Bon, le truc semble s'installer, et d'autres auteurs proposent des listes de mots pour le "writever", ce petit jeu, cet exercice créatif consistant à écrire une micro-nouvelle à partir d'un mot donné. (le mois dernier, c'était Ketty Steward, ce mois-ci, Julie Morin-Rivat)
Du coup je vous soumets ici ce que j'ai fait en décembre. Toujours le même principe, un petit texte autocontenu, dont certains pourraient être le germe d'histoires plus grandes. C'est souvent cet hors-champ qui en fait la force.
Bref, l'an 2020 se termine et s'il nous a semblé pénible, il n'est probablement rien à côté de n'importe quelle année du quatorzième siècle, et de n'importe laquelle de la décennie à venir. Bref, bon réveillon à ceux qui réveillonnent, bon tout le reste à ceux qui tout le restent, et à l'année prochaine, same hour, same bat-channel !
(en attendant, j'ai été interviewé pour Actualitté)
Comme beaucoup de grands découvreurs, il avait fait sa trouvaille majeure en cherchant tout à fait autre chose, qui demeura inaccessible. Et s'il resta célébré dans les siècles des siècles, il considéra personnellement, jusqu'à sa mort, sa vie comme un échec cuisant.
Il lève haut sa lanterne, manquant de mettre le feu aux toiles d'araignées qui s'y accrochent et, distrait, trébuche sur le sol en terre battue. Il tente de se raccrocher aux étagère pourries par l'humidité, qui l'entrainent dans leur chute.
Décidément, la cave se rebiffe.
3/Foule
Du haut de l'impérial balcon il observait les mouvements de la populace furieuse dans les rues de la ville. Cette foule l'avait porté au pouvoir, jadis. Elle convergeait désormais vers le palais.
Il rajusta sa toge et se tourna vers la porte. Les meneurs ne tarderaient plus.
Les mots s'étaient effacés, c'est pourquoi nul ne savait plus que cette boule à neige était la dernière représentation fidèle de la tour Méridienne, écroulée depuis plus loin que la mémoire du plus vieux d'entre eux.
5/Caisse
Fatalement, à force de taper dans la caisse, il avait attiré l'attention de gens malveillants…
qui le nommèrent ministre.
6/Objet
C'était une babiole, une bricole, tout juste un colifichet, le genre de chose qu'un enfant peut précieusement garder sous son lit, dans sa petite boite à trésors.
Depuis son naufrage, cet objet était son dernier lien avec l'idée même de civilisation.
La tour des archives était le cœur de ce monastère de copistes. Ils la défendaient comme la chose la plus infiniment précieuse au monde. L'accès était un secret jalousement gardé. La peste balaya la région. Nul ne sut plus comment y entrer. Elle demeura pour des siècles un totem inviolé.
Hoyt avait une mémoire holographique, qui enregistrait le moindre incident dans un cristal d'arséniure de germanium. Quand il fut décommissionné, on exposa le bloc translucide, dont on savait chaque irisation chargée d'un sens secret et perdu.
9/Reflets
Les deux miroirs se faisaient face, dans l'antichambre du sorcier, se démultipliant à l'infini. Par amusement, il plongea son regard tout au fond de ce tunnel lumineux et démesuré.
Il y vit bouger quelque chose. Cela s'approchait.
à force de s'être encrouté dans sa routine quotidienne, il n'en supporta plus la moindre variation. Les travaux qui l'obligèrent à faire un détour sur son itinéraire furent l'occasion d'une crise grave. Quand il fut abattu, il avait déjà fait 18 victimes.
"Entrez ici librement et de votre plein gré."
Depuis des siècles qu'il s'amusait des limitations de ses pouvoirs, M. le comte avait fini par croire que tous avaient les mêmes.
Il fut débordé non pas par Van Helsing par par les démarcheurs, quêteurs et prédicateurs.
Les bateaux de passage déposaient le courrier de la région dans une bouée, au large. Tous les quelques jours, il s'y rendait en barque et distribuait les rares missives à ses quelques voisins
Il attendait d'être relevé. Peut-être ce courrier-là s'était-il perdu en route.
Il y avait des termes tabous, comme ça, des mots qui avaient été assez neutres, mais avaient par la suite été dévoyés au point de devenir intolérables.
Depuis des décennies, quiconque disait "c'est notre projet" au premier degré était immédiatement passé par les armes.
Le géant cosmique se posa sur cette planète inconnue de lui. Il avisa une grande bouteille blanche et voulu se désaltérer. Il en ôta la capsule.
à l'intérieur, les astronautes hurlèrent.
Souvent l'on cherche et parfois les chercheurs trouvent. Mais l'avez-vous remarqué? chaque découverte, si elle répond à bien des questions, en génère un lot de nouvelles, bien plus retorses et épineuses
La recherche ne fait qu'étendre le champ de ce que nous ignorons.
Le diseur était le dépositaire de l'histoire véridique de la tribu, de ses généalogies, des exploits de l'ancien temps. Chaque génération brodait un peu plus, ajoutait au légendes les plus anciennes.
Elles n'en étaient que plus vraies.
Après les abus de l'époque dite du "managerocène", quand le travail était rémunéré à la seconde et chaque employé espionné pour mesurer le nombre de secondes productives, on avait brûlé les horloges et édicté un commandement : "point ne feras d'outil mesurant le temps".
"Prends en de la graine", lui avait-on dit après une nouvelle défaite. Il avait pris le conseil au mot et planté, planté, planté…
Bientôt, sa forteresse fut entourée par des fourrés de ronces inexpugnables, et il vit que cela était bon.
On ignorait qui avait creusé et établi les fondations de la forteresse. D'après la légende, il s'agissait de géants, et ces fondations descendaient très profondément dans la montagne, comme les caves secrètes peuplées de choses étranges.
Tout était vrai, bien sûr.
20/Voyage
Il avait consacré son règne à la préparation de l'ultime voyage. Pyramide imposante, embaumeurs d'élite, exégètes du texte sacré…
Il se présenta enfin, à l'occasion d'une peste, devant la barque divine. Anubis gronda. "aucun de ces péquenauds n'a son billet, jamais."
Ces bandes prenaient la poussière depuis des décennies
Puis on comprit qu'elles contenaient des entretiens avec le mystérieux penseur Chonkra, réputé avoir percé les secrets de la vie
Mais, faute d'entretien l'appareil qui aurait permis de les lire était inutilisable
Le guérisseur offrait l'oubli à ceux qui venaient le voir. Il les soulageait du poids du souvenir. Cette mémoire lui revenait, le pénétrait, et bientôt l'écrasa : mille et mille choses encombrant son esprit sans que nul ne puisse, lui, l'en soulager.
Il notait tout dedans : Les idées lui passant par la tête, ses listes de course, ses rendez-vous. Il écrivait si mal qu'il était seul à pouvoir se relire.
Trois siècles plus tard, le carnet fut retrouvé par un sorcier qui s'en servit pour invoquer un démon. Avec succès.
Ce fondu ne travaillait qu'à la dynamite, faisant sauter, apparemment de façon aléatoire, collines et digues.
Ce n'est qu'après sa mort, à l'occasion d'un vol en ballon, que les gens comprirent.
Désormais, le cours du fleuve dessinait le profil de sa bien aimée.
Il était de ces gens qu'on aimait avoir aux fêtes, parce qu'avec un coup dans le nez, il racontait des choses distrayantes. Puis il vieillit et mourut, d'autres prirent la suite, utilisant son nom en souvenir pour désigner cette fonction nouvelle. Il s'appelait Barde.
Ce lopin était passé de main en main depuis plus loin que ne remontait la mémoire des hommes. Chacun l'avait travaillé à son tour depuis 3000 ans, y faisant pousser orge, froment ou avoine. Il avait nourri d'innombrables générations.
Il était urgent d'en faire un parking.
L'artiste avait été, en récompense de ses mérites, appelé à de hautes fonctions. Président de la société de ses pairs, puis ministre de la culture. Ses nouvelles occupations ne lui laissant plus un instant pour penser de nouvelles œuvres.
De dépit, il brûla les anciennes.
Il avait passé se vie à étudier des relevés, à effectuer de savants calculs de parallaxe et d'expansion dynamique. Il en avait déduit la forme de l'univers, un intricododheptahèdre, et n'en était pas plus avancé pour autant, comme il l'admit dans ses mémoires.
Le dieu racontait le monde aux anges dans l'empyrée, et son récit se réalisait sur terre. Il racontait progrès et bonheurs, défaites et reculs, et cela se réalisait.
Se levant de son trône, il trébucha et dit "et merde !"
ainsi commença l'année 2020.
Il était l'homme qui avait un plan. Sa réputation d'efficacité tenait à ce fait: le plan initial rencontrait toujours des soucis. Le sachant, il avait un plan de secours et un 3e au cas où.
Un jour, il réussit du premier coup et prit sa retraite. Cela l'ennuyait désormais.
Si l'on inverse le fonctionnement de la mémoire et de la prescience, le futur devient univoque et le passé un magma de possibilité. C'est ce qui était arrivé à Nathaniel. Il traversait une uchronie perpétuelle, mouvante, et s'acheminait vers un destin fatal, inexorable.
Commentaires
Merci beaucoup pour ces exercices graphomaniaques. Suite à vos précédents billets je me suis mis à écrire tous les jours (pas avec ces grilles de mots mais en prenant un mot au hasard), parfois quelques lignes, parfois plus, parfois en reprenant des personnages d'un mot à l'autre. C'est vraiment un exercice très agréable, j'en suis à 31 mots aujourd'hui mais je suis déjà impatient du jour où j'arriverai à 300 ou 3000.
Continuez à partager vos créations en tout cas, vos formats très courts sont souvent d'une vraie profondeur.
Ces exercices m'ont permis de m'y remettre. 2020 a été une année difficile au niveau écriture, j'ai laissé de côté mon prochain roman pendant plus de six mois (bon, j'ai écrit une nouvelle et deux bds, mais la première était issue d'un appel à textes -Marmite et Micro-ondes - et les deux autres d'une commande - les Histoire de France pour Hachette). Les Hebdocubes de Vincent Corlaix et le Writever m'ont permis de réactiver les bons câblages dans la citrouille.
comme je le disais le mois dernier, tous ces petits exercices permettent de muscler la créativité, qui n'est pas une entité abstraite, mais vraiment une pratique, à mon sens, une manière de regarder le monde autour de soi, y compris en creux, et de restituer ça.
Ravi donc que ce soit utile à d'autres !
bonne fin d'année !