"Il y a trois savoirs : le savoir proprement dit, le savoir-vivre, et le savoir-faire, les deux derniers dispensant généralement du premier."
(Talleyrand, 1754-1838)
Il y a beaucoup à dire sur Monsieur de Talleyrand. D'ailleurs, nombreux sont ceux qui ont beaucoup dit ou beaucoup écrit sur lui. D'aucuns passent des pages et des pages à creuser les motivations de ce grand homme d'état qui servit un certain nombre de régimes et de maîtres, avec une constance dans l'infidélité qui force l'admiration. Mais sans doute est-ce parce que Charles-Maurice, Prince-Duc de Talleyrand, Comte de Périgord, Prince de Bénévent, Prince de Chalais, Marquis d'Excideuil, Comte de Grignols, Évêque d'Autun, Duc de Dino et Vice-Grand-Électeur a tout fait pour rester une énigme. Boiteux, pas forcément beau, capable d'une grande force d'inertie, jouant la montre quand les ordres lui déplaisaient, c'était aussi un diplomate-né, un homme de spectacle et d'apparences, un fin louvoyeur à la réputation de traître bien établie, mais le genre de traître qui restait indispensable, même à ceux qui se méfiaient de lui. Soyez proche de vos amis, et plus proche de vos ennemis, dit-on. (Sur les quatre derniers rois de France, le seul à avoir achevé paisiblement son règne était celui qui l'a pris comme ministre, ce n'est peut-être pas une coïncidence).
Une histoire restée célèbre donne la mesure du sens du spectacle du bonhomme. Au cours d'une période de pénurie de saumon, il réussit à s'en procurer deux, énormes, à prix d'or, qu'il se fit livrer par courrier spécial depuis le Rhin. Puis il convia à dîner chez lui la meilleure société parisienne. Au cours du repas, deux serviteurs apportèrent le plat d'argent sur lequel reposait un des deux poissons, artistement préparé par le cuisinier Carême (un homme qui ne méritait pas son nom). Soudain, l'un des serviteurs trébuche, se prenant les pieds dans le tapis. Le saumon tombe par terre, sous les yeux horrifiés de l'assistance. Sans se démonter, Talleyrand ordonne : "Qu'on en apporte un autre !". Ce qui fut fait. Inutile de dire que l'assemblée en resta médusée, et qu'on en parla dans tout Paris (et qu'on en reparle encore aujourd'hui, c'est dire).
Mais il était aussi l'homme qui, à l'approche des troupes alliées, fit croire qu'il partait avec l'impératrice, pour rester à Paris (après avoir organisé lui-même l'émeute qui l'empêcha de quitter la capitale) afin de complaire à la fois aux bonapartistes et aux royalistes, l'homme qui sauva la France au congrès de Vienne rien qu'en déstabilisant les diplomates sur des points de détail de protocole et de formulation, et qui pleura à chaudes larmes le jour de la mort de l'amant de sa femme, car il considérait qu'il avait sur elle une saine influence...
Commentaires
bon, c'est pas comme si c'était une surprise ou quoi, mais quand même.
bon, le vrai regret, c'est qu'on n'en ait plus des comme ça. nos politiciens actuels ont gardé le côté traitre sans s'encombrer du côté génial, et forcément, c'est une situation à la "chapeau de Bob Dylan", quoi.