Accéder au contenu principal

Noir c'est noir. Ou pas.

 Je causais ailleurs de l'acteur Peter Stormare, qui jouait Czernobog (ou Tchernobog, ou Crnobog, prononcer "Tsr'nobog" dans ce dernier cas) dans la série American Gods, mais qui était aussi Lucifer dans le film Constantine et le nihiliste qui veut couper le zizi du Dude.

 

de nos jours, il lui latterait plutôt les roubignoles au Dude


Tchernobog (ou Czernobog, ou Crnobog) c'est un dieu classique des mythologies slaves, sur lequel il a été beaucoup écrit, un dieu noir et hivernal opposé à la lumière, enfermé dans un cycle de mort et de résurrection, avec donc un rôle dans la fertilité. C'est sur ce mythe-là que Gaiman base son personnage dans American Gods, justement.

Les chrétiens l'ont immédiatement assimilé à un diable, et c'est la lecture qu'en fait Disney dans le segment "La nuit sur le Mont Chauve" dans Fantasia.

 

J'entends cette image

 

Faut dire que le gars est pas aidé : son nom signifie précisément "dieu noir", et on peut se dire que les mecs se sont pas foulé un doigt pour le trouver, ça. Truc rigolo, ce dieu semble avoir des caractéristique le rapprochant du celte Cernunos, le dieu cornu de la fertilité (au point que j'ai bêtement tendance à le prononcer "Tchernunos", mais c'est un autre problème, en vrai, ça se dit "Kernounoss"). Bon, l'étymologie des deux côtés n'a rien à voir, mais il est possible, par un effort de spéculation, de trouver des passerelles entre celtes et slaves. Outre les points de contact dans les Balkans et en Europe Centrale (les débuts exhumés de la culture celte, se situent pas loin, à l'âge du fer, et puis il y a eu les diverses expéditions en Grèce et la Galatie), il y a des correspondances fortes entre le panthéon celte et celui des Germains, et entre celui des Germains et celui des Slaves. On peut facilement rapprocher Taranis de Thor/Donnar et ce dernier du Perun révéré à Kiev au moment de l'arrivée des Vikings. Et puis tout ce beau monde est indo-européen (même si les constructions de papy Dumézil sont à prendre avec du recul).

Dans l'autre direction, on a postulé que l'articulation Tchernobog/Dazbog (le "dieu du jour", qu'on pourrait alors rapprocher du Dagda irlandais, mais qu'on a aussi appelé Biélobog, le dieu blanc) pouvait provenir de l'est et de l'Iran dualiste. Le point de contact serait alors la circulation des Scythes dans les steppes, nomades à cheval de culture partiellement iranienne. Le dualisme slave aurait alors survécu après la christianisation chez les Bogomiles des Balkans, l'équivalent local de nos Cathares.

C'est très beau et très cohérent, voire assez élégant, mais, bien entendu un malencontreux détail fout tout en l'air.

Tchernobog n'existe pas et n'a jamais existé.

La dénomination, elle vient des évangélisateurs qui déracinent les cultes païens entre l'an Mille et le treizième ou quatorzième siècle. Ils assistent à des rites et signalent que les paysans "rendent un culte à un dieu noir". Point. C'est tout. Et comme ils effacent assez vite toutes les traditions orales, on n'a quasiment que des témoignages de seconde main de ce genre pour documenter la mythologie slave. On ne connaît pas le vrai nom de l'entité adorée, seulement quelques détails sur le culte.

Alors, la correspondance entre Tchernobog et Cernunos, elle n'est pas absurde. Ce sont des dieux qui semblent tenir la même place dans leurs panthéons respectifs, avec des caractéristiques largement partagées avec toutes sortes de divinité du cycle annuel et de la fertilité, pas de souci. L'articulation avec Dazbog (lui est mieux attesté, mais PAS la dénomination Biélobog, qui est une reconstruction beaucoup plus tardive) n'est pas absurde non plus, mais ne constitue absolument pas le fondement de toute la pensée mythique slave comme ça a pu être postulé au dix-neuvième siècle, à une époque où pas mal de jeunes nations tentent de se donner un fondement mythique et ethnique, un roman national, et fabriquent le tout avec ce qui leur tombe sous la main (parfois à l'aide de fausses idoles opportunément retrouvées) (et quand je parle de fausses idoles, ce n'est pas en fulminant comme un prophète de l'ancien testament, je parle bien de faux délibérés). Diverses discussions m'ont montré que Tchernobog/Biélobog, c'est encore enseigné à l'école dans ces régions-là. Un dualisme radical, c'est considéré comme plus évolué qu'un simple polythéisme, et c'est un moyen de poser les glorieux ancêtres comme autre chose que de simples païens pouilleux. Dans des pays où le communisme était parfois en bisbille avec l'église orthodoxe, ça a son intérêt politique.

(après, Gaiman est romancier, il a le droit de tricher avec son matériau de base pour servir sa narration, et j'aime beaucoup Czernobog tel qu'il est décrit dans le livre et incarné dans la série. en plus, il est probablement de bonne foi. les sources sérieuses sur la culture slave ancienne sont rares, et tout le champ est brouillé)

De toute façon, le panthéon des anciens Slaves est d'autant plus foisonnant qu'il ne semble pas unifié, même si Perun semble partagé à peu près partout, et si l'on semble avoir des traces de/du Triglav à divers endroits. Mais tout ne nous est connu que par des mentions en passant, souvent orientées. Il est quasi impossible de reconstituer proprement un ensemble cohérent, et sans doute illusoire.

Quant au dualisme des Bogomiles, il a bien une origine iranienne indirecte, mais c'est en passant par les gnoses chrétiennes du début de notre ère, qui ont continué à alimenter pendant longtemps toutes sortes d'hérésies et de communautés hétérodoxes, qui se sont également nourries de Manichéisme, qu'on peut envisager comme une sorte de gnose zoroastrienne. Rien de bien mystérieux là-dedans, donc.

Voilà, tout ça pour dire qu'il est facile de se laisser séduire par une construction élégante, et moi-même je m'y suis laissé prendre en mon temps ; mais comme je finis toujours par chercher les sources, sur ce genre de trucs, j'ai vite découvert les nombreux problèmes qu'il y avait dans le couple Tchernobog/Biélobog...




Commentaires

Tonton Rag a dit…
Il n'y a qu'un dieu slave : Alex Nikolavitch !!! Gloire à lui !
Alex Nikolavitch a dit…
Je ferai peut-être un update sur le sujet bientôt, je suis en train d'éplucher un bouquin sorti récemment sous nos latitudes, le premier sur le sujet depuis une quarantaine d'années au moins.

Posts les plus consultés de ce blog

Défense d'afficher

 J'ai jamais été tellement lecteur des Defenders de Marvel. Je ne sais pas trop pourquoi, d'ailleurs. J'aime bien une partie des personnages, au premier chef Hulk, dont je cause souvent ici, ou Doctor Strange, mais... mais ça s'est pas trouvé comme ça. On peut pas tout lire non plus. Et puis le concept, plus jeune, m'avait semblé assez fumeux. De fait, j'ai toujours plus apprécié les Fantastic Four ou les X-Men, la réunion des personnages ayant quelque chose de moins artificiel que des groupes fourre-tout comme les Avengers, la JLA ou surtout les Defenders.   Pourtant, divers potes lecteurs de comics m'avaient dit aimer le côté foutraque du titre, à sa grande époque.   Pourtant, ces derniers temps, je me suis aperçu que j'avais quelques trucs dans mes étagères, et puis j'ai pris un album plus récent, et je m'aperçois que tout ça se lit ou se relit sans déplaisir, que c'est quand même assez sympa et bourré d'idées.   Last Defenders , de J

Nettoyage de printemps

 Il y a plein de moyens de buter sur un obstacle lorsqu'on écrit. Parfois, on ne sait pas comment continuer, on a l'impression de s'être foutu dans une impasse. C'est à cause de problèmes du genre qu'il m'arrive d'écrire dans le désordre : si je cale à un endroit, je reprends le récit plus tard, sur un événement dont je sais qu'il doit arriver, ce qui me permet de solidifier la suite, puis de revenir en arrière et de corriger les passages problématiques jusqu'à créer le pont manquant.  D'autres tiennent à des mauvais choix antérieurs. Là, il faut aussi repartir en arrière, virer ce qui cloche, replâtrer puis repartir de l'avant. Souvent, ça ne tient qu'à quelques paragraphes. Il s'agit de supprimer l'élément litigieux et de trouver par quoi le remplacer qui ne représente pas une contrainte pour le reste du récit. Pas praticable tout le temps, ceci dit : j'en parlais dernièrement, mais dès lors qu'on est dans le cadre d'

Perceval sort du bois

 C'est fin mai que sortira Le garçon avait grandi en un gast pays , mon prochain roman aux Moutons électriques . Les plus attentifs d'entre vous, en voyant ce titre alittérant et à rallonge, se doutent qu'il fait suite à Trois coracles cinglaient vers le couchant et à L'ancelot avançait en armes . Le premier tome était sorti il y a cinq ans, quand même, ça ne nous rajeunit pas. Cette sortie ira de pair avec une réimpression des deux autres. L'ancelot bénéficiera d'une nouvelle couverture, toujours par l'excellent Melchior Ascaride, qui s'y entend à emballer mes bouquins comme ceux des collègues. Comme vous vous en doutez aussi, je termine avec Perceval, personnage fascinant (je lui avais déjà consacré un petit récit dans un pocket de chez Semic, y a plus de vingt ans) mais sans doute le plus difficile à manier de tout le bestiaire arthurien. Le résumé : Élevé à l’abri des tourments et d’un monde violent, le jeune Perceval tient pourtant à le découvr

Pourri Road

Un peu hypé par le prequel à venir de Mad Max : Fury Road, consacré à la jeunesse de Furiosa. Après avoir fait de son héros un spectateur des choses, presque un spectre de choeur grec, Miller poursuit la déconstruction de Max au point de le faire carrément disparaître de sa propre saga. C'est gonflé, mais pas complètement surprenant de sa part, quand on y réfléchit. Mad Max, à l'époque des débuts de la série, c'était un avenir crédible. Une société en décomposition qui finit par imploser, et un retour à la barbarie, celui que nous prédisait Robert E. Howard il y a un poil moins d'un siècle. Max, c'est un peu un Conan post-moderne, ou un Solomon Kane qui aurait fini par baisser les bras et sombrer dans la désillusion. Les années 70 étaient passé par là, et la trilogie initiale consacrée à Max le fou est devenue un élément culturel fort des années 80, à l'influence importante. Les tensions qu'on devinait étaient appelées à se résoudre. Le Dôme du Tonnerre, pui

Le Messie de Dune saga l'autre

Hop, suite de l'article de l'autre jour sur Dune. Là encore, j'ai un petit peu remanié l'article original publié il y a trois ans. Je ne sais pas si vous avez vu l'argumentaire des "interquelles" (oui, c'est le terme qu'ils emploient) de Kevin J. En Personne, l'Attila de la littérature science-fictive. Il y a un proverbe qui parle de nains juchés sur les épaules de géants, mais l'expression implique que les nains voient plus loin, du coup, que les géants sur lesquels ils se juchent. Alors que Kevin J., non. Il monte sur les épaules d'un géant, mais ce n'est pas pour regarder plus loin, c'est pour regarder par terre. C'est triste, je trouve. Donc, voyons l'argumentaire de Paul le Prophète, l'histoire secrète entre Dune et le Messie de Dune. Et l'argumentaire pose cette question taraudante : dans Dune, Paul est un jeune et gentil idéaliste qui combat des méchants affreux. Dans Le Messie de Dune, il est d

Sonja la rousse, Sonja belle et farouche, ta vie a le goût d'aventure

 Je m'avise que ça fait bien des lunes que je ne m'étais pas penché sur une adaptation de Robert E. Howard au cinoche. Peut-être est-ce à cause du décès de Frank Thorne, que j'évoquais dernièrement chez Jonah J. Monsieur Bruce , ou parce que j'ai lu ou relu pas mal d'histoires de Sonja, j'en causais par exemple en juillet dernier , ou bien parce que quelqu'un a évoqué la bande-son d'Ennio Morricone, mais j'ai enfin vu Red Sonja , le film, sorti sous nos latitudes sous le titre Kalidor, la légende du talisman .   On va parler de ça, aujourd'hui Sortant d'une période de rush en termes de boulot, réfléchissant depuis la sortie de ma vidéo sur le slip en fourrure de Conan à comment lui donner une suite consacrée au bikini en fer de Sonja, j'ai fini par redescendre dans les enfers cinématographiques des adaptations howardiennes. Celle-ci a un statut tout particulier, puisque Red Sonja n'est pas à proprement parler une création de Robert H

Serial writer

Parmi les râleries qui agitent parfois le petit (micro) milieu de l'imaginaire littéraire français, y a un truc dont je me suis pas mêlé, parce qu'une fois encore, je trouve le débat mal posé. Je suis capable d'être très casse-burette sur la manière de poser les débats. Mal poser un débat, c'est ravaler l'homme bien plus bas que la bête, au niveau d'un intervenant Céniouze. On n'en était certes pas là, et de loin, mais les esprits s'enflamment si vite, de nos jours.   Du coup, c'est ici que je vais développer mon point de vue. Déjà parce que c'est plus cosy, y a plus la place, déjà, que sur des posts de réseaux sociaux, je peux prendre le temps de peser le moindre bout de virgule, et puis peut-être aussi (c'est même la raison principale, en vrai) je suis d'une parfaite lâcheté et le potentiel de bagarre est moindre. Bref. Le sujet de fâcherie qui ressurgit avec régularité c'est (je synthétise, paraphrase et amalgame à donf) : "Po

Archie

 Retour à des rêves architecturaux, ces derniers temps. Universités monstrueuses au modernisme écrasant (une réminiscence, peut-être, de ma visite de celle de Bielefeld, il y a très longtemps et qui a l'air d'avoir pas mal changé depuis, si j'en crois les photos que j'ai été consulter pour vérifier si ça correspondait, peut-être était-ce le temps gris de ce jour-là mais cela m'avait semblé bien plus étouffants que ça ne l'est), centres commerciaux tentaculaires, aux escalators démesurés, arrière-lieux labyrinthiques, que ce soient caves, couloirs de service, galeries parcourues de tuyauteries et de câblages qu'on diraient conçues par un Ron Cobb sous amphétamines. J'erre là-dedans, en cherchant Dieu seul sait quoi. Ça m'a l'air important sur le moment, mais cet objectif de quête se dissipe avant même mon réveil. J'y croise des gens que je connais en vrai, d'autres que je ne connais qu'en rêve et qui me semblent des synthèses chimériqu

Nietzsche et les surhommes de papier

« Il y aura toujours des monstres. Mais je n'ai pas besoin d'en devenir un pour les combattre. » (Batman) Le premier des super-héros est, et reste, Superman. La coïncidence (intentionnelle ou non, c'est un autre débat) de nom en a fait dans l'esprit de beaucoup un avatar du Surhomme décrit par Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra . C'est devenu un lieu commun de faire de Superman l'incarnation de l' Übermensch , et c'est par là même un moyen facile de dénigrer le super-héros, de le renvoyer à une forme de l'imaginaire maladive et entachée par la mystique des Nazis, quand bien même Goebbels y voyait un Juif dont le S sur la poitrine signifiait le Dollar. Le super-héros devient, dans cette logique, un genre de fasciste en collants, un fantasme, une incarnation de la « volonté de puissance ».   Le surhomme comme héritier de l'Hercule de foire.   Ce n'est pas forcément toujours faux, mais c'est tout à fait réducteu

Le super-saiyan irlandais

Il y a déjà eu, je crois, des commentateurs pour rapprocher le début de la saga Dragonball d'un célèbre roman chinois, le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest ) source principale de la légende du roi des singes (ou du singe de pierre) (faudrait que les traducteurs du chinois se mettent d'accord, un de ces quatre). D'ailleurs, le héros des premiers Dragonball , Son Goku, tire son nom du singe présent dans le roman (en Jap, bien sûr, sinon c'est Sun Wu Kong) (et là, y aurait un parallèle à faire avec le « Roi Kong », mais c'est pas le propos du jour), et Toriyama, l'auteur du manga, ne s'est jamais caché de la référence (qu'il avait peut-être été piocher chez Tezuka, auteur en son temps d'une Légende de Songoku ).    Le roi des singes, encore en toute innocence. Mais l'histoire est connue : rapidement, le côté initiatique des aventures du jeune Son Goku disparaît, après l'apparition du premier dr