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Déesse 19 ter (mais pas déesse de la ter, faut suivre, des fois)

Alors, cet article fait suite à ces deux-là, Déesse 19 et, comme on peut s'en douter, Déesse 19 bis. Ils constituent une réflexion à la volée sur le problème des mythes féminins d'initiation, suite à une questionnement sur le côté fondamentalement masculin du schéma dit "de Campbell".

Une remarque du toujours estimable JPJ, dont le regard acéré m'a déjà torpillé, au fil des ans, bien des démonstrations patiemment assemblées (il est vraiment redoutable pour mettre le doigt sur les failles) (qu'il en soit remercié, c'est aussi comme ça que j'avance) m'a fait prendre conscience que tous mes exemples d'aventures féminines avaient été écrits… par des bonshommes.

Parmi les exemples qu'il a proposés, l'un d'eux m'a frappé, parce que je ne l'avais (bêtement) jamais considéré sous l'angle initiatique : la petite Heidi, crée par Johanna Spyri à la fin du XIXe siècle et popularisée depuis par un nombre incalculable d'adaptations en dessin animé, série télévisée, long métrage, etc.

Et donc, à première vue, rien qui nous éloigne plus de notre sujet initial (le schéma de l'épopée cambpellienne) que les aventures bucoliques de cette petite fille au bon cœur. Faut se méfier de la première vue (des lunettes pour voir l'invisible en relief, quelqu'un ?).

Parce qu'analysée avec les bonnes lunettes, l'histoire d'Heidi présente des aspects tout à fait campbelliens, mais traités d'une façon très particulière.

Pour ceux qui aurait vécu sur une île déserte depuis 1880, on va résumer vite fait de quoi il s'agit.

Orpheline, la petite Adélaïde, dite "Heidi", est arrachée à son environnement natal, une petite ville, pour être envoyée par sa tante, qui ne peut pas s'occuper d'elle, chez un proche parent, son grand-père qui vit quasiment en ermite dans les Alpes. Arrivée sur place, elle doit apprivoiser son nouveau cadre, mais surtout ce vieux grincheux misanthrope de grand-père.

Rapidement, elle se crée une place dans la vie du vieux bougon, qu'elle parvient à dérider (un peu), et ce dernier lui enseigne une vie simple. L'environnement nouveau qu'était la montagne finit par lui sembler naturel, et elle s'y fait des amis.

Mais un jour, la tante vient la rechercher : elle l'a plus ou moins vendue à une riche famille de Francfort pour qu'elle devienne demoiselle de compagnie d'une jeune malade, Klara. Mais la ville ne convient plus à Heidi, et les brimades infligées par la gouvernante de la maison vont achever de lui donner le mal du pays.

Une fois rentrée, elle va inviter Klara, et le changement d'environnement fera le plus grand bien à la petite malade. Quant à la terrible gouvernante, sans tout à fait s'adoucir, elle perdra de sa superbe.

(on passera sur les trois suites françaises données aux deux romans constituant cette histoire. elles sont bien sympathiques, mais nous écartent de notre sujet)

Les éléments Campbelliens ? Déracinement (deux fois, d'ailleurs), disparition du mentor, victoire symbolique sur l'antagoniste. Et surtout, en bout de course, on assiste à l'apparition d'un pouvoir de guérison. Oh, certes, il n'a rien de thaumaturgique ni de merveilleux, pas plus que la victoire d'Heidi sur sa persécutrice n'a rien de spectaculaire ni d'épique. Mais les éléments sont là, dans le bon ordre. C'est le sens qui leur est donné qui est plus subtil qu'une simple skywalkererie.

Car si le départ puis retour est à la clé du schéma de Campbell, ce cycle a ici un sens différent. Heidi n'arrive à être elle-même que dans sa montagne. Elle refuse les codes de la ville et de la bonne société. Elle ne va pas vers l'extérieur pour accomplir son destin. Par contre, quand les autres viennent à elle ? Elle parvient à guérir Klara. Le schéma s'inverse…

Ça vaudrait le coup de vérifier si, dans des contes traditionnels, dans des mythes ou dans d'autres œuvres, on a des variantes de ce genre, des détournements du schéma…

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