Accéder au contenu principal

Bon, on va arrêter avec les titres d'articles détournant ceux de Dune

Si vous traînez régulièrement vos bottes sur ces colonnes, vous devez avoir noté que la saga Dune (de Frank Herbert, méfiez-vous des imitations) tient une place éminente dans les étagères où se rangent mes obsessions. C'est un cycle de SF que je relis de temps à autres et sur lequel ma réflexion revient souvent.

Les récentes discussions, ici même ou en conférence, concernant le "schéma de Campbell" et son ubiquité perçue ne pouvaient que se télescoper avec cette obsessions. Et donc, quelques notes sur le voyage héroïque dans Dune.




Si l'on s'en tient au premier roman de la série, l'utilisation d'un schéma campbellien (ou en tout cas sa conformité au dit schéma) ne fait aucun doute. Paul Atreides, jeune homme content de voyager, se retrouve pris dans un réseau de jeux de pouvoirs et perd tout : sa famille, ses amis, son titre de duc, l'accès à l'univers extérieur. Le voilà forcé de repartir de zéro, dans un environnement qu'il ne connaît pas et dont il doit apprendre les règles sous peine de mort. Ce faisant, il va s'ouvrir à un destin plus grand et à sa vraie nature, et pourra reconquérir son univers.

Si vous faites un tableau des passages obligés chez Campbell, entre l'arrachement au contexte familier, la perte des mentors, la confrontation à l'ombre, la mort apparente… vous cochez à peu près toutes les cases (je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, c'est une très mauvaise idée de faire des jeux à boire basés sur Campbell, le coma éthylique, encore une mort apparente, tiens, en est l'issue quasi obligatoire). Le fait que cela s'associe à une vengeance n'est qu'un à-côté : beaucoup de voyages à la Campbell présentent cet élément, qui n'en fait pourtant pas fondamentalement partie. Mais (j'en ai parlé il y a pas longtemps), la vengeance est un puissant motivateur initial, même si sur la longueur, il convient de ne pas s'y cantonner. Si Luke Skywalker, Conan (chez Milius), Harry Potter ou Simba veulent venger leurs parents, il arrive généralement un moment où, pour une raison ou une autre, cette vengeance passe au second plan, ou se vide de son sens.

Mais Dune, ce sont six tomes. Et le voyage de Paul Muad-Dib ne couvre que le premier d'entre eux. Ce qui fait de la saga un bon laboratoire pour réfléchir à ce qui se passe après. Car quand le héros a accompli son voyage, qu'est-ce qu'on fait ? C'est un problème que les auteurs de comics connaissent bien, par exemple : la structure en feuilleton complique l'usage de ce genre de schémas. On ne peut pas l'appliquer plusieurs fois de suite au même héros sans l'abîmer.

Ce que fait Herbert dans Le Messie de Dune, c'est de se pencher sur les conséquences du premier voyage. Grosso modo, la vie de famille cachée dans l'expression consacrée par les contes de fées "et ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants". Et ce n'est pas beau à voir. Les forces avec lesquelles a joué Paul (notamment le fanatisme religieux) ont pété à la figure de tout le monde. Il se trouve prisonnier des conséquences de ses actes (et pire encore, piégé par sa capacité à voir l'avenir). Son nouvel empire est devenu une théocratie sanglante. Et s'il le déplore, il ne peut rien faire pour le changer. Si le voyage du héros est une métaphore du passage à l'âge adulte, le Messie de Dune raconte toutes les vicissitudes de celui-ci, quand la vie vous présente la facture.

Vu que la vie est un cycle, le passage à l'âge adulte est suivi par un passage de relais. Ceux qui ont maintenant à conquérir leur maturité, ce sont Les Enfants de Dune, les jumeaux qu'a eu Paul de Chani. Le jeune Leto a bien compris les effets délétères du jihad de Paul. Mais pour les contrebalancer, il doit se lancer dans une quête plus ambitieuse encore. Paul était devenu un messie à l'issue de son initiation, Leto devra aller plus loin. Ce qu'il va perdre en route, c'est la plus large part de son humanité. Voilà pour l'aspect sacrificiel du voyage héroïque. Involontaire chez Paul, il est totalement assumé chez Leto. Du coup, cet aspect très odinique du voyage entrepris par Leto empêche la redite (qui est toujours le risque quand on reprend plusieurs fois un même schéma).



Une fois encore, le tome suivant s'occupe des conséquences. Dans L'Empereur Dieu de Dune, Leto est devenu un monstre, et le sacrifice ultime qu'il va concéder à son grand plan n'est plus cambpellien. Si Campbell nous encode le passage à l'âge adulte, le sacrifice de Leto est celui d'un être qui, d'une certaine façon a peur de se laisser gagner par la sénilité, et veut au passage conjurer la sénilité de toute la civilisation qui l'a vu naitre.

Herbert s'ingénie à casser les schémas, et celui que nous voyons apparaitre dans les quatre premiers tomes (une alternance d'ascensions et de chutes) se verra non pas contrarié, mais sérieusement amendé dans les deux tomes suivants, Les Hérétiques de Dune et La Maison des Mères. Si c'est la Bene Gesserit Darwi Odrade qui assure le lien entre les deux livres, la dispersion de l'intrigue fait d'elle avant tout une sorte de fil conducteur plus qu'un protagoniste.


D'une certaine manière, en montrant l'univers d'un dieu refusant de s'enfermer dans un futur, Herbert nous montre qu'il refuse de s'enfermer dans un schéma, que ce soit celui de Campbell ou le sien propre (quel dommage que ses continuateurs ne l'aient pas compris). Le métissage organisé par le Bene Gesserit avec les lignées Harkonnen et Atréides était quelque chose de trop calculé, le métissage général et la redistribution des cartes généré par l'invasion des Matriarches produit un chaos qui sera bénéfique, à terme, à la civilisation. D'un monde déterministe divisé en castes, Herbert fait graduellement un monde ouvert, infini, libéré des vieux schémas…

Commentaires

Odrade a dit…
OK.
Compris.
C'est le moment pour moi de re-re-re-re-relire la série.

O.

Posts les plus consultés de ce blog

Bonneteau sémantique

Bon, même si j'ai pas vraiment d'éditeur en ce moment, pour les raisons que vous savez (si vous êtes éditeur et que je vous ai pas encore embêté en vous envoyant mes trucs, manifestez-vous), je continue à écrire.   Avec le temps, j'en ai déjà causé, je suis devenu de plus en plus "jardinier", en ce sens que quand je commence à écrire, je n'ai plus qu'un plan très succinct, indiquant juste la direction du récit et ses grosses balises et je me laisse porter par les situations et les personnages. Bon, une des raisons, c'est que quand je faisais des plans détaillés, j'en foutais la moitié au panier en cours de route. Une autre, c'est que je me fais plus confiance, à force. Là où j'ai changé mon fusil d'épaule, c'est que le truc sur lequel je bosse en ce moment est un roman d'anticipation (développant l'univers posé dans quelques unes de mes nouvelles, on retrouve d'ailleurs un personnage) et pas de fantasy. Mon plan se rédui...

Return of the space cow-boy

 À l'occasion de ma pause post-prandiale, je m'étais remis la scène d'ouverture d' Il était une fois dans l'ouest , parce que ça fait du bien des fois de revenir aux fondamentaux. Et puis, alors que je tentais de me remettre au boulot, j'ai tilté que le nouvel épisode d' Alien Earth venait de sortir. Bon, j'en causerai pas plus avant aujourd'hui, because que j'attends la fin de la série pour me faire un avis définitif (j'aime bien  Noah Hawley à la base, y a des choses que j'apprécie là-dedans et d'autre dont... j'attends de voir comment elles vont évoluer), mais j'ai eu un petit tilt. Ça représentait en apparence une sorte de grand écart conceptuel et esthétique, Charles Bronson et son harmonica d'un côté, Timothy Olyphant peroxydé téléchargeant des données biologiques de l'autre, sauf que... non, en fait. Ben oui, le western et le récit spatial (bon, même si on est pas dans le spatial avec Alien Earth , mais avec la...

C Jérôme

 Ah, on me souffle dans l'oreillette que c'est la Saint Jérôme, en l'hommage au patron des traducteurs, et plus précisément des traducteurs qui se fâchent avec tout le monde, parce qu'il était très doué dans ce second domaine, le gaillard.   Jéjé par Léonard   Bon, après, et à sa décharge, c'est une époque où le dogme est pas totalement fixé et où tout le monde s'engueule en s'envoyant des accusations d'hérésie à la figure. À cette occasion, le Jéjé se montre plus polémique que traducteur et doit se défendre parce qu'il a aussi traduit des types convaincus ensuite d'hérésie. De nos jours, son grand oeuvre c'est la traduction latine de la Bible. Ce n'est pas la première du genre, mais c'est la plus précise de l'époque. Il s'est fondé notamment sur une version d'Origène (un des hérétiques qui lui vaudront des problèmes) qui mettait en colonnes six versions du texte, deux en hébreu et quatre en grec et fait des recherches de ...

Causes, toujours

 Dans la mesure où j'ai un peu de boulot, mais que ce n'est pas du tout intense comme ça a pu l'être cette année, j'en profite pour tomber dans des trous du lapin de documentation, qui vont de la ville engloutie de Kitej (pour une idée de roman avec laquelle je joue depuis l'an passé mais que je ne mettrai pas en oeuvre avant de l'avoir bien fait mûrir) à des considérations sur les influences platoniciennes sur le christianisme et le gnosticisme primitifs (pour me tenir à jour sur des sujets qui m'intéressent de façon personnelle) à des trucs de physiques fondamentale pour essayer des comprendre des choses sans doute trop pointues pour moi.     Là, ce soir, c'étaient des conversations entre physiciens et un truc m'a fait vriller. L'un d'entre eux expliquait que la causalité est une notion trop mal définie pour être encore pertinente en physique. Selon lui, soit on la repense, soit on la vire. Il cite un de ses collègues britanniques qui disai...

Fils de...

Une petite note sur une de ces questions de mythologie qui me travaillent parfois. Je ne sais pas si je vais éclairer le sujet ou encore plus l'embrouiller, vous me direz. Mon sujet du jour, c'est Loki.  Loki, c'est canoniquement (si l'on peut dire vu la complexité des sources) le fils de Laufey. Et, mine de rien, c'est un truc à creuser. Chez Marvel, Laufey est représenté comme un Jotun, un géant. Et, dans la mythologie nordique, le père de Loki est bien un géant. Sauf que... Sauf que le père de Loki, en vrai, c'est un certain Farbauti, en effet géant de son état. Un Jotun, un des terribles géants du gel. Et, dans la poésie scaldique la plus ancienne, le dieu de la malice est généralement appelé fils de Farbauti. Laufey, c'est sa mère. Et, dans des textes un peu plus tardifs comme les Eddas, il est plus souvent appelé fils de Laufey. Alors, pourquoi ? En vrai, je n'en sais rien. Cette notule n'est qu'un moyen de réfléchir à haute voix, ou plutôt...

Rebooteux

 Bon, on a profité de l'été pour se faire des sorties cinés avec la tribu Lavitch. Et comme il y a un tropisme comics par ici, ça a été Superman et Fantastic Four.     Pas grand-chose à dire sur le FF , qui est dans la moyenne des films Marvel en termes de scénar, mais bénéficie d'une belle direction artistique et d'un ton qui, pour le coup, colle assez avec ce qu'on était en droit d'attendre d'un film sur le quatuor le plus emblématique des comics, et qu'aucun des films précédents qui leur étaient consacrés n'arrivait à approcher (à part peut-être un peu le Corman, mais on reconnaîtra que c'est un cas particulier). Pas le film de l'année, mais un moment fun et coloré. On notera que prendre une actrice qui s'appelle Kirby pour faire le personnage le plus stanleesque de la bande ne manque pas d'ironie, mais elle fait bien le job, donc...  Fun et coloré, ce sont aussi des mots qui viennent à l'esprit en voyant le Superman , James Gunn ...

Sur la route encore

 Longtemps que je n'avais pas rêvé d'un voyage linguistique. Ça m'arrive de temps en temps, je ne sais pas pourquoi. Là j'étais en Norvège, je me retrouve à devoir aller dans le nord du pays pour accompagner un groupe, je prends un ferry puis une sorte de car pour y aller. Une fois sur place, on se fait une forteresse de bois surplombant un fjord, c'est féérique et grandiose. Pour le retour, pas de car. On me propose un camion qui redescend par la Suède, j'accepte le deal. Je me retrouve à voyager à l'arrière d'abord puis, après la douane, je passe devant avec le conducteur qui parle un français bancal et son collègue co-pilote qui cause un anglais foireux. Bon baragouine en suivant des routes tortueuses entre des pins gigantesques. Y a des étapes dans des trucs paumés où on s'arrête pour manger, un début de bagarre qu'on calme en payant une bouffe à tout le monde. Des paysages chouettes. Je suis jamais arrivé à destination, le réveil a sonné, ma...

Si tu ne viens pas à Cthulhu, Cthulhu viendra à toi !

Ça ne change pas, je vais encore passer du temps et noircir du papier à cause de Lovecraft. Il ne me lâchera jamais. Ou je ne le lâcherai pas, c'est comme une valse indicible.    Bref, dans les semaines à venir, il va encore y avoir du tentacule, c'est moi qui vous le dis. Jeudi 9  octobre à 18h30 je donnerai une conférence sur Lovecraft à la Bibliothèque Francophone Multimédia (non, je ne suis pas invité sur BFM, je me respecte, un peu, quand même) de Limoges. Si vous avez des bouquins à signer, amenez-les, c'est prévu.   Vendredi 21 et samedi 22 novembre je serai au Campus Miskatonic de Verdun comme tous les ans, et cette année, en partenariat avec Actu-SF il y aura une anthologie thématique, Pixels Hallucinés, à laquelle je participe. Par ailleurs, le samedi 3 octobre je serai à Marmande pour le petit salon des Ukronies du Val, dans un joli cadre et avec une organisation très sympathique. 

Sonja la rousse, Sonja belle et farouche, ta vie a le goût d'aventure

 Je m'avise que ça fait bien des lunes que je ne m'étais pas penché sur une adaptation de Robert E. Howard au cinoche. Peut-être est-ce à cause du décès de Frank Thorne, que j'évoquais dernièrement chez Jonah J. Monsieur Bruce , ou parce que j'ai lu ou relu pas mal d'histoires de Sonja, j'en causais par exemple en juillet dernier , ou bien parce que quelqu'un a évoqué la bande-son d'Ennio Morricone, mais j'ai enfin vu Red Sonja , le film, sorti sous nos latitudes sous le titre Kalidor, la légende du talisman .   On va parler de ça, aujourd'hui Sortant d'une période de rush en termes de boulot, réfléchissant depuis la sortie de ma vidéo sur le slip en fourrure de Conan à comment lui donner une suite consacrée au bikini en fer de Sonja, j'ai fini par redescendre dans les enfers cinématographiques des adaptations howardiennes. Celle-ci a un statut tout particulier, puisque Red Sonja n'est pas à proprement parler une création de Robert H...

Chronique des années de Peste, livre 15

 Normalement, on arrive à cette période de l'année où mes aventures absurdes en Charente alimentent la War Zone. Pas cette fois-ci, vu que le festival est reporté en juin. Et vu l'ambiance, pas sûr que j'y aille, ne serait-ce que pour soutenir le mouvement des collègues appelant au boycott du festival tant que certaines choses n'auront pas été revues au niveau du statut des auteurs, notamment au niveau des conditions de venue en festival. On échange donc avec les copains des messages gag nous donnant rendez-vous à tel ou tel bar d'Angoulème, et c'est quand même bien grinçant. On rit tellement jaune qu'on s'interroge sur l'état de notre foie, ou qu'on se croit dans les Simpsons. Alors qu'en vrai, nos gouvernants fonctionnent comme dans un épisode de South Park. Bref, tenez pas compte, je suis aigri et grognon, là, entre ces confinements qui devraient en être mais n'en sont pas, et ont tous les inconvénients des vrais sans en avoir l'ef...