"La réalité, c'est tout ce qui ne disparaît pas quand on cesse d'y croire."
(Philip K. Dick, 1938-1982)
On a coutume de penser que les écrivains sont généralement un peu fous. Et que les grands écrivains le sont beaucoup. À ce tarif-là, Philip K. Dick était un grand écrivain. En tout cas, fou, il l'était probablement.
Il l'a dit lui-même : "De tout temps, les hommes ont parlé à Dieu. Et les ennuis ont commencé quand Dieu s'est mis en tête de répondre." Pour Dick (qui a de toute façon eu une existence agitée) les vrais ennuis ont commencé en 1974, quand Dieu (ou une entité extraterrestre supérieure, ou un effet secondaire d'une anesthésie dentaire un peu violente) lui est apparu sous la forme d'un rayon de lumière rose.
La vie de Dick en fut bouleversée, et il devint encore plus paranoïaque qu'il ne l'était avant, comme en témoigne sa réaction quand ses papiers personnels furent fouillés par la police : "Dieu merci ! Ça prouve que je ne suis pas paranoïaque", a-t-il confié à l'époque. Il voyait des complots partout, et Nixon comme la réincarnation de la puissance conquérante et persécutrice de Rome. Ses romans ultérieurs, comme SIVA ou l'Invasion Divine se ressentent de cette expérience mystique à laquelle il ne croyait lui-même qu'à moitié. Manque de chance, c'est à peu près vers cette époque que la célébrité internationale lui vint. Inutile de dire que ceux qui l'ont entendu donner à Metz sa célèbre conférence Si ce monde vous déplait, vous devriez en essayer quelques autres furent surpris de voir l'auteur vaguement gauchiste de Ubik ou du Dieu venu du Centaure leur parler d'épiphanie et de réalités parallèles peuplées de Chrétiens originels. Cerise sur le gâteau, Dick était à présent doté de superpouvoirs : il pouvait tuer les puces par imposition des mains. Le crucifix en sautoir, blindé de café et sans doute d'amphétamines (une drogue dont il faisait une importante consommation quand il écrivait un roman en trois semaines), le Californien illuminé avait de quoi faire peur.
Heureusement pour les marchands du temple, cet inquiétant et pourtant très sympathique personnage finit par s'éteindre, sans doute suite à ses abus médicamenteux. De nos jours, même Spielberg et John Woo peuvent s'attaquer à l'adaptation de ses nouvelles sans crainte de passer pour des thuriféraires d'une version non homicide de Charles Manson, Dick étant entré au panthéon de la culture populaire par des moyens moins radicaux.
Profitons en pour tordre le cou à une légende tenace : Dick ne détestait pas l'adaptation filmée de son roman Les Androïdes Rêvent-ils de Moutons Électriques, sortie sur les écrans sous un titre emprunté à Burroughs (William, pas Edgar Rice), Blade Runner. Si Dick n'aimait pas trop la voix off (encore une autre légende : la voix off y était dès le départ, quoi qu'ait pu en dire par la suite ce révisionniste de Ridley Scott), il adorait l'ambiance du film, (qu'il avait vu dans un prémontage peu de temps avant sa mort) et son aspect visuel, comme en témoigne une de ses dernières interviews.
Le plus drôle, dans tout ça, c'est que si Dick adorait la science-fiction, il ne supportait pas d'y être confiné. Il écrivit plusieurs romans de "littérature blanche", qui ne furent publiés qu'après sa mort, à l'exception notable des Confessions d'un Barjo. Rassurez-vous, ils étaient aussi barrés que ses histoires de SF.
Commentaires
Y'a aussi l'uchronie rigolote de Michael Bishop, Requiem pour Philip K. Dick, dont le leitmotiv est : "Hélas, Philip K. Dick n'est plus/Dieu va prendre mon pied au cul"
Bonne lecture. :)
Et le Bishop est excellent, en effet.
mais ses mariages ont tous été très compliqués, j'ai l'impression.