Je reviens rapido sur les cuistres qui, dès qu'on sort un argument à peu près rationnel à propos d'un des sujets qui fâchent de nos jours (au hasard, la vaccination, tout ce qui touche de près ou de loin à la NASA, le réchauffement climatique, etc.), hurlent à la collusion, au scientisme (scientiste est devenu une insulte, comme intello, ça en dit long sur le niveau global), etc. Voire mettent en doute vos facultés intellectuelles. En mettant en avant des arguments d'une bêtise achevée, taillés en pièces depuis parfois des décennies.
Sur la collusion, c'est intéressant, parce que dans ce groupe d'énervés, vous avez d'un côté des religieux assumés (en vrac, des Manif pour Tous qui annoncent que la Colère de Dieu s'abattra sur la Fraaaance dans un grand krakapoum wagnérien, des universitaires turcs qui reprennent les arguments d'évangéliques américains pour démontrer que l'évolution est un complot contre la foi, et que Pokemon est un complot pour faire accepter l'évolution*, des rabbins qui voient dans Internet un moyen de pervertir les valeurs en masse, etc.) (c'est dommage que la notion d'allié "objectif" soit tellement marquée comme communiste, parce qu'on est tentée de l'appliquer à tous ces religieux qui affectent de se détester, mais mènent les mêmes combats), et aussi des gens en apparence laïcs (des écolos, par exemple, ou des identitaires) mais qui développent eux aussi un discours calé sur un absolu (que ce soit "la Nature", "la Nation", "le Bon Sens"). La "collusion" avec la vieille hydre bondieusarde (sous sa forme tradi ou sous ses formes plus récentes, mais qui se prétendent remonter à la tradition ancestrale des premiers compagnons, apôtres et autres disciples canal historique), elle est patente.
Il s'agit, en fait, du vrai gros clivage de vision du monde de notre temps. Conséquence à la fois de la paresse intellectuelle et de l'incapacité des gens à identifier correctement leurs dissonances cognitives, il oppose tout ce qui ressemble de près ou de loin à de l'analyse rationnelle à des visions de plus en plus schématiques et simplifiées du réel, fondées sur une malveillance perçue (les Francs-Macs/scientistes/spécialistes/Communistes/athées veulent notre peau parce qu'ils sont jaloux de notre Vérité et complotent en conséquence) qui permet de camper sur sa propre malveillance bien réelle. On se retrouve, cent ans après la Grande Guerre, à assister à des combats de position, des échanges de tirs entre tranchées sur des terrains devenus tellement boueux et impraticables, embrumés de gaz moutarde, que toute notion de victoire perd son sens : les preuves concrètes sont rejetées d'emblée sous prétexte de "faits troublants", perceptions au doigt mouillé et refus de se pencher sur les vrais processus de peur de se souiller l'âme.
Le résultat ressemble un peu à ce que décrit Philip K. Dick dans son roman L'Oeil dans le Ciel. Il nous entraîne sur quelques pages dans l'univers mental d'un personnage de cette sorte, qui ne lit le monde qui l'entoure qu'à l'aune des interventions et miracles divins. Pour lui, les choses ne procédant que de la volonté divine, la technologie elle-même devient quelque chose de fondamentalement magique, et le distributeur automatique de friandises fonctionne sur le même principe que la multiplication des pains. On passe aussi dans l'univers subjectif de paranoïaques qui perçoivent la malveillance des choses qui les entourent, et ainsi de suite.
Le fait demeure : tous ces gens utilisent à plein toutes sortes de produits d'une science qu'ils récusent : internet, le téléphone portable, l'ordinateur, la bagnole, l'avion, le GPS, des appareils basés sur les lasers ou les micro-ondes, sans jamais se poser la question de comment cela marche réellement, tout ça. "Si ça marche en appuyant sur un bouton, ça ne peux pas être aussi compliqué que ces âneries de théories quantiques dont vous nous affirmez sans preuve qu'elle est à la base du microprocesseur, du laser ou même de la croissance des plantes**", sous entendu "un dieu dont la préoccupation principale est ce que vous mangez ou dans quoi ou qui vous trempez votre biscuit a bien autre chose à faire qu'à inventer ces trucs délirants que l'on ne peut écrire qu'avec des symboles absolument louches". Et la dialectique est, curieusement (ou pas) exactement la même que chez les poseurs de bombes.
D'ailleurs, la carte Joker de ces gens-là, c'est d'étiqueter "satanique" tout ce qu'ils ne comprennent pas (je viens de tomber sur une vidéo intitulée "nouvel ordre mondial luciférien : vaccins, l'extermination a commencé") en se fiant à des signes de plus en plus basiques (depuis quelques années, le triangle. ça c'est une trouvaille géniale, vu que des tas de structures sont fondées sur cette forme simple)(vous vous demandiez pourquoi De Lesquen voulait raser la Tour Eiffel ? maintenant, vous savez)(le triangle, via la pyramide, est l'aboutissement d'une diabolisation générale de tout ce qui a un air vaguement égyptien). La reductio ad diabolum, c'est génial, ça permet de déshumaniser l'ennemi en plaquant dessus toutes sortes de fantasmes visqueux qui nous renseignent d'ailleurs d'une façon assez dérangeante sur ce qui bouillonne dans la tête de ceux qui les profèrent.
Ça permet également aux protestants hardcore (et aux cathos sédévacantistes qui haïssent les protestants) de brocarder Rome, aux islamistes de déclarer la guerre sainte et à l'église de Satan, en perte de vitesse depuis des années, de retrouver un peu de lustre (parce que oui, désigner un ennemi, c'est lui donner une importance qu'il n'a pas toujours au départ). Distribuer ce genre de mauvais point permet également de bien se confire dans sa paresse intellectuelle : Bach était protestant ? on n'écoute plus Bach. Mozart était franc-mac ? Son Requiem devient suspect. Et je ne parle pas de la littérature, sur laquelle le tri est tout aussi vite fait entre les orduriers, les communistes, les débauchés. Lire ou écouter des auteurs de ce genre, c'est s'exposer à une contamination. C'est marrant, c'est presque le même registre qui est employé pour parler des vaccins.
Tout cela, c'est un univers basé sur la peur généralisée, qu'on contre par un entre-soi de plus en plus réducteur, une logique de petit village gaulois (ah non, on me souffle que Goscinny était juif, donc forcément insidieux), de cellule paranoïde (comme chez les communistes de l'âge héroïque), bref, de secte. Alors bien sûr, il n'y a pas que les religieux qui adoptent ces logiques d'exclusion d'emblée de la parole adverse. Mettez dans une même pièce un Insoumis, un Macroniste et un UPR (tiens, Asselineau a dit deux ou trois énormes bêtises sur les vaccins, l'autre jour et là il a loupé une belle occasion de ne pas s'en mêler)(mais je pense qu'il était acculé et que malgré ses précautions oratoires, il sait chez qui se recrutent ses quelques militants) et vous verrez le résultat. Ajoutez-y un écolo des courants les plus groupusculaires (tenez, Michèle Rivasi en est un à elle toute seule), agitez le truc, et vous aurez quatre djihads croisés pour le même prix.
C'est marrant qu'en une époque où certains s'acharnent à se dédiaboliser, la diabolisation de tout ce qui est perçu comme le camp adverse est devenue (redevenue, en fait) le seul moyen de souder les troupes. Mais très souvent, dans une secte, on a à la tête du truc des gens qui mettent ces grandes théories dans leur vitrine pour attraper le gogo, mais qui ne sont pas dupes de leur propre discours (un exemple récent, Nigel Farage qui pensait se faire une rente à vie en agitant le Brexit à chaque élection, et qui s'est chié dessus quand les gens l'ont suivi en masse).
Tout comme pour l'histoire du réchauffement et des théories anti-NASA, où l'ont sent bien le cynisme des pétroliers qui agitent ce genre d'eaux, on se doute bien que les plus efficaces propagateurs de tout ce fumier cherchent avant tout à avancer des pions idéologiques ou à anéantir l'opposition.
Mais la vraie cause profonde du succès de ces fadaises est comme de juste une combinaison de facteurs. J'en vois quelques uns, à la volée :
- l'obsession de la communication qui, en privilégiant le sensationnalisme et le glamour, a transformé pas mal de termes scientifiques en buzzwords pour l'industrie de la diététique (qui a besoin d'une caution scientifique apparente, même pour vendre des trucs nocifs) et des cosmétiques (qui a besoin régulièrement d'une nouvelle technologie dont on pourra faire croire qu'elle fera mieux que l'ancienne) voire de l'industrie pharmaceutique elle-même quand elle veut conquérir des marchés (et contrairement à ce que semblent croire les anti-vaccins, c'est très souvent que l'état et les agences de santé publique obligent l'industrie à retirer des médicaments un peu trop vite mis sur le marché, et dont les effets indésirables sont plus importants que prévu, dans des domaines, comme les anticholestérolémiants et anti-hypertenseurs, qui garantissent un revenu beaucoup plus régulier que les vaccins, pour des frais de fabrication bien inférieurs). Toute cette communication présentée comme "sérieuse" ne fait, in fine, que brouiller les cartes et saper le vocabulaire qu'elle détourne.
- la multiplication de croisades absurdes, étayées par des justifications douteuses mais enrobées dans un emballage pseudo scientifique à base de lecture biaisée de statistiques, de raisonnement de grand-mère parés d'une apparence de "bon sens" et qui ne reposent sur rien de concret (la science progresse généralement en testant les limites du "bon sens" pour dégager des principes qui s'avèrent contre-intuitifs) (c'est ça que je veux dire, quand je parle de paresse intellectuelle : la vraie connaissance se mérite). Les attaques contre le gluten, les produits laitiers, la cuisson, etc. sont un moyen de vendre des manuels de régimes soi-disants rationnels et de se tailler à peu de frais une aura d'expert. (je mets de côté les problématiques liées à l'alimentation carnée, nettement plus complexes)
- la dégradation de l'enseignement des sciences, qui maintenant que les gamins ont été formatés à les rejeter avant même d'entrer en classe, a peut-être atteint un niveau irréversible. Devenus outil de sélection, les maths jargonnantes de l'école (dont même les profs de lycée des mes mômes reconnaissent qu'elles n'ont pas grand-chose à voir avec la nature des maths) se résument à un bachotage quand, combinées à la philo, l'enseignement de la logique qu'elles permettent pourrait devenir un outil d'émancipation de l'esprit très puissant. Dans les sciences elles-mêmes, les efforts de transversalité, quoique réels, sont sans doute insuffisant. Les profs sont démotivés, et programmes et manuels sont conçus d'une manière qui les enferme plus qu'autre chose. L'absence de culture scientifique digne de ce nom chez la plupart de nos gouvernants, et la confusion savamment entretenue entre science, technique et technocratie n'aide pas (pas plus que la confusion tout aussi perverse et tout aussi savamment entretenue entre religion, croyance et spiritualité).
- la généralisation de logiques de mépris de classe, de ressentiment et de Schadenfreude (et tout cela se croise et s'autoentretient magnifiquement, vous vous en doutez), qui conduisent à vomir les signes extérieurs associés à telle catégorie comme on brûlait jadis en effigie. Pour le manipulateur malin, associer un élément quelconque (tel type de musique, tel signe distinctif, etc.) à une catégorie quelconque de population (la Rolls du truc, c'est d'arriver à l'accoler à une catégorie de population imaginaire, genre les Illuminatis, parce que le délire devient dès lors totalement irréfutable) c'est devenir l'esprit brillant seul à voir la vérité, ce qui est gratifiant et garantit de se trouver quelques suiveurs qui vous vénéreront, et entretiendront pour vous ce qui deviendra vite un excellent business (parce que c'est un business très rentable).
Bon, voilà, une note un peu foutoir, mais pas mal de gens m'ont énervé, ces derniers temps, avec dans le tas un mix de crétins fiers de leur ignorance (et maîtrisant toutes les techniques d'évitement pour ne pas avoir à accepter des faits basiques) et de gros salopards manipulateurs qui mettent de l'huile sur le feu avec ce qui semble être une gourmandise perverse.
* Et que l'inefficacité croissante des antibiotiques est un complot pour faire croire que la sélection naturelle marche, sans doute. Et à ce propos, si jamais les derniers antibiotiques nous lâchent, on aura intérêt à avoir inventé des tas de nouveaux vaccins, je dis ça, je dis rien…
** Oui, la description précise des transferts d'énergie qui permettent de convertir la lumière en réactions chimiques dans la chlorophylle est abominablement complexe. "Si le Tout-Puissant m'avait consulté pour sa Création, j'aurais recommandé quelque chose de plus simple", comme dirait l'autre.
Sur la collusion, c'est intéressant, parce que dans ce groupe d'énervés, vous avez d'un côté des religieux assumés (en vrac, des Manif pour Tous qui annoncent que la Colère de Dieu s'abattra sur la Fraaaance dans un grand krakapoum wagnérien, des universitaires turcs qui reprennent les arguments d'évangéliques américains pour démontrer que l'évolution est un complot contre la foi, et que Pokemon est un complot pour faire accepter l'évolution*, des rabbins qui voient dans Internet un moyen de pervertir les valeurs en masse, etc.) (c'est dommage que la notion d'allié "objectif" soit tellement marquée comme communiste, parce qu'on est tentée de l'appliquer à tous ces religieux qui affectent de se détester, mais mènent les mêmes combats), et aussi des gens en apparence laïcs (des écolos, par exemple, ou des identitaires) mais qui développent eux aussi un discours calé sur un absolu (que ce soit "la Nature", "la Nation", "le Bon Sens"). La "collusion" avec la vieille hydre bondieusarde (sous sa forme tradi ou sous ses formes plus récentes, mais qui se prétendent remonter à la tradition ancestrale des premiers compagnons, apôtres et autres disciples canal historique), elle est patente.
Il s'agit, en fait, du vrai gros clivage de vision du monde de notre temps. Conséquence à la fois de la paresse intellectuelle et de l'incapacité des gens à identifier correctement leurs dissonances cognitives, il oppose tout ce qui ressemble de près ou de loin à de l'analyse rationnelle à des visions de plus en plus schématiques et simplifiées du réel, fondées sur une malveillance perçue (les Francs-Macs/scientistes/spécialistes/Communistes/athées veulent notre peau parce qu'ils sont jaloux de notre Vérité et complotent en conséquence) qui permet de camper sur sa propre malveillance bien réelle. On se retrouve, cent ans après la Grande Guerre, à assister à des combats de position, des échanges de tirs entre tranchées sur des terrains devenus tellement boueux et impraticables, embrumés de gaz moutarde, que toute notion de victoire perd son sens : les preuves concrètes sont rejetées d'emblée sous prétexte de "faits troublants", perceptions au doigt mouillé et refus de se pencher sur les vrais processus de peur de se souiller l'âme.
Le résultat ressemble un peu à ce que décrit Philip K. Dick dans son roman L'Oeil dans le Ciel. Il nous entraîne sur quelques pages dans l'univers mental d'un personnage de cette sorte, qui ne lit le monde qui l'entoure qu'à l'aune des interventions et miracles divins. Pour lui, les choses ne procédant que de la volonté divine, la technologie elle-même devient quelque chose de fondamentalement magique, et le distributeur automatique de friandises fonctionne sur le même principe que la multiplication des pains. On passe aussi dans l'univers subjectif de paranoïaques qui perçoivent la malveillance des choses qui les entourent, et ainsi de suite.
Le fait demeure : tous ces gens utilisent à plein toutes sortes de produits d'une science qu'ils récusent : internet, le téléphone portable, l'ordinateur, la bagnole, l'avion, le GPS, des appareils basés sur les lasers ou les micro-ondes, sans jamais se poser la question de comment cela marche réellement, tout ça. "Si ça marche en appuyant sur un bouton, ça ne peux pas être aussi compliqué que ces âneries de théories quantiques dont vous nous affirmez sans preuve qu'elle est à la base du microprocesseur, du laser ou même de la croissance des plantes**", sous entendu "un dieu dont la préoccupation principale est ce que vous mangez ou dans quoi ou qui vous trempez votre biscuit a bien autre chose à faire qu'à inventer ces trucs délirants que l'on ne peut écrire qu'avec des symboles absolument louches". Et la dialectique est, curieusement (ou pas) exactement la même que chez les poseurs de bombes.
D'ailleurs, la carte Joker de ces gens-là, c'est d'étiqueter "satanique" tout ce qu'ils ne comprennent pas (je viens de tomber sur une vidéo intitulée "nouvel ordre mondial luciférien : vaccins, l'extermination a commencé") en se fiant à des signes de plus en plus basiques (depuis quelques années, le triangle. ça c'est une trouvaille géniale, vu que des tas de structures sont fondées sur cette forme simple)(vous vous demandiez pourquoi De Lesquen voulait raser la Tour Eiffel ? maintenant, vous savez)(le triangle, via la pyramide, est l'aboutissement d'une diabolisation générale de tout ce qui a un air vaguement égyptien). La reductio ad diabolum, c'est génial, ça permet de déshumaniser l'ennemi en plaquant dessus toutes sortes de fantasmes visqueux qui nous renseignent d'ailleurs d'une façon assez dérangeante sur ce qui bouillonne dans la tête de ceux qui les profèrent.
Ça permet également aux protestants hardcore (et aux cathos sédévacantistes qui haïssent les protestants) de brocarder Rome, aux islamistes de déclarer la guerre sainte et à l'église de Satan, en perte de vitesse depuis des années, de retrouver un peu de lustre (parce que oui, désigner un ennemi, c'est lui donner une importance qu'il n'a pas toujours au départ). Distribuer ce genre de mauvais point permet également de bien se confire dans sa paresse intellectuelle : Bach était protestant ? on n'écoute plus Bach. Mozart était franc-mac ? Son Requiem devient suspect. Et je ne parle pas de la littérature, sur laquelle le tri est tout aussi vite fait entre les orduriers, les communistes, les débauchés. Lire ou écouter des auteurs de ce genre, c'est s'exposer à une contamination. C'est marrant, c'est presque le même registre qui est employé pour parler des vaccins.
Tout cela, c'est un univers basé sur la peur généralisée, qu'on contre par un entre-soi de plus en plus réducteur, une logique de petit village gaulois (ah non, on me souffle que Goscinny était juif, donc forcément insidieux), de cellule paranoïde (comme chez les communistes de l'âge héroïque), bref, de secte. Alors bien sûr, il n'y a pas que les religieux qui adoptent ces logiques d'exclusion d'emblée de la parole adverse. Mettez dans une même pièce un Insoumis, un Macroniste et un UPR (tiens, Asselineau a dit deux ou trois énormes bêtises sur les vaccins, l'autre jour et là il a loupé une belle occasion de ne pas s'en mêler)(mais je pense qu'il était acculé et que malgré ses précautions oratoires, il sait chez qui se recrutent ses quelques militants) et vous verrez le résultat. Ajoutez-y un écolo des courants les plus groupusculaires (tenez, Michèle Rivasi en est un à elle toute seule), agitez le truc, et vous aurez quatre djihads croisés pour le même prix.
C'est marrant qu'en une époque où certains s'acharnent à se dédiaboliser, la diabolisation de tout ce qui est perçu comme le camp adverse est devenue (redevenue, en fait) le seul moyen de souder les troupes. Mais très souvent, dans une secte, on a à la tête du truc des gens qui mettent ces grandes théories dans leur vitrine pour attraper le gogo, mais qui ne sont pas dupes de leur propre discours (un exemple récent, Nigel Farage qui pensait se faire une rente à vie en agitant le Brexit à chaque élection, et qui s'est chié dessus quand les gens l'ont suivi en masse).
Tout comme pour l'histoire du réchauffement et des théories anti-NASA, où l'ont sent bien le cynisme des pétroliers qui agitent ce genre d'eaux, on se doute bien que les plus efficaces propagateurs de tout ce fumier cherchent avant tout à avancer des pions idéologiques ou à anéantir l'opposition.
Mais la vraie cause profonde du succès de ces fadaises est comme de juste une combinaison de facteurs. J'en vois quelques uns, à la volée :
- l'obsession de la communication qui, en privilégiant le sensationnalisme et le glamour, a transformé pas mal de termes scientifiques en buzzwords pour l'industrie de la diététique (qui a besoin d'une caution scientifique apparente, même pour vendre des trucs nocifs) et des cosmétiques (qui a besoin régulièrement d'une nouvelle technologie dont on pourra faire croire qu'elle fera mieux que l'ancienne) voire de l'industrie pharmaceutique elle-même quand elle veut conquérir des marchés (et contrairement à ce que semblent croire les anti-vaccins, c'est très souvent que l'état et les agences de santé publique obligent l'industrie à retirer des médicaments un peu trop vite mis sur le marché, et dont les effets indésirables sont plus importants que prévu, dans des domaines, comme les anticholestérolémiants et anti-hypertenseurs, qui garantissent un revenu beaucoup plus régulier que les vaccins, pour des frais de fabrication bien inférieurs). Toute cette communication présentée comme "sérieuse" ne fait, in fine, que brouiller les cartes et saper le vocabulaire qu'elle détourne.
- la multiplication de croisades absurdes, étayées par des justifications douteuses mais enrobées dans un emballage pseudo scientifique à base de lecture biaisée de statistiques, de raisonnement de grand-mère parés d'une apparence de "bon sens" et qui ne reposent sur rien de concret (la science progresse généralement en testant les limites du "bon sens" pour dégager des principes qui s'avèrent contre-intuitifs) (c'est ça que je veux dire, quand je parle de paresse intellectuelle : la vraie connaissance se mérite). Les attaques contre le gluten, les produits laitiers, la cuisson, etc. sont un moyen de vendre des manuels de régimes soi-disants rationnels et de se tailler à peu de frais une aura d'expert. (je mets de côté les problématiques liées à l'alimentation carnée, nettement plus complexes)
- la dégradation de l'enseignement des sciences, qui maintenant que les gamins ont été formatés à les rejeter avant même d'entrer en classe, a peut-être atteint un niveau irréversible. Devenus outil de sélection, les maths jargonnantes de l'école (dont même les profs de lycée des mes mômes reconnaissent qu'elles n'ont pas grand-chose à voir avec la nature des maths) se résument à un bachotage quand, combinées à la philo, l'enseignement de la logique qu'elles permettent pourrait devenir un outil d'émancipation de l'esprit très puissant. Dans les sciences elles-mêmes, les efforts de transversalité, quoique réels, sont sans doute insuffisant. Les profs sont démotivés, et programmes et manuels sont conçus d'une manière qui les enferme plus qu'autre chose. L'absence de culture scientifique digne de ce nom chez la plupart de nos gouvernants, et la confusion savamment entretenue entre science, technique et technocratie n'aide pas (pas plus que la confusion tout aussi perverse et tout aussi savamment entretenue entre religion, croyance et spiritualité).
- la généralisation de logiques de mépris de classe, de ressentiment et de Schadenfreude (et tout cela se croise et s'autoentretient magnifiquement, vous vous en doutez), qui conduisent à vomir les signes extérieurs associés à telle catégorie comme on brûlait jadis en effigie. Pour le manipulateur malin, associer un élément quelconque (tel type de musique, tel signe distinctif, etc.) à une catégorie quelconque de population (la Rolls du truc, c'est d'arriver à l'accoler à une catégorie de population imaginaire, genre les Illuminatis, parce que le délire devient dès lors totalement irréfutable) c'est devenir l'esprit brillant seul à voir la vérité, ce qui est gratifiant et garantit de se trouver quelques suiveurs qui vous vénéreront, et entretiendront pour vous ce qui deviendra vite un excellent business (parce que c'est un business très rentable).
Bon, voilà, une note un peu foutoir, mais pas mal de gens m'ont énervé, ces derniers temps, avec dans le tas un mix de crétins fiers de leur ignorance (et maîtrisant toutes les techniques d'évitement pour ne pas avoir à accepter des faits basiques) et de gros salopards manipulateurs qui mettent de l'huile sur le feu avec ce qui semble être une gourmandise perverse.
* Et que l'inefficacité croissante des antibiotiques est un complot pour faire croire que la sélection naturelle marche, sans doute. Et à ce propos, si jamais les derniers antibiotiques nous lâchent, on aura intérêt à avoir inventé des tas de nouveaux vaccins, je dis ça, je dis rien…
** Oui, la description précise des transferts d'énergie qui permettent de convertir la lumière en réactions chimiques dans la chlorophylle est abominablement complexe. "Si le Tout-Puissant m'avait consulté pour sa Création, j'aurais recommandé quelque chose de plus simple", comme dirait l'autre.
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