Pas un jour sans que bruisse une polémique à la con. Et attention, hein, je n'emploie pas le terme "polémique" dans son sens journalistique, qui est "quand un homme politique dit de la grosse merde et que les gens lui mettent le nez dans son caca, on dit que 'ses propos ont fait polémique'", non. Là, les gens s'écharpent très, très violemment à propos de l'ouverture ou pas des librairies en période de confinement.
Illus d'Eric Desmazières
Il y a d'un côté ceux qui disent que fermer les librairies ne fera qu'ajouter encore 19 milliards à la fortune de Jeff Brouzouf. C'est un vrai problème. L'occasion de signaler des alternatives, comme la librairie, place des libraires, recyclivres (dont le site est vraiment merdique, mais ça reste une belle initiative) ou directement auprès des libraires eux-mêmes, comme Shakespeare and Co, qui est en train de boire le bouillon et donc leur commander des trucs est peut-être un moyen de les maintenir à flots. Est-ce qu'on met les livreurs en danger, au fait ? Peut-être, à moins qu'ils ne déposent les colis devant la porte, sonnent et filent sans demander leur reste, allez savoir.
Et ensuite, pour qui n'a pas un rond, mais une liseuse ou un téléphone, les Projet Gutenberg et autres permettent de se culturer à peu de frais de façon numérique.
La polémique a enflé quand on a remarqué que si les librairies fermaient, Fnacs et rayons livres d'hypers restaient ouverts, et en catastrophe a été passée une directive fermant leurs rayons. La vente de livres devenait interdite. L'esprit (ou l'absence d'icelui) des autorités françaises conduisait, à partir d'un problème compliqué et épineux, à adopter une solution assez absurde et à la symbolique calamiteuse. Difficile de dire "je suis Charlie" un jour et d'interdire la vente de TOUS les livres une semaine plus tard. (bon, techniquement ce n'est pas la vente de livre qui est interdite, mais la vente de livre à la volée. il reste possible de commander d'avance et de venir retirer sa commande, mais vous voyez le binz).
Des bonnes âmes hurlent à l'atteinte aux libertés, etc. Notons que pendant ce temps-là, la chasse reste autorisée, mais pas le surf. L'absurdité est partout dans les règles démentes du confinement. Et ces histoires de formulaires qui ressurgissent est un moyen pour l'état de dire aux citoyens "j'irai faire Kafka sur vos tombes". (oui, c'est un vieux titre du Poulpe, je sais). On peut facilement leur rappeler que la plupart des vrais lecteurs ont d'immenses "piles à lire" (la mienne est cyclopéenne) et que c'est peut-être l'occasion de déblayer un peu. Après, je sais qu'une ou deux nouveautés me faisaient de l'œil, et par principe, j'irai les toper dès que ça déconfinera, ne serait-ce que pour soutenir leurs auteurs.
Chez les libraires eux-mêmes, il y a plusieurs camps qui se dessinent :
- ceux qui préfèrent rester fermés. l'état a promis des compensations (mais faut se méfier des compensations de l'état, demandez au personnels médicaux et para-médicaux qui étaient sur le front en mars-avril), les libraires tiennent à leur santé, ils mettent en place du click and collect quand ils peuvent ou de la livraison et c'est baste.
- ceux qui pensent jouer leur survie, et j'en connais quelques uns qui ont déjà été bien entamés par les gilets jaune et le premier confinement. Eux voudraient pouvoir ouvrir. Ne serait-ce que pour ne pas se faire prendre leur derniers clients par Jeff Brouzouf et compagnie. Ils arguent qu'ils ont mis en place des procédures et que normalement, si ça tient chez le poissonnier, ça doit pouvoir tenir chez eux.
De ce que j'en ai vu, ces deux camps sont irréconciliables et s'invectivent. Perso, je ne peux pas trancher de façon catégorique. Et en tant qu'auteur, j'en arrive à mon deuxième bouquin dont la sortie prévue tombe en plein confinement. On ne sait même pas encore si on peut la maintenir ni de combien on la décale. C'est comme ça, vous me direz, on ne peut pas empêcher la pluie de tomber et vous aurez bien raison. De toute façon, l'économie du livre étant ce qu'elle est, ce n'est pas à moi, l'auteur, que la non sortie du livre fait le plus mal. Du coup, en dehors de l'inévitable petit pincement narcissique, je peux en prendre mon parti. Ça m'embêterait, d'ailleurs, qu'un libraire ou un lecteur chope le Covid (oui, je dis le, contrevenant ainsi aux prescriptions de l'Académie, mais en fait j'emmerde ces barbons, ce sont les gens comme moi qui font la langue, pas eux) pour aller prendre sa dose de Nikolavitch.
un Jonathan Pryce canal historique
La vérité, c'est que le confinement dans sa version actuelle n'est probablement pas assez dur, à l'entrée de la mauvaise saison. Que tant que le télétravail ne sera pas vraiment encouragé (par des incitations, des primes de risques à verser obligatoirement à ceux qui vont bosser quand même, etc), tant qu'on ne fermera pas les écoles (écoles qui restent ouvertes pour permettre aux parents d'aller bosser, semble-t-il) il faudra au moins deux mois pour faire retomber l'épidémie à son niveau de juin. Et encore, c'est une estimation optimiste. Le Grinch a une tête de coronavirus, cette année. Toute règle assénée sans préparation (vous aurez noté le côté schrödingo-ubuesque de ces peigne-cul qui nous disent d'un côté "nous sommes prêts" et de l'autre "nous n'avions rien vu venir") (quand le terrain les avertissait depuis deux mois et plus qu'ils allaient dans le mur) conduit à l'absurde : les panneaux chez Auchan interdisant la vente de bouquins en sont l'illustration la plus évidente. La présence de lobbies comme celui de la chasse complique encore le jeu. Même la règle appliquée de façon absurde parce qu'indiscriminée a son lot d'exceptions débiles qui la rendent plus absurde encore. Et des illuminés jouent de cette absurdité pour vous sortir des théories plus absurdes encore, ajoutant à la confusion et au danger.
Mais vous avez remarqué ? Nous vivons une époque absurde. L'enjeu, maintenant, c'est de survivre à l'absurdité, et à la nullité de ceux qui en fixent les règles. Il faudra juste leur demander des comptes après, à ceux-là.
Commentaires
Tu devrais faire une ressortie de ton "Apocalypse", légèrement alourdie d'une augmentation covidienne ...
mais l'histoire va tellement vite, de nos jours… faudrait tout un chapitre sur Raoult et sa bande !