien des lunes que je ne m'étais pas penché sur une adaptation de Robert E. Howard au cinoche. Peut-être est-ce à cause du décès de Frank Thorne, que j'évoquais dernièrement chez Jonah J. Monsieur Bruce , ou parce que j'ai lu ou relu pas mal d'histoires de Sonja, j'en causais par exemple en juillet dernier , ou bien parce que quelqu'un a évoqué la bande-son d'Ennio Morricone, mais j'ai enfin vu Red Sonja , le film, sorti sous nos latitudes sous le titre Kalidor, la légende du talisman .   On va parler de ça, aujourd'hui Sortant d'une période de rush en termes de boulot, réfléchissant depuis la sortie de ma vidéo sur le slip en fourrure de Conan à comment lui donner une suite consacrée au bikini en fer de Sonja, j'ai fini par redescendre dans les enfers cinématographiques des adaptations howardiennes. Celle-ci a un statut tout particulier, puisque Red Sonja n'est pas à proprement parler une création de Robert H...