Accéder au contenu principal

Celui-là est l'élu

On parlait l'autre jour des clichés dans l'heroic fantasy. C'est un vrai sujet, quasiment inépuisable. Ce genre, qui a disons un petit siècle (faisons-le débuter par Eddison ou Dunsany, par exemple) nous a déjà donné des classiques, s'est stratifié en sous-genres, a vu naître des imitateurs et imitateurs d'imitateurs, tout en se réinventant à intervalles plus ou moins réguliers.


(the Butler did it)
(même que c'était Charles Ernest)


Alors, il est toujours difficile de faire la part de ce qui constitue "les codes du genre" et de ce qui relève du banal cliché. La frontière est de toute façon mouvante et perméable. Tous ces clichés n'en étaient d'ailleurs pas forcément au départ, mais ils le sont devenus à l'usage. Certains sont bénins, d'autres orientent le sens des œuvre et du genre tout entier : la prophétie, le roi perdu, la perte de la tradition, etc.

L'un de ceux-ci, que je retrouve redoutable, est celui de l'élu, du sauveur désigné qu'il s'agit de retrouver pour qu'il mène les autres personnages à la victoire et au salut, ou bien protagoniste dont on découvre bientôt qu'il est le seul à pouvoir dénouer l'écheveau des intrigues parce que… parce que c'est l'élu.

Imaginer un personnage élu par essence, dès le départ et sans autre justification, ça a un côté calviniste qui me dérange un peu. Ou royaliste, quand la cause de son élection est le fait, par exemple, qu'il soit le tout dernier représentant de la lignée, seul à même de relever le pays. L'idée peut donner de belles œuvres, mais elle sent un peu son Stéphane Bern ou son Lorànt Deutsch. Tout cela procède d'une essentialisation pas toujours dénuée d'arrières pensées. Le fantasme de l'homme providentiel n'est jamais loin.

Mais n'allons pas nous méprendre. Qu'un personnage soit choisi par une instance quelconque ne me pose pas de souci en soi. Qu'il faille un leader dans l'une ou l'autre situation de crise, pourquoi pas ? Que la nature même de la forme romanesque conduise à mettre en avant un personnage plutôt qu'un autre, ça fait partie de la boite à outils des auteurs (boite à outils que les auteurs ont le devoir d'interroger de temps en temps, d'ailleurs) Qu'il relève de la responsabilité d'un conseil, d'une divinité ou d'un grand prêtre de choisir, un personnage pour lui confier la couronne, l'anneau, la hache sacrée ou le navire de l'autre-monde, c'est un élément de récit comme un autre.

Mais ça vaut le coup d'essayer d'en faire quelque chose, dans ce cas, qui aille un peu au-delà du "c'est l'élu parce que c'est l'élu". D'autant que, dans les formes les plus clichés, l'élu est parfois au départ con, tocard, lamentable, mais sa nature profonde d'élu se révèle à lui même et aux autres au fil du récit et… Ronffflz… oui, moi aussi je trouve ça soporifique à force d'avoir été revu.

C'est d'ailleurs un peu ce cliché-là que j'essaie de torpiller dans les Trois Coracles. En me confrontant à la geste arthurienne, complètement fondée sur une notion de ce genre, il fallait que je m'y confronte : la légitimité d'Arthur vient de son père, qu'il n'a pourtant pas connu, et… d'où vient la légitimité du père ?

Ma réponse, c'est que si ma version d'Uther est "choisie", c'est plus suite à un concours de circonstances qu'autre chose. On sent que le Barde Noir connait et observe Uther, peut-être depuis un certain temps, mais le choix final se fait à l'occasion d'une bataille, au cours de laquelle le personnage révèle sa personnalité, sa bravoure tempérée de prudence, et son sens de la noblesse. D'autres circonstances auraient pu faire émerger un autre candidat. Et à partir du moment où il se trouve nanti de l'épée, symbole de son élection, tout s'emballe : ses compagnons ne le remettent plus en question, et même son frère craint ce statut particulier, dont il refuse explicitement d'hériter. La mécanique est dès lors lancée, et le prochain porteur, Arthur, que j'ai pris soin de ne pas nommer dans le roman, sera choisi pour son ascendance et non plus pour ses mérites personnels.

Après, oui, c'est forcément Uther l'élu puisque c'était une donnée de la légende que j'adaptais. Mais ce n'était pas une raison pour en faire "l'élu" avec des trompettes, de la lumière magnifique qui passe entre les nuages, des flonflons et tout l'attirail cistercien de l'élection divine à auréoles et colombes en option. Mon Uther se voit refiler une responsabilité intenable, il patauge dans la gadoue, fait des erreurs et en subit les conséquences. Abandonner ce truc qui lui pèse sur les épaules est pour lui un soulagement.

Bref, c'est un exemple, pas forcément le meilleur (mais je préfère parler de ce que je connais le mieux) de ce qu'on peut faire en interrogeant le cliché.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La fille-araignée

Tiens, ça fait une paye que j'avais pas balancé une nouvelle inédite... Voilà un truc que j'ai écrit y a 6 mois de ça, suite à une espèce de cauchemar fiévreux. J'en ai conservé certaines ambiances, j'en ai bouché les trous, j'ai lié la sauce. Et donc, la voilà... (et à ce propos, dites-moi si ça vous dirait que je fasse des mini-éditions de certains de ces textes, je me tâte là-dessus) Elle m’est tombée dessus dans un couloir sombre de la maison abandonnée. Il s’agissait d’une vieille villa de maître, au milieu d’un parc retourné à l’état sauvage, jouxtant le canal. Nul n’y avait plus vécu depuis des décennies et elle m’avait tapé dans l’œil un jour que je promenais après le travail, un chantier que j’avais accepté pour le vieil épicier du coin. J’en avais pour quelques semaines et j’en avais profité pour visiter les alentours. Après avoir regardé autour de moi si personne ne m'observait, je m’étais glissé dans une section effondrée du mur d’enceinte, j’...

Au ban de la société

 Tiens, je sais pas pourquoi (peut-être un trop plein de lectures faites pour le boulot, sur des textes ardus, avec prise de note) j'ai remis le nez dans les Justice Society of America de Geoff Johns, période Black Reign . J'avais sans doute besoin d'un fix de super-héros classique, avec plein de persos et de pouvoirs dans tous les sens, de gros enjeux, etc. Et pour ça, y a pas à dire JSA ça fait très bien le job. La JSA, c'est un peu la grand-mère des groupes super-héroïques, fondée dans les années 40, puis réactivée dans les années 60 avec les histoires JLA/JSA su multivers. C'étaient les vieux héros patrimoniaux, une époque un peu plus simple et innocente. Dans les années 80, on leur avait donné une descendance avec la série Infinity Inc . et dans les années 90, on les avait réintégrés au prix de bricolages divers à la continuité principale de DC Comics, via la série The Golden Age , de James Robinson et Paul Smith, qui interprétait la fin de cette époque en la...

La fin du moooonde après la fin de l'année

 Ah, tiens, voilà qu'on annonce pour l'année prochaine une autre réédition, après mon Cosmonautes : C'est une version un peu augmentée et au format poche de mon essai publié à l'occasion de la précédente fin du monde, pas celle de 2020 mais celle de 2012. Je vous tiens au courant dès que les choses se précisent. Et la couve est, comme de juste, de Melchior Ascaride.

Perte en ligne

 L'autre soir, je me suis revu Jurassic Park parce que le Club de l'Etoile organisait une projo avec des commentaires de Nicolas Allard qui sortait un chouette bouquin sur le sujet. Bon outil de promo, j'avais fait exactement la même avec mon L'ancelot y a quelques années. Jurassic Park , c'est un film que j'aime vraiment bien. Chouette casting, révolution dans les effets, les dinos sont cools, y a du fond derrière (voir la vidéo de Bolchegeek sur le sujet, c'est une masterclass), du coup je le revois de temps en temps, la dernière fois c'était avec ma petite dernière qui l'avait jamais vu, alors qu'on voulait se faire une soirée chouette. Elle avait aimé Indiana Jones , je lui ai vendu le truc comme ça : "c'est le mec qui a fait les Indiana Jones qui fait un nouveau film d'aventures, mais cette fois, en plus, y a des dinos. Comment peut-on faire plus cool que ça ?" Par contre, les suites, je les ai pas revues tant que ça. L...

Matin et brouillard

On sent qu'on s'enfonce dans l'automne. C'est la troisième matinée en quelques jours où le fleuve est couvert d'une brume épaisse qui rend invisible le rideau d'arbres de l'autre côté, et fantomatique tout ce qui est tapi sur les quais : voiture, bancs, panneaux. Tout a un contraste bizarre, même la surface de l'eau, entre gris foncé et blanc laiteux, alors qu'elle est marronnasse depuis les inondations en aval, le mois dernier. Une grosse barge vient de passer, j'entends encore vaguement dans le lointain son énorme moteur diesel. Son sillage est magnifique, dans cette lumière étrange, des lignes d'ondulations obliques venant s'écraser, puis rebondir sur le bord, les creux bien sombre, les crêtes presque lumineuses. Elles rebondissent, se croisent avec celles qui arrivent, et le jeu de l'interférence commence. Certaines disparaissent d'un coup, d'autres se démultiplient en vaguelettes plus petites, mais conservant leur orienta...

Au nom du père

 Tout dernièrement, j'ai eu des conversations sur la manière de créer des personnages. Quand on écrit, il n'y a dans ce domaine comme dans d'autre aucune règle absolue. Certains personnages naissent des nécessité structurelle du récit, et il faut alors travailler à leur faire dépasser leur fonction, d'autres naissent naturellement d'une logique de genre ou de contexte, certains sont créés patiemment et se développent de façon organique et d'autres naissent d'un coup dans la tête de leur auteur telle Athéna sortant armée de celle de Zeus. Le Père Guichardin, dans les Exilés de la plaine , est un autre genre d'animal. Lui, c'est un exilé à plus d'un titre. Il existe depuis un sacré bail, depuis bien avant le début de ma carrière d'auteur professionnel. Il est né dans une nouvelle (inédite, mais je la retravaillerai à l'occasion) écrite il y a plus d'un quart de siècle, à un moment où je tentais des expériences d'écriture. En ce temp...

IA, IA, Fhtagn

 En ce moment, je bosse entre autres sur des traductions de vieux trucs pulps apparemment inédits sous nos latitudes. C'est un peu un bordel parce qu'on travaille à partir de PDFs montés à partir de scans, et que vu le papier sur lequel étaient imprimés ces machins, c'est parfois pas clean-clean. Les illustrateurs n'avaient  vraiment peur de rien Par chance, les sites d'archives où je vais récupérer ce matos (bonne nouvelle d'ailleurs archive.org qui est mon pourvoyeur habituel en vieilleries de ce genre, semble s'être remis de la récente attaque informatique qui avait failli m'en coller une. d'attaque, je veux dire) ont parfois une version texte faite à partir d'un OCR, d'une reconnaissance de caractère. Ça aide vachement. On s'use vachement moins les yeux. Sauf que... Ben comme c'est de l'OCR en batch non relu, que le document de base est mal contrasté et avec des typos bien empâtées et un papier qui a bien bu l'encre, le t...

Sorties

Hop, vite fait, mes prochaines sorties et dédicaces : Ce week-end, le 9 novembre, je suis comme tous les ans au Campus Miskatonic de Verdun, pour y signer toute mon imposante production lovecraftienne et sans doute d'autres bouquins en prime.   Dimanche 1er décembre, je serai au Salon des Ouvrages sur la BD à la Halle des blancs manteaux à Paris, avec mes vieux complices des éditions La Cafetière. Je participerai également à un Congrès sur Lovecraft et les sciences, 5 et 6 décembre à Poitiers.

Et merde...

J'avais une idée d'illus sympa, un petit détournement pour mettre ici et illustrer une vacherie sur notre Leader Minimo, histoire de tromper l'ennui que distille cette situation pré insurrectionnelle pataude et molle du chibre dans laquelle tente péniblement de se vautrer l'actualité. Et donc, comme de juste en pareil cas, je m'en étais remis à gougueule pour trouver la base de mon détournement. Le truc fastoche, un peu potache, vite fait en prenant mon café. Sauf que gougueule est impitoyable et m'a mis sous le nez les oeuvres d'au moins deux type qui avaient exactement eu la même idée que moi. Les salauds. Notez que ça valide mon idée, d'une certaine façon. Mais quand même. C'est désobligeant. Ils auraient pu m'attendre. C'est un de ces cas que mon estimable et estimé collègue, le mystérieux J.W., appelle "plagiat par anticipation". Bon, c'est plutôt pas mal fait, hein. Mais ça m'agace.

Deux-ception

 C'est complètement bizarre. Je rêve de façon récurrente d'un festival de BD qui a lieu dans une ville qui n'existe pas. L'endroit où je signe est dans un chapiteau, sur les hauteurs de la ville (un peu comme la Bulle New York à Angoulème) mais entre cet endroit et la gare routière en contrebas par laquelle j'arrive, il y a un éperon rocheux avec des restes de forteresse médiévale, ça redescend ensuite en pente assez raide, pas toujours construite, jusqu'à une cuvette où il y a les restaus, bars et hôtels où j'ai mes habitudes. L'hôtel de luxe est vraiment foutu comme ça sauf que la rue sur la droite est en très forte pente Hormis l'avenue sur laquelle donne l'hôtel de luxe (où je vais boire des coups dans jamais y loger, même en rêve je suis un loser), tout le reste du quartier c'est de la ruelle. La géographie des lieues est persistante d'un rêve à l'autre, je sais naviguer dans ce quartier. Là, cette nuit, la particularité c'ét...