Une question que j'ai vu passer l'autre jour portait sur les clichés insupportables dans le premier chapitre des romans de Fantasy.
J'avais répondu quelque chose sur les grosses considérations historiques assénant sans recul ni point de vue intéressant les grandes lignes de l'univers et ses enjeux. Ça mérite peut-être un peu de développement.
Créer un univers (surtout un univers qui ne s'écroule pas trois jours plus tard, comme le rappelle l'ami Phil) est une tâche écrasante. Cela passe par l'accumulation de notes, et plus ce petit monde sera exotique, plus il y aura d'éléments à produire, du vocabulaire au calendrier, en passant par les chronologies, généalogies, géographies et autres mots en "ie". Bien évidemment, l'auteur aura envie de montrer à ses lecteurs son dur labeur.
Mais l'infliger d'un bloc, exiger de son lecteur qu'il apprenne en 5 ou 8 pages ce qu'on a mis parfois un ou deux ans à décanter, c'est peut-être un peu sec. Il existe bien des façons de distiller en douceur cette masse d'informations.
Une dont j'use et abuse, c'est le "candide", un personnage qui découvre au fur et à mesure un environnement nouveau pour lui. Quand il patauge, il lui faut décrire ce à quoi il est confronté, et l'un ou l'autre de ses compagnons, mieux aguerri, peut lui donner une explication opportune au détour d'un dialogue. Le lecteur voit le monde par le petit bout de la lorgnette, et s'identifie forcément au candide.
Un autre moyen pas incompatible avec le précédent, c'est le démarrage "in media res", une scène d'action dont certains éléments demeureront énigmatiques, et serviront à mettre le lecteur dans une forme d'expectative. Vous ne lui infligerez plus les explications, il en sera demandeur. Le risque de cette technique est bien évidemment de le paumer, mais tout est une question de dosage. Après tout, on lit de la fantasy (ou de la SF) aussi pour s'évader, et se perdre dans un lieu inconnu, si l'on n'y est pas en danger, est un plaisir en soi, et chaque découverte permettant de retrouver son chemin constitue alors une petite victoire. Arriver à donner au lecteur ce petit plaisir de prendre lui-même ses points de repères est assez chouette, et si vous le faites bien, il en redemandera.
Et je ne résiste pas à vous donner l'accroche de la toute première histoire de Conan, séparée du texte, qui ne cherche pas tant l'indication historico-géographique que le souffle épique, par Crom :
« Sache, ô Prince, qu’entre l’époque qui vit l’engloutissement de l’Atlantide et des villes étincelantes et celle de l’avènement des Fils d’Aryas, il y eut un Âge insoupçonné, au cours duquel des royaumes resplendissants s’étalaient à la surface du globe […]. Le plus illustre […] était l’Aquilonie, dont la suprématie était incontestée dans l’Occident rêveur. C’est en cette contrée que vint Conan, le Cimmérien – cheveux noirs, regard sombre, épée au poing, un voleur, un pillard, un tueur, aux accès de mélancolie tout aussi démesurés que ses joies – pour fouler de ses sandales les trônes constellés de joyaux de la Terre. »
J'avais répondu quelque chose sur les grosses considérations historiques assénant sans recul ni point de vue intéressant les grandes lignes de l'univers et ses enjeux. Ça mérite peut-être un peu de développement.
Créer un univers (surtout un univers qui ne s'écroule pas trois jours plus tard, comme le rappelle l'ami Phil) est une tâche écrasante. Cela passe par l'accumulation de notes, et plus ce petit monde sera exotique, plus il y aura d'éléments à produire, du vocabulaire au calendrier, en passant par les chronologies, généalogies, géographies et autres mots en "ie". Bien évidemment, l'auteur aura envie de montrer à ses lecteurs son dur labeur.
Mais l'infliger d'un bloc, exiger de son lecteur qu'il apprenne en 5 ou 8 pages ce qu'on a mis parfois un ou deux ans à décanter, c'est peut-être un peu sec. Il existe bien des façons de distiller en douceur cette masse d'informations.
Une dont j'use et abuse, c'est le "candide", un personnage qui découvre au fur et à mesure un environnement nouveau pour lui. Quand il patauge, il lui faut décrire ce à quoi il est confronté, et l'un ou l'autre de ses compagnons, mieux aguerri, peut lui donner une explication opportune au détour d'un dialogue. Le lecteur voit le monde par le petit bout de la lorgnette, et s'identifie forcément au candide.
Un autre moyen pas incompatible avec le précédent, c'est le démarrage "in media res", une scène d'action dont certains éléments demeureront énigmatiques, et serviront à mettre le lecteur dans une forme d'expectative. Vous ne lui infligerez plus les explications, il en sera demandeur. Le risque de cette technique est bien évidemment de le paumer, mais tout est une question de dosage. Après tout, on lit de la fantasy (ou de la SF) aussi pour s'évader, et se perdre dans un lieu inconnu, si l'on n'y est pas en danger, est un plaisir en soi, et chaque découverte permettant de retrouver son chemin constitue alors une petite victoire. Arriver à donner au lecteur ce petit plaisir de prendre lui-même ses points de repères est assez chouette, et si vous le faites bien, il en redemandera.
Bien entendu, rien de tout cela n'est prescriptif. Il existe plein de techniques pour lancer votre lecteur dans votre univers. Mais ces deux-là font partie des moyens éprouvés. Vous êtes là pour emmener le lecteur dans votre monde, pas pour lui faire subir un examen de naturalisation.
Après, présenter votre univers en quelques lignes n'a rien d'interdit. Mais faites le bien. J'aime beaucoup le tout début des Chroniques de Corum, par exemple, mais plutôt que de rentrer dans le détail, Moorcock essaie de nous plonger dans un temps mythique, dans un état d'esprit.
Et je ne résiste pas à vous donner l'accroche de la toute première histoire de Conan, séparée du texte, qui ne cherche pas tant l'indication historico-géographique que le souffle épique, par Crom :
« Sache, ô Prince, qu’entre l’époque qui vit l’engloutissement de l’Atlantide et des villes étincelantes et celle de l’avènement des Fils d’Aryas, il y eut un Âge insoupçonné, au cours duquel des royaumes resplendissants s’étalaient à la surface du globe […]. Le plus illustre […] était l’Aquilonie, dont la suprématie était incontestée dans l’Occident rêveur. C’est en cette contrée que vint Conan, le Cimmérien – cheveux noirs, regard sombre, épée au poing, un voleur, un pillard, un tueur, aux accès de mélancolie tout aussi démesurés que ses joies – pour fouler de ses sandales les trônes constellés de joyaux de la Terre. »
Commentaires
Dans "Malboire", je me suis un peu heurté au truc. Le personnage est entièrement un "candide" (pointé du doigt justement chez Joyeux Drille, d'ailleurs) mais le premier chapitre a posé problème à plusieurs lecteurs : trop abrupt, difficile de rentrer dedans etc. Après c'était volontaire, donc je le vis plutôt bien.
Le in media res suivi du chapitre 2 "explication" est bien près d'être devenu un cliché (j'analyse ça comme une contamination de l'écriture télévisuelle où le spectateur est censé avoir deux minutes d'attention).
Je trouve que c'est intimement lié à la question du point de vue. C'est pour ça d'ailleurs que l'extrait de Conan marche du tonnerre : narrateur intra-diégétique, qui en dit juste assez, etc... En trois lignes, emballé c'est pesé, la captatio benevolentiae.
Enfin bref, l'incipit c'est pas facile.
après, balancer un chapitre explicatif après le media res, c'est reculer pour mieux sauter, et ça ne règle que partiellement le souci.
mais c'est toute la difficulté de l'exercice, quand on crée un monde (difficulté à laquelle on se heurte tous) : comment le rendre familier au lecteur ?
il n'existe sans doute pas de solution parfaite, à charge pour nous de bricoler ce qui nous semblera le mieux à un moment donné…
C'est assez libérateur. Je pense que ça vient en partie de ma propre posture de lecteur/spectateur/auditeur : je n'ai aucun problème à ne pas comprendre, à être perdu. J'aime qu'on me fasse confiance pour raccrocher les wagons en cours de route, donc j'en use de la même sorte avec "le lecteur".
Après, ça me force à dire des trucs bizarres en salon, du genre "Si vous en chiez sur les premières pages, c'est normal, continuez." Mon éditeur te dira que ce n'est pas très vendeur...
je ne sais pas si j'y arrive tout à fait, mais en tout cas, c'est vers ça que je tends.