"Comme si, en son sein, toutes les abominations de la mer avaient trouvé refuge…"
(William Hodgson, 1875-1918)
C'est parfois le destin des écrivains que d'être oubliés. Et d'être redécouverts par la suite, pour des raisons extérieures à leur œuvre. En effet, de nos jours, William H. Hodgson est surtout vu, à l'instar d'Arthur Machen, comme "le précurseur direct d'Howard Philips Lovecraft", ce qui, sans être faux, est néanmoins réduire quelque peu la portée de son travail dans le domaine de l'horreur, même si, par sa puissance visionnaire, La Maison au Bord du Monde chasse en effet sur des terres qui seront plus tard largement explorées par le démiurge de Providence, qui pourtant le découvrira sur le tard.
Le jeune Hodgon s'était engagé dans la marine à l'âge de 13 ans. Fort maltraité par un autre membre d'équipage, il se mit au judo et au culturisme pour pouvoir se défendre, ce qui lui permit de sauver un de ses compagnons dans une mer infestée de requins.
À l'usage, après avoir fait trois fois le tour du monde, il finit quand même par s'apercevoir qu'il détestait cordialement la mer, et son œuvre s'en ressent : sa production a un petit goût de Conrad flippé. Des Pirates Fantômes aux nouvelles de la Chose dans les Algues, Hodgson mélange allègrement aventure maritime et horreur pesante, déployant des ambiances poisseuses au odeurs de vase et de goémon (ça aussi, Lovecraft saura creuser ce sillon par la suite).
Il donna aussi une impulsion nouvelle à la notion d'enquêteur de l'occulte avec sa série Carnacky et les fantômes, racontant les aventures d'un détective spécialisé dans les affaires criminelles étranges, dans lesquelles une explication rationnelle n'est pas toujours donnée à la fin.
Mais outre son activité d'écrivain, Hodgson fut aussi photographe, professeur de sport et d'autodéfense et artilleur, ce dernier emploi lui coûtant d'ailleurs la vie dans la région d'Ypres, en pleine Première Guerre Mondiale.
Depuis, Hodgson est redécouvert à intervalles plus ou moins réguliers par des éditeurs qui tentent de l'imposer au public, le premier d'entre eux étant August Derleth, vieux camarade de Lovecraft, et par des illustrateurs qui tentent de le mettre en image, au nombre desquels on compte rien moins que Philippe Druillet et Richard Corben.
Commentaires
O.
O.
HPL a redécouvert les oeuvres les plus importantes de Hodgson à la fin des années 1920, quand il a voulu donner une forme définitive à son essai "Epouvante et surnaturel en littérature" en vue d'une publication que, comme David Vincent, jamais il ne trouva (enfin pas sous la forme espérée), et qu'il s'est aperçu que ce Hodgson qu'il n'avait pas jugé très intéressant avait commis par ailleurs des choses assez épastrouillantes. La même chose, incidemment, s'est passée avec Chambers, devenu à l'époque de HPL un auteur de romances à l'essence de violette, ce qui a fait lever le sourcil de HPL quand il a découvert tardivement "Le roi en jaune" ou "Le faiseur de lunes".
La détestation de la mer avait des origines différentes chez HPL et chez WHH, et finalement, leur sens cosmique aussi. Il est d'ailleurs fondamentalement différent, grandiose et mystique chez WHH, terrifiant et anéantissant chez HPL. HPL, ce sont les poulpes, mais en fin de compte, Hodgson, malgré la mer récurrente, ce sont surtout les cochons qui lui foutent la trouille. On en retrouve dans "Carnacki", dans "Le Pays de la Nuit" et dans "La Maison au bord du monde", comme d'étranges symboles de dégradation ultime.
(Ah, pour moi, c'est pas "fibedlep", mais "mists". Tout à fait idoine, dirais-je)
oui, l'imagerie du cochon est bien dérangeante, dans Hodgson.
en tout cas, on est bien dans un de ces cas où, comme le disait Borges, "l'artiste crée ses précurseurs"
Mais fibedlep, je m'en doutais.
O.
(et le mot qu'on me demande pour valider est "dingue" — à la limite, la pertinence fout la trouille)
Je viens de faire paraître une biographie critique de l'auteur de fantastique et SF anglais William Hope Hodgson aux éditions Pardès. +détails sur http://williamhopehodgson.wifeo.com/
Cordialement.
Laurent QUIEVY