Accéder au contenu principal

Au micro

 Vous le savez peut-être, ou pas, ça n'a pas d'importance, mais je suis friand d'exercices de créativité. Parce qu'il est facile, quand on écrit ou que l'on crée de façon générale, de s'encrouter. Ou de se jeter dans les impasses de son récit ou de son style. Et puis il y a les moments sans.

J'ai connu cette année, avec toutes les vicissitudes que vous pouvez imaginer et subissez aussi, quelques passages à vide de l'écriture. Pas forcément une panne d'idées, mais des difficultés à m'y remettre, à avancer, à me colleter avec mon récit.

Les exercices de créativité, pour ça, c'est pas mal. Il en existe de toute sorte, et j'avais causé ici de défis à l'aide de dés pictographiés. (ou pictographiques) (ou zut, c'est pas le sujet). Il s'agit de raconter une histoire simple à partir d'éléments aléatoires. Je fais faire des exercices de ce genre avec mes élèves du cours de BD, avec ça, ou un jeu de tarot, ou des personnages à composer à partir d'éléments tirés au sort, etc. Bon moyen de faire passer la cervelle en mode "résolution de problème" qui est une clé de la créativité, je crois. Ça démontre qu'on peut trouver des idées à partir de n'importe quoi. Et c'est un excellent échauffement.

Ce mois-ci, c'est l'excellente Ketty Steward (au sommaire de l'anthologie Marmite & Micro-ondes dont je vous causais dernièrement, et qui sort en mai) qui a proposé un défi à la cantonade sur touitaire, un mot par jour dont il s'agit de tirer une micro-nouvelle. Comme d'autres, auteurs confirmés et amateurs, je me suis prêté au jeu. Il a ceci d'intéressant qu'il faut être direct, punchy et parvenir à tenir dans le format réduit d'un touite.


Je vous soumets donc mes premiers essais. Tout n'est pas bon, mais il y a des trucs dont je suis plutôt content. J'en referai une volée à la fin du mois, avec les textes suivants.


1/Maladie
Les maladies nouvelles apparaissaient à un rythme effréné. Nouvelles, ou repackaging protéique d'anciennes, bien sûr. Il fallait vivre avec. Ou mourir de, parfois. On en vint au moment où les globules blancs représentèrent plus de 14% de la masse d'un individu moyen.

2/Dormir
"Mourir, dormir, rêver peut-être" avait-il appris Dieu sait quand, en des temps autres. Son sommeil n'évoquait plus rien de tout cela, il n'en demeurait qu'une somnolence inquiète, vigilante, attentive au moindre bruit. Le plancher craqua. Il tendit la main vers son arme.

3/Manger
Ils ne lui restait que ça, le reste l'avait déçu. Gloire, femmes, voyages, tout cela n'avait plus d'attrait. Il avait donc engagé le meilleur cuisinier du monde, chargé de lui divertir le palais d'une façon différente chaque jour. Trois ans plus tard, l'accord tenait.

4/Légume
C'était ainsi que l'avaient qualifié ses médecins. Son corps était en effet réduit à ses pures fonctions végétatives. Son esprit, lui, filait sur les mailles du réseau. Quand on sortait son fauteuil roulant au soleil, il ressentait pourtant consciemment une douce chaleur

5/Peur
"C'est rien, je suis un peu barbouillé. Fiévreux, mal au bide, un peu, des tremblement. C'est pas le covid, quand même ? Le ministre a dit que l'épidémie était sous contrôle depuis six mois." "Non, tu crèves de trouille à l'idée d'aller à la supérette, c'est tout."

6/Sombre
Sous son immense chapeau, on ne voyait pas son visage, même en plein soleil. L'ombre lui dissimulait les traits. C'est pourquoi, quand il arrivait en ville, les peones l'appelaient le "sombre héros".

7/Disparaitre
Cela faisait des années qu'il n'en pouvait plus du monde autour de lui. Il avait fini par s'en retirer, s'abstraire de tout le faisceau des obligations et relations. Tant et si bien que quand il mourut, nul ne le sut. Tous avaient oublié jusqu'à son existence.

8/Bâtiment
C'était un fier bâtiment, l'orgueil de la flotte. Chacune de ses bordées avait de quoi tailler en pièce un équipage. Bien entendu, contre le Grand Ancien surgi de la mer, cela resta quelque peu insuffisant.

9/Chanson
Tout finit toujours par des chansons. Mais celle-ci, à la fin de l'univers, était un fracas bruitiste. On y discernait néanmoins un rythme, une mélodie étrange. Le silence retomba. Le dieu inspira, expira, inspira, et improvisa un nouveau chant.

10/Soleil
Le soleil avait toujours été l'ennemi écrasant. Pourtant, la créature était prête à le braver tant elle avait faim. La distance à parcourir sous les rayons était immense. L'escargot renonça à mi-chemin et rentra dans sa coquille. La feuille de salade attendrait la nuit.

11/Flamme
L'empereur, sur son balcon, accordait sa lyre en attendant le signal. Une lueur perça la nuit sur une des collines, dont le flanc s'embrasa peu après. Il faudrait décidément qu'il trouve un autre moyen d'obtenir la divine inspiration. Celui-ci était par trop dispendieux

12/Feuille
Elle avait lutté de toutes ses forces, contre le flétrissement, le vent et la pluie. Elle s'était accrochée jusqu'au bout. à bout de forces, elle finit néanmoins par se détacher de sa branche. La dernière feuille était tombée, l'hiver pouvait commencer.

13/Couteau
C'était une danse ritualisée, un passage obligé du samedi soir dans cet établissement pouilleux des quais. Au cœur de la nuit, fatalement, deux clients en venaient aux mots et plus, et les autres faisaient cercle autour d'eux, jusqu'à ce qu'éclose une fleur rouge.

14/Costume
Il avait décidé de devenir un super-héros pour venger la mort de ses parents, tués par le gang des bétonneuses. Il renonça. Le costume qu'il s'était fait en hommage aux circonstances de leurs décès entravait passablement ses mouvements.

15/Lune
C'était la période du mois où il vivait reclus de peur des conséquences. Les circonstances l'ayant fait voyager, il se retrouva exposé à l'influence néfaste en rase campagne, et aux prédateurs de par sa taille désormais minuscule. La vie de hamster-garou c'était l'enfer.

16/Masque
C'était un temps où l'on masquait son visage pour se protéger, et les autres, des épidémies au point que nul ne connaissait plus les visages de ses contemporains. L'émission Demasked Dancer, dont il fallait reconnaitre les protagonistes SANS leur masque, plaisait fort.

17/Bandage
Lord Sleepweell fuyait dans le dédale, se heurtant aux murs gravés de hiéroglyphes. Il fut sauvé par les bandelettes de la momie. Hotep Papahotep, pharaon mort-vivant, se prit les pieds dedans, chut, et tomba en morceaux en heurtant le sol.

18/Oiseau
On lui avait seriné toute sa jeunesse la chanson "fais comme l'oiseau", et il avait suivi ce sage conseil. Manque de chance, dans sa région, l'oiseau le plus courant était une espèce de vautour…

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

En avant, marche !

Ça faisait longtemps, non, les homélies du dimanche ? Faut dire que j'ai enchaîné des gros trucs depuis septembre. Vous avez déjà vu un des résultats avec le bouquin sur Tolkien, mais d'autres choses vont arriver. Bref, je remettais le nez dans les vieux textes, parce que ça fait pas de mal, des fois, quand on est surmené et que j'écoute aussi les conférences du Collège de France sur l'exégèse biblique et tout ça. C'est le genre de trucs qui me requinquent quand je fais une pause. Et forcément, ça remet en route le ciboulot. Les rouages grincent au début, mais...  Vous vous rappelez peut-être de ma vieille réflexion sur  le Dieu qui "se promenait dans le jardin au souffle du jour" , il y a déjà... pfou, trop longtemps. un petit Edmund Dulac, parce que bon c'est toujours bien, Dulac   J'aime bien cette image de la Genèse, avec son petit côté presque bucolique et très incarné, les restes d'une vision moins abstraite et moins cosmique de Dieu, une...

Le slip en peau de bête

On sait bien qu’en vrai, le barbare de bande dessinées n’a jamais existé, que ceux qui sont entrés dans l’histoire à la fin de l’Antiquité Tardive étaient romanisés jusqu’aux oreilles, et que la notion de barbare, quoiqu’il en soit, n’a rien à voir avec la brutalité ou les fourrures, mais avec le fait de parler une langue étrangère. Pour les grecs, le barbare, c’est celui qui s’exprime par borborygmes.  Et chez eux, d’ailleurs, le barbare d’anthologie, c’est le Perse. Et n’en déplaise à Frank Miller et Zack Snyder, ce qui les choque le plus, c’est le port du pantalon pour aller combattre, comme nous le rappelle Hérodote : « Ils furent, à notre connaissance, les premiers des Grecs à charger l'ennemi à la course, les premiers aussi à ne pas trembler d’effroi à la vue du costume mède ». Et quand on fait le tour des autres peuplades antiques, dès qu’on s’éloigne de la Méditerranée, les barbares se baladent souvent en falzar. Gaulois, germains, huns, tous portent des braies. Ou alo...

Corps ben

 À intervalles réguliers, je me retrouve à bosser sur Corben. J'avais traduit les deux Monde mutant (avec un pincement au coeur : un endroit du même nom, mais au pluriel, était ma librairie de comics préférée, du temps de ma jeunesse folle), puis Murky World , un récit supplémentaire pour Esprit des morts , son recueil inspiré d'Edgar Poe (il avait raison d'aller piocher là-dedans, je l'ai toujours dit, c'est dans le vieux Poe qu'on fait la meilleure... mais je m'égare).   Beaucoup plus récemment, j'ai fait le tome 3 de Den, Les enfants du feu , dont l'édition collector vient de sortir de presses et l'édition courante sera en librairie à la rentrée. Un peu plus tard, il y aura Dimwood , son tout dernier récit, achevé peu de temps avant sa mort. Je recommande assez, c'est complètement chelou, Dimwood . Alors, Corben, vous allez me dire, c'est chelou. Et vous aurez raison. Il y a toujours chez lui un caractère grotesque, boursouflé, quand l...

Ressortie

 Les éditions Delcourt ressortent Torso , un des premiers gros projets de Brian M. Bendis, avant qu'il ne devienne une star suite à ses travaux chez Marvel, Daredevil et Alias en tête, puis ne se crame les ailes à devenir grand manitou des Avengers et des X-Men . Bendis est très bon dans un domaine, celui du polar à échelle humaine, et beaucoup moins dans les grandes conflagrations super-héroïques. Torso , ça relève de la première catégorie. Je pense que c'est justement le genre de bouquin qui a conduit Joe Quesada à lui confier Daredevil , d'ailleurs, c'est là que l'auteur s'impose aux yeux de tous. Le sujet est chouette, déjà : une des premières grosses affaires de tueurs en série en Amérique, le tueur aux Torses (ou Boucher de Cleveland , dans la version romancée par Max Allan Collins, auteur dont j'ai déjà parlé dans le coin). Particularité, au moment des sinistres exploits du tueur, la sécurité publique de la ville vient d'être confiée au célèbre...

Le nouveau Eastern

 Dans mon rêve de cette nuit, je suis invité dans une espèce de festival des arts à Split, en Croatie. Je retrouve des copains, des cousins, j'y suis avec certains de mes rejetons, l'ambiance est bonne. Le soir, banquets pantagruéliques dans un hôtel/palais labyrinthique aux magnifiques jardins. Des verres d'alcools locaux et approximatifs à la main, les gens déambulent sur les terrasses. Puis un pote me fait "mate, mec, c'est CLINT, va lui parler putain !"   Je vais me présenter, donc, au vieux Clint Eastwood, avec un entourage de proches à lui. Il se montre bienveillant, je lui cause vaguement de mon travail, puis je me lance : c'est ici, en Dalmatie, qu'il doit tourner son prochain western. Je lui vante les paysage désolés, les déserts laissés derrière eux par les Vénitiens en quête de bois d'ouvrage, les montagnes de caillasse et les buissons rabougris qui ont déjà servi à toutes sortes de productions de ce genre qui étaient tellement fauchées ...

Fais tourner le juin

Bon, il est temps que je sorte un peu de mon bunker. Ça tombe bien, je suis invité à deux événements que je connais. Le samedi 31 mai et le dimanche 1er juin, je serai au Geek Up Festival des Clayes sous Bois (78). C'est dans un part, y a des animations, d'autres auteurs, j'aurai un peu de stock de mes bouquins chez les Moutons électriques, et normalement y aura des exemplaires du Pop Icons Tolkien.  Le dimanche 15 juin après-midi, je serai au Salon des auteurs du coin, à la péniche Story Boat de Conflans Ste Honorine (78). Super cadre, c'est très cosy et ça vaut le coup de passer même en coup de vent parce qu'il y a de belles balades à faire aux alentours. Voilà, c'est tout pour l'instant, je sais pas encore trop comment ça va se passer pour la suite, mes prochaines dates sont en octobre, à Marmande et à Limoges. Je vous tiens au courant d'ici là.

L’image de Cthulhu

J'exhume à nouveau un vieil article, celui-ci était destiné au petit livret de bonus accompagnant le tirage de tête de Celui qui écrivait dans les ténèbres , mon album consacré à H.P. Lovecraft. Ça recoupe pas mal de trucs que j'ai pu dire dans d'autres articles, publiés dans des anthologies ou des revues, mais aussi lors de tables rondes en festival ou en colloque (encore cet hiver à Poitiers). J'ai pas l'impression que ce texte ait été retenu pour le livret et du coup je crois qu'il est resté inédit. Ou alors c'est que je l'avais prévu pour un autre support, mais dans ce cas, je ne me souviens plus duquel. Tant pis, ça date d'il y a sept ou huit ans...   L’œuvre d’H.P. Lovecraft a inspiré depuis longtemps des auteurs de bandes dessinées. D’ailleurs, l’existence de nombreuses passerelles entre l’univers des pulps (où a officié Lovecraft) et celui des comic books n’est plus à démontrer, ces derniers empruntant une large part de leurs thèmes aux revue...

L'iron Man de la Cannebière ?

 Dans mon rêve de cette nuit, j'étais en train de participer au tournage d'un film de guerre/catastrophe. Je faisais partie de l'équipage d'un véhicule blindé , bardé de mitrailleuses, opérant sur une côte. On était en ville, zigzaguant entre les voitures du quai, aux aguets. L'ambiance était vaguement post-nucléaire, les conducteurs avaient des gueules d'irradiés ou d'intervenants sur C-News, c'était moche en tout cas, ça puait la dégénérescence à plein nez. "Ça risque encore de péter" nous dit le lieutenant, joué par Matthew McConaughey. Inquiet, je regarde autour de moi, on est sur une voie des quais et soudain je vous l'eau enfler. Quelqu'un a déclenché un tsunami, peut-être à l'aide d'une bombe sous-marine. "Accrochez-vous, il va nous tomber dessus!" je hurle en me disant que ça va être la fin du film et qu'on aura droit à un freeze-frame juste avant que l'eau ne s'abatte sur nous, vaillants soldats al...

Nébulosités

 Ah, que je n'aime pas le cloud. Vraiment pas. Vous allez me dire, je suis un vieux encroûté dans ses petites habitudes de travail, ses sauvegardes à droite et à gauche, ses fichiers à portée de la main comme le tas d'or d'un dragon. Fondamentalement, c'est un portrait assez exact. Mais... Mais j'ai eu suffisamment de soucis de connexion pour être méfiant.   Et puis, y a les éditeurs qui bossent avec des ayants droits chiants. Ce qui fait que les documents de travail se retrouvent verrouillés sur des serveurs auxquels ont vous ouvre l'accès pour pouvoir bosser dessus. Et là, bien entendu, j'avais une très grosse traduction traitée comme ça. Je demande si on peut quand même m'envoyer une copie du pdf, histoire d'avoir un truc "en dur", et ça n'a pas été possible. Le document est ultra protégé. Et, ce matin, alors que le café finit de couler, j'ouvre le truc... Qui m'annonce que l'autorisation a expiré. Oui, apparemment il fal...

Another brick in the wall

Je causais y a quelques semaines de ça, dans une note sur Conan , de l'époque où Walt Simonson, connu notamment pour son excellent passage sur Thor dans les années 80, dont il donne une sorte d'épilogue pirate dans sa récente série Ragnarök, que je recommande assez, était tombé dans une pleine marmite de Druillet, tout comme son pote Jim Starlin (le papa de Thanos). Ça doit correspondre à l'époque où René Goscinny était allé démarcher des éditeurs US avec sous le bras des albums tirés de Pilote. Y avait du Mézières, du Moebius, et du Druillet. Et ça a complètement fait vriller pas mal de gens, même si Goscinny était rentré déçu, sans explosion de la publication d'auteurs franco-belges outre-Atlantique, le format de publication des oeuvres de chez nous n'existant tout simplement pas là-bas dans les années 70 (Starlin, encore lui, sera un peu plus tard un pionner de ce format "graphic novel" avec Death of Captain Marvel).  L'influence de Druillet (qui re...