En fait, je pourrais continuer longtemps sur les trope de la fantasy et l'intérêt qu'il y a pour les auteurs, moi y compris, à les interroger et à les dépasser. Donc, je vais pas me gêner. Après avoir causé des prologues historico-didactiques et de l'élu, voilà qu'on va évoquer l'âge d'or. Sous diverses formes, l'idée d'une époque enfuie et lointaine, de haute magie et grand prestige, dont les protagonistes ne sont que les héritiers et descendants dégénérés ou spoliés, irrigue un peu toute la fantasy.
Lâche d'or
Elle trouve son origine dans les mythologies. L'Âge d'Or est une expression qui nous vient des Grecs, et qui désigne une période où le temps n'opérait pas son travail de sape sur le monde, et que dieux et humains pouvaient vivre en bonne entente. Depuis sa fin, le monde tombe toujours plus bas. On trouve une conception assez similaire dans la Bible avec l'Eden, la sortie du jardin correspondant à l'apparition de la mort et de la souffrance. Ensuite, la fin des temps antédiluviens voit une réduction drastique de l'espérance de vie et de l'intervention directe de Dieu sur Terre. Pratiquement toutes les autres cultures ont un équivalent in illo tempore de cette époque tout juste postérieure à la création, quand la magie irriguait le monde. Même les contes, avec leur "il était une fois", renvoient à une notion de ce genre, à un "avant" plus riche et plus vibrant.
En fantasy, c'est un truc qu'on trouve partout sous une forme ou une autre : la magie des
elfes qui s’étiole chez Tolkien, l’empire de Melniboné qui n’est plus
que l’ombre de lui-même dans Elric, la civilisation des Vadhaghs qui disparait dans Corum, le temps ancien où l'homme arpentait les étoiles dans Teur, etc. On trouve toujours de survivants d'un peuple ancien, supérieur et plus proche des dieux, le la nature ou de la magie, ou bien les tombeaux des anciens grands prêtres ou sorciers, recelant encore une partie de leur puissance. Rares sont les objets magiques créés dans le temps du récits, ils sont au contraire incommensurablement anciens, venant d'une époque où leur production était facile. Les arts, les langues pures, les secrets se sont perdus. Percer ces mystères et ramasser les reliques permet aux héros d'avancer dans leur quête, quand ils n'en sont pas tout simplement l'objet même.
En corollaire, il y a souvent (pas toujours, ceci dit) l'idée que le monde est en voie d'épuisement. Que seul un cataclysme cathartique, voire eschatologique, peut encore le sauver et le régénérer. Alors voilà une idée qui a une vraie force esthétique, et qui en termes de dramaturgie est d'une grande efficacité, mais…
Dans le monde réel, il suffit d'entendre les commentateurs qui se
pignolent sur les Trente Glorieuses, ou les royalistes sur l'Ancien
Régime pour comprendre qu'une même logique est à l'œuvre. Une partie du
Moyen-âge s'est vécue orpheline de la grandeur de Rome, et l'Empire
Romain de la République qui l'avait précédée. Mieux encore (ou pire), l'extrême droite des années 30 avait vécu les Congés Payés et autres avancées sociales comme une décadence, et a applaudi à l'effondrement de la Troisième République parce que le cataclysme permettait de redresser la nation et la morale de ses habitants (n'oublions jamais qu'une des racines de la Collaboration la plus enthousiaste était là, dans ce ressentiment). Dans tous les cas, le moment de la décadence finale est en cours et l'apocalypse à nos portes, comme toujours dans ces discours-là.
(petit schéma explicatif fait pour une conf, y a quelques années)
Bref, encore un cliché de la fantasy qui devient un peu inquiétant quand on l'applique au monde réel. Ça vaut donc le coup de l'interroger et de voir si on ne peut pas le retailler. Rien d'iconoclaste là-dedans, d'ailleurs : Lovecraft, Howard et leurs comparses de Weird Tales s'amusent déjà il y a près d'un siècle à la retourner. Le temps très ancien, chez eux, est certes une époque où les pouvoirs s'expriment plus librement, mais d'une façon maléfique ou inquiétante. C'est leur retour qui pourrait provoquer l'apocalypse.
Bref. Ce ne sont que quelques petites notes jetées à la volée puis mises en forme. Peut-être avez-vous une autre lecture de ce cliché. Peut-être l'avez-vous justement mis à votre sauce pour le réinventer. Ça m'intéresse d'avoir votre avis.
(et une fois encore, c'est un motif dont on peut trouver des traces dans mon travail, dans les Coracles et le Mitan, par exemple, mais justement, avec un traitement autre, en tentant de le faire évoluer)
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