Accéder au contenu principal

Le slip en peau de bête

On sait bien qu’en vrai, le barbare de bande dessinées n’a jamais existé, que ceux qui sont entrés dans l’histoire à la fin de l’Antiquité Tardive étaient romanisés jusqu’aux oreilles, et que la notion de barbare, quoiqu’il en soit, n’a rien à voir avec la brutalité ou les fourrures, mais avec le fait de parler une langue étrangère. Pour les grecs, le barbare, c’est celui qui s’exprime par borborygmes. 




Et chez eux, d’ailleurs, le barbare d’anthologie, c’est le Perse. Et n’en déplaise à Frank Miller et Zack Snyder, ce qui les choque le plus, c’est le port du pantalon pour aller combattre, comme nous le rappelle Hérodote : « Ils furent, à notre connaissance, les premiers des Grecs à charger l'ennemi à la course, les premiers aussi à ne pas trembler d’effroi à la vue du costume mède ».

Et quand on fait le tour des autres peuplades antiques, dès qu’on s’éloigne de la Méditerranée, les barbares se baladent souvent en falzar. Gaulois, germains, huns, tous portent des braies. Ou alors, dans certaines régions des îles britanniques, divers ancêtres du kilt, mais ça nous éloigne de notre sujet. Clovis, Attila, Alaric, ils portent des braies. Et d’autres barbares, une fois devenus généraux pour les romains, adoptent le costume qui va avec cette charge.

Nulle part, jamais, chez aucun auteur antique, même décrivant les plus rustres des peuplades barbares, on ne trouve mention d’un slip de fourrure.

Comme beaucoup de choses complètement ancrées désormais dans nos systèmes de représentation, c’est une création moderne. Le plus ancien slip de fourrure que j’aie pu trouver, c’est celui de Cain, dans un tableau de Bartolommeo Manfredi réalisé à la toute fin de la Renaissance. Et encore, il a hésité : dans une autre toile consacrée au même sujet, le meurtrier originel est en costume d’Adam. Y en a-t-il eu d’autres avant lui ? Je n’en ai aucune idée, si vous en savez plus que moi, signalez-le en commentaire.

Mais Caïn est-il un barbare ? Au contraire, la bible nous le décrit comme un sédentaire, donc un proto-civilisé, aux yeux desquels les pasteurs, comme Abel, faisaient figure de barbares. Fausse piste ? Voire…

Car comme le montre l’émergence de mots comme « vandalisme », ou « gothique » dans des contextes qui n’ont plus rien à voir avec les occupants de l’Espagne au haut moyen-âge, la référence à des peuplades barbares est devenue systématiquement connotée de saccages, d’horreurs et de mort. Le barbare, c’est le violent, le destructeur, le rustre qui fracasse les beautés qu’il n’est pas en mesure de comprendre. Donc, le genre à s’habiller d’un pagne en peau ou en fourre comme Caïn.

Avançons encore un peu dans le temps. Plus que d’un barbare, nous allons parler d’un authentique sauvage, quoique lord anglais de la meilleure extraction : John Clayton, seigneur de Greystoke, alias Tarzan. Dans sa première apparition cinématographique, en 1918, son aspect bestial est souligné… par un pagne en fourrure. Il s’affinera par la suite dans les BDs de Burne Hoggarth, qui les lui cachait dans un slip en peau de léopard.



Le slip en fourrure devient du jour au lendemain l’emblème du héros viril au goût sauvage.

Or, Robert E. Howard, créateur de Conan, ne cache pas son admiration pour Edgar Rice Burroughs, le papa de Tarzan. Serait-ce de là que vient le célèbre slip en fourrure de Conan ? Le mystère est-il si vite résolu ?

En fait, non.

Je vous mets au défi de trouver Conan portant ce genre d’accessoire dans aucune des histoires écrites par Robert Howard. Bon, j’ai pas été vérifier dans les suites de Lin Carter et Sprague de Camp, ils en seraient capables, eux, ni dans les Thongor de Barbare, toujours de Carter, ou les Kothar le Barbare de Gardner Fox. Possible qu’on en trouve là, mais je n’en suis même pas sûr.


En tout cas, dans ses aventures originelles, Conan porte tout sauf ça. Il est même souvent plus vêtu que les demoiselles qu’il croise. Tuniques, short de peau, armures, burnous du désert, et il lui arrive même de se promener nu. Mais jamais avec un slip en peau de bête.

Alors quoi ? Il est pourtant iconique, ce slip…

Il est iconique à cause des comics, ça c’est clair. Marvel, en donnant une série au Cimmérien en 1970, doit lui donner un look, et c’est Barry Smith qui s’y colle. Et même si l’ambiance générale est de fantasy, les auteurs sont des auteurs de comics de super-héros. Et le traitement graphique du personnage s’en ressent. Dès le départ, Barry Smith le fait se balader en slip, et le slip est en fourrure pour faire genre ce n’est pas du spandex ni du lycra. En ce sens, le slip de Conan est un peu le petit frère de celui de Superman.



Mais qu’est-ce qui a donné à Marvel l’idée de faire de Conan un personnage de comics ? Robert Howard est mort en 1936, deux ans avant l’apparition de Superman. Tout comme d’autres œuvres publiées à l’origine dans les pulps, celle-ci aurait pu être oubliée.

Mais il existe un chainon manquant. Et c’est la réédition en livres de poche des aventures de Conan à partir des années 60, qui lui assure un regain de popularité. Et si elles cartonnent, ce n’est pas qu’à cause du contenu. D’ailleurs, le contenu est légèrement frelaté, alternant textes magistraux de Howard et pastiche patauds de Sprague de Camp, ou continuations des brouillons de Howard par Lin Carter. Le meilleur y côtoie le pire. Mais l’emballage… L’emballage, c’est Frank Frazetta qui s’y colle. Le peintre qui a donné sa tonalité à l’iconographie d’Heroïc Fantasy. Le Boss final de la discipline. Frazetta.


Tout comme d’autres illustrateurs du genre, comme Boris Valejo ou Richard Corben, Frazetta aime mettre en scène des musculatures lisses et impressionnante. Et à ce tarif, un Conan en armure ou en burnou ne passera pas.

Le slip en fourrure, il apparaît chez Frazetta. C’est un code visuel qui permet d’allier la puissance à la sauvagerie. Et il en vient donc à définir Conan. Barry Smith, puis John Buscema, se cantonneront largement à ce modèle. Il faudra attendre la reprise du personnage chez d’autres éditeurs que Marvel pour avoir le droit à des versions plus proches des descriptions de Howard.

Depuis, Conan est retombé dans l’escarcelle de Marvel, mais le dessinateur Mahmud Asrar, par exemple, s’il revient au canon Smith Buscema, n’hésite pas à varier la tenue du héros le temps d’un épisode.

 

 

Cette note de blog reprend cet épisode des "belles histoires de tonton Lavitch"


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Corps ben

 À intervalles réguliers, je me retrouve à bosser sur Corben. J'avais traduit les deux Monde mutant (avec un pincement au coeur : un endroit du même nom, mais au pluriel, était ma librairie de comics préférée, du temps de ma jeunesse folle), puis Murky World , un récit supplémentaire pour Esprit des morts , son recueil inspiré d'Edgar Poe (il avait raison d'aller piocher là-dedans, je l'ai toujours dit, c'est dans le vieux Poe qu'on fait la meilleure... mais je m'égare).   Beaucoup plus récemment, j'ai fait le tome 3 de Den, Les enfants du feu , dont l'édition collector vient de sortir de presses et l'édition courante sera en librairie à la rentrée. Un peu plus tard, il y aura Dimwood , son tout dernier récit, achevé peu de temps avant sa mort. Je recommande assez, c'est complètement chelou, Dimwood . Alors, Corben, vous allez me dire, c'est chelou. Et vous aurez raison. Il y a toujours chez lui un caractère grotesque, boursouflé, quand l...

En avant, marche !

Ça faisait longtemps, non, les homélies du dimanche ? Faut dire que j'ai enchaîné des gros trucs depuis septembre. Vous avez déjà vu un des résultats avec le bouquin sur Tolkien, mais d'autres choses vont arriver. Bref, je remettais le nez dans les vieux textes, parce que ça fait pas de mal, des fois, quand on est surmené et que j'écoute aussi les conférences du Collège de France sur l'exégèse biblique et tout ça. C'est le genre de trucs qui me requinquent quand je fais une pause. Et forcément, ça remet en route le ciboulot. Les rouages grincent au début, mais...  Vous vous rappelez peut-être de ma vieille réflexion sur  le Dieu qui "se promenait dans le jardin au souffle du jour" , il y a déjà... pfou, trop longtemps. un petit Edmund Dulac, parce que bon c'est toujours bien, Dulac   J'aime bien cette image de la Genèse, avec son petit côté presque bucolique et très incarné, les restes d'une vision moins abstraite et moins cosmique de Dieu, une...

Ressortie

 Les éditions Delcourt ressortent Torso , un des premiers gros projets de Brian M. Bendis, avant qu'il ne devienne une star suite à ses travaux chez Marvel, Daredevil et Alias en tête, puis ne se crame les ailes à devenir grand manitou des Avengers et des X-Men . Bendis est très bon dans un domaine, celui du polar à échelle humaine, et beaucoup moins dans les grandes conflagrations super-héroïques. Torso , ça relève de la première catégorie. Je pense que c'est justement le genre de bouquin qui a conduit Joe Quesada à lui confier Daredevil , d'ailleurs, c'est là que l'auteur s'impose aux yeux de tous. Le sujet est chouette, déjà : une des premières grosses affaires de tueurs en série en Amérique, le tueur aux Torses (ou Boucher de Cleveland , dans la version romancée par Max Allan Collins, auteur dont j'ai déjà parlé dans le coin). Particularité, au moment des sinistres exploits du tueur, la sécurité publique de la ville vient d'être confiée au célèbre...

Fais tourner le juin

Bon, il est temps que je sorte un peu de mon bunker. Ça tombe bien, je suis invité à deux événements que je connais. Le samedi 31 mai et le dimanche 1er juin, je serai au Geek Up Festival des Clayes sous Bois (78). C'est dans un part, y a des animations, d'autres auteurs, j'aurai un peu de stock de mes bouquins chez les Moutons électriques, et normalement y aura des exemplaires du Pop Icons Tolkien.  Le dimanche 15 juin après-midi, je serai au Salon des auteurs du coin, à la péniche Story Boat de Conflans Ste Honorine (78). Super cadre, c'est très cosy et ça vaut le coup de passer même en coup de vent parce qu'il y a de belles balades à faire aux alentours. Voilà, c'est tout pour l'instant, je sais pas encore trop comment ça va se passer pour la suite, mes prochaines dates sont en octobre, à Marmande et à Limoges. Je vous tiens au courant d'ici là.

Nébulosités

 Ah, que je n'aime pas le cloud. Vraiment pas. Vous allez me dire, je suis un vieux encroûté dans ses petites habitudes de travail, ses sauvegardes à droite et à gauche, ses fichiers à portée de la main comme le tas d'or d'un dragon. Fondamentalement, c'est un portrait assez exact. Mais... Mais j'ai eu suffisamment de soucis de connexion pour être méfiant.   Et puis, y a les éditeurs qui bossent avec des ayants droits chiants. Ce qui fait que les documents de travail se retrouvent verrouillés sur des serveurs auxquels ont vous ouvre l'accès pour pouvoir bosser dessus. Et là, bien entendu, j'avais une très grosse traduction traitée comme ça. Je demande si on peut quand même m'envoyer une copie du pdf, histoire d'avoir un truc "en dur", et ça n'a pas été possible. Le document est ultra protégé. Et, ce matin, alors que le café finit de couler, j'ouvre le truc... Qui m'annonce que l'autorisation a expiré. Oui, apparemment il fal...

Another brick in the wall

Je causais y a quelques semaines de ça, dans une note sur Conan , de l'époque où Walt Simonson, connu notamment pour son excellent passage sur Thor dans les années 80, dont il donne une sorte d'épilogue pirate dans sa récente série Ragnarök, que je recommande assez, était tombé dans une pleine marmite de Druillet, tout comme son pote Jim Starlin (le papa de Thanos). Ça doit correspondre à l'époque où René Goscinny était allé démarcher des éditeurs US avec sous le bras des albums tirés de Pilote. Y avait du Mézières, du Moebius, et du Druillet. Et ça a complètement fait vriller pas mal de gens, même si Goscinny était rentré déçu, sans explosion de la publication d'auteurs franco-belges outre-Atlantique, le format de publication des oeuvres de chez nous n'existant tout simplement pas là-bas dans les années 70 (Starlin, encore lui, sera un peu plus tard un pionner de ce format "graphic novel" avec Death of Captain Marvel).  L'influence de Druillet (qui re...

Le nouveau Eastern

 Dans mon rêve de cette nuit, je suis invité dans une espèce de festival des arts à Split, en Croatie. Je retrouve des copains, des cousins, j'y suis avec certains de mes rejetons, l'ambiance est bonne. Le soir, banquets pantagruéliques dans un hôtel/palais labyrinthique aux magnifiques jardins. Des verres d'alcools locaux et approximatifs à la main, les gens déambulent sur les terrasses. Puis un pote me fait "mate, mec, c'est CLINT, va lui parler putain !"   Je vais me présenter, donc, au vieux Clint Eastwood, avec un entourage de proches à lui. Il se montre bienveillant, je lui cause vaguement de mon travail, puis je me lance : c'est ici, en Dalmatie, qu'il doit tourner son prochain western. Je lui vante les paysage désolés, les déserts laissés derrière eux par les Vénitiens en quête de bois d'ouvrage, les montagnes de caillasse et les buissons rabougris qui ont déjà servi à toutes sortes de productions de ce genre qui étaient tellement fauchées ...

L’image de Cthulhu

J'exhume à nouveau un vieil article, celui-ci était destiné au petit livret de bonus accompagnant le tirage de tête de Celui qui écrivait dans les ténèbres , mon album consacré à H.P. Lovecraft. Ça recoupe pas mal de trucs que j'ai pu dire dans d'autres articles, publiés dans des anthologies ou des revues, mais aussi lors de tables rondes en festival ou en colloque (encore cet hiver à Poitiers). J'ai pas l'impression que ce texte ait été retenu pour le livret et du coup je crois qu'il est resté inédit. Ou alors c'est que je l'avais prévu pour un autre support, mais dans ce cas, je ne me souviens plus duquel. Tant pis, ça date d'il y a sept ou huit ans...   L’œuvre d’H.P. Lovecraft a inspiré depuis longtemps des auteurs de bandes dessinées. D’ailleurs, l’existence de nombreuses passerelles entre l’univers des pulps (où a officié Lovecraft) et celui des comic books n’est plus à démontrer, ces derniers empruntant une large part de leurs thèmes aux revue...

L'iron Man de la Cannebière ?

 Dans mon rêve de cette nuit, j'étais en train de participer au tournage d'un film de guerre/catastrophe. Je faisais partie de l'équipage d'un véhicule blindé , bardé de mitrailleuses, opérant sur une côte. On était en ville, zigzaguant entre les voitures du quai, aux aguets. L'ambiance était vaguement post-nucléaire, les conducteurs avaient des gueules d'irradiés ou d'intervenants sur C-News, c'était moche en tout cas, ça puait la dégénérescence à plein nez. "Ça risque encore de péter" nous dit le lieutenant, joué par Matthew McConaughey. Inquiet, je regarde autour de moi, on est sur une voie des quais et soudain je vous l'eau enfler. Quelqu'un a déclenché un tsunami, peut-être à l'aide d'une bombe sous-marine. "Accrochez-vous, il va nous tomber dessus!" je hurle en me disant que ça va être la fin du film et qu'on aura droit à un freeze-frame juste avant que l'eau ne s'abatte sur nous, vaillants soldats al...