Quand j'étais tout petit, ma chambre était à côté d'une petite salle de bain annexe, dont elle était séparée par un rideau. Le temps que mon père finisse d'installer complètement le machin, il y a eu une période ou un robinet gouttait là-dedans. Pas celui du lavabo, a priori, mais un autre, peut-être la sécurité du tout petit ballon d'eau chaude, je n'ai jamais su lequel. En tout cas, le ploc-ploc de ces gouttes était non seulement invisible et irrégulier, mais de surcroît, il résonnait bizarrement, de façon un peu sépulcrale.
Donc, au cœur de la nuit, quand j'entendais ce ploc-ploc, je m'imaginais un truc gluant tentant de s'extraire de la tuyauterie, un alien bizarre, à la texture immonde. J'en avais une image très claire.
Le bidule avait un peu l'allure des monstres à la Wallace Wood (que je ne découvris que 7 ou 8 ans plus tard dans les recueils de récits d'horreur spatiale de chez Xanadu) ou de Basil Wolverton (découvert plus tard encore, quinze ans après cet alien de la salle de bain, et donc après la destruction finale de la maison qui le contenait).
Donc ouais, l'alien ressemblait un peu à celui du dessin de Wallace Wood ci-dessus, hormis le fait que ses yeux étaient vides, de purs gouffres obscurs et triangulaires, qu'il ne portait aucun scaphandre ni tenue, et qu'il marchait sur deux très longues pattes de la même matière à la façon d'un échassier. Il n'était jamais en appui que sur une seule d'entre elle, l'autre se rétractant au point de devenir invisible.
Ce truc était dégueulasse. Et comme il n'existait que dans le goutte-à-goutte de ce robinet et dans mon imagination fertile, ça doit dire des trucs sur moi. Ou pas. Je ne faisais pas ma toilette dans cette petite pièce, en tout cas, mais dans une autre salle d'eau située un étage plus bas. Il aura fallu un an ou deux pour que je prenne sur moi d'entrer dedans pour voir ce qu'il y avait derrière le rideau (je le savais vaguement jusqu'alors, mais plus petit, on ne m'aurait fait entrer pour rien au monde dans le repaire de l'alien), à mesure que, dans mon imagination, j'apprivoisais la chose. Elle ne sortait jamais de la salle de bain, n'était visiblement pas agressive et je décidai une nuit qu'elle me foutrait la paix si je lui foutais la paix. Et à force, cela disparu complètement et je l'oubliais à demi.
Cette terreur fut brièvement réactivée quand je tombais, trop petit, sur l'épisode le Domaine du Dragon, dans Cosmos 1999, ou une porte du fond, dans une configuration assez semblable à celle de la salle de bain, laissait jaillir des tentacules dégueulasses. Ce truc m'a terrorisé, minot, et je n'ai vu l'épisode en entier que deux ou trois décennies plus tard, pour découvrir qu'en vrai, c'était super naze.
J'avais complètement oublié l'alien de la salle de bain.
C'est cette nuit qu'il s'est rappelé à mon bon souvenir, ploc-ploc par la porte de la salle de bain restée ouverte. L'alien s'est matérialisé dans mon esprit. J'ai grandi de près d'un mètre depuis la dernière fois que je l'ai intégralement visualisé, et j'ai dû prendre 80 kilos et perdre quelques cheveux. Lui n'a pas changé d'un poil. Enfin, pas changé d'une pustule. D'une certaine façon, ça m'a fait plaisir.
Celui qui va connaitre la terreur ultime, par contre, c'est l'ado de la maison qui se lève la nuit et n'est pas capable de fermer correctement un robinet quand il fait un raid frigo-puis-pipi.
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