Accéder au contenu principal

Prophète de Mahler

Est-ce qu'on se refait un petit topo sur un trope moisi de la fantasy et SF ? Allez ! Aujourd'hui, la prophétie, rien que ça, en mode oracle, ô désespoir.


Petite sœur des histoires d'élus, la prophétie est un motif déjà très utilisé dès l'antiquité. Avec d'autant plus de facilité que des prophètes professionnels et amateurs y sévissaient un peu partout. Les Romains consultaient l'oracle pour un oui ou pour un non (sans hésiter d'ailleurs à demander un second avis le cas échéant) et toute l'histoire d'Oedipe est basée sur une prophétie qui a mal tourné.

Il y a d'ailleurs à l'époque trois sortes de prophéties :

- L'oracle sibyllin, généralement imbitable ou codé, dans lequel tout un chacun peut trouver ce qu'il veut. La vitalité du secteur "décryptage de Nostradamus" montre la plasticité et la puissance d'une prophétie bien tournée.

- La prophétie ouverte, qui suppose un choix de la part du receveur, c'est celle qui concerne Achille ou Cuchulainn, avec la possibilité de mourir jeune et glorieux ou vieux et anonyme. Qu'on parle encore de ces deux brutasses indique d'ailleurs quelle fut leur décision.

- La prophétie fermée, qui contraint tout le reste du récit. Là, c'est Oedipe qui l'accomplit quand tout le monde a mis les moyens pour l'en empêcher, l'enfermant toujours plus dans ce que Cocteau qualifiait à juste titre de "Machine Infernale".

Dramatiquement, la prophétie fermée permet de tirer tout le sel de la tragédie au sens le plus noble. L'arrêté du destin est irrévocable et nul ne peut lui échapper. Elle permet aussi pour un auteur de mettre directement en place son histoire d'élu. Au point que ça devienne vite une paresse scénaristique. Comme plein de baguettes magiques d'écriture, elle n'est intéressante qu'à condition de pourrir le truc.

Parce que dramatiquement "d'après la prophétie, celui-ci est l'élu - mais je ne veux pas - mais je m'en prends plein la tête - finalement je sauve le monde", c'est quand même d'un ennui mortel. Soit la prophétie doit être appliquée à la lettre avec des résultats atroces (Oedipe) soit les tours et détours de son accomplissement doivent parvenir à surprendre.

Et là, j'appelle Anakin à la barre. Dans les six épisodes d'origine de Star Wars, il est annoncé comme une sorte d'élu de la prophétie, mais il se comporte en tout à l'inverse de ce qui était attendu, dézinguant tous ceux qui comptaient sur lui après avoir piétiné leurs valeurs. Ce n'est qu'une fois le massacre perpétré qu'il redresse la barre et se sacrifie pour permettre un rééquilibrage en forme de remise à zéro. Notons que l'idée se retrouve déjà dès l'épopée de Gilgamesh : la décision des dieux d'humilier une bonne fois le grand roi est connue dès le départ, mais il faut des décennies et des exploits de dingues n'ajoutant qu'à son orgueil avant qu'il n'apprenne l'humilité par des moyens détournés.


Autre exemple, le cycle de Dune dans lequel la prophétie faisant de Paul le messie des Fremen est fausse (c'est un dispositif de sécurité délibérément implanté, permettant à des fugitifs d'être accueillis en sauveurs en cas de besoin) et les pouvoirs prophétiques de Muad'dib sont une atroce malédiction. Il voit à l'avance des choses qu'il ne pourra pas empêcher, et qui finissent par faire de lui un monstre, et son fils choisit de devenir un monstre pour pouvoir modifier le cours de l'avenir.

La psycho-histoire de Hari Seldon, dans Fondation* est carrément l'exemple de prophétie (d'un genre particulier, certes) qui déraille à pleins tubes. La logique du grain de sable a toujours été l'une des plus fructueuses en termes créatifs.

Bref, c'est comme tout, ce n'est pas le principe de la prophétie qui est mauvais, c'est de s'en servir comme d'une béquille pour soutenir une histoire convenue. Et elle a vite fait de polluer le récit : une prophétie qui ne se réalise pas, dans un univers de fantasy, demande explication (alors que dans le monde réel, Christophe Barbier et Jean-Michel Blanquer nous font le coup quasi tous les jours) sinon, le lecteur y voit une faiblesse. Et si elle se réalise sans surprise, le récit ne sera pas mémorable.

Bref… Je prédis que je ne serai pas forcément écouté, mais ça, c'est un autre cliché encore…




*Vu le trailer ce matin, c'est peut-être ça qui m'a poussé à publier ce truc auquel je réfléchis depuis quelques jours. on est opportuniste ou on ne l'est pas.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Medium

 Un truc que je fais de temps en temps, c'est de la médiation culturelle. Ce n'est pas mon métier, mais je connais suffisamment bien un certain nombre de sujets pour qu'on fasse appel à moi, parfois, pour accompagner des groupes scolaires dans des expos, des trucs comme ça. Là, on m'a appelé un peu à l'arrache pour accompagner une animation interactive sur les mangas, et notamment les mangas de sport, avec des groupes de centres de loisirs. Bon, c'est pas ma discipline de prédilection, j'ai révisé un peu vite fait. Le truc, c'est qu'on m'en a causé la semaine passée. La personne qui devait s'en charger était pas trop sur d'elle. La mairie du coin (dans une banlieue un poil sensible) voyait pas le truc bien s'emmancher, la patronne d'une asso où je donne des cours l'a su, a balancé mon nom, m'a prévenu... Et c'en était resté là. Je restais à dispo au cas où. On m'a rappelé ce matin "bon, on va avoir besoin de t...

Le grand livre des songes

 Encore un rêve où je passais voir un de mes éditeurs. Et bien sûr, celui que j'allais voir n'existe pas à l'état de veille, on sent dans la disposition des locaux, dans les gens présents, dans le type de bouquins un mix de six ou sept maisons avec lesquelles j'ai pu travailler à des titres divers (et même un peu d'une agence de presse où j'avais bossé du temps de ma jeunesse folle). Et, bien sûr, je ne repars pas sans que des gars bossant là-bas ne me filent une poignée de bouquins à emporter. Y avait des comics de Green Lantern, un roman, un truc sur Nightwing, un roman graphique à l'ambiance bizarre mettant en parallèle diverses guerres. Je repars, je m'aperçois que j'ai oublié de demander une nouveauté qui m'intéressait particulièrement, un autre roman graphique. Ça vient de fermer, mais la porte principale n'a pas encore été verrouillée. Je passe la tête, j'appelle. J'ai ma lourde pile de bouquins sous le bras. Clic. C'était ...

Beware the blob

La perversion alimentaire prend parfois des allures d'apostolat suicidaire. Que ce soit en termes de picole ou de bouffe, il m'arrive de taper dans le bizarre et de tenter des expériences qui tétaniseraient d'effroi une créature lovecraftienne. Comme on a les amis qu'on mérite, et que j'ai dû commettre des ignominies sans nom dans une vie antérieure, certain de mes amis, camarades et autres proches ont aussi leur bouffées culinaro-délirantes. C'est ainsi que certain libraire sévissant dans une grande enseigne vendant de la culture neuve et d'occasion dans le quartier étudiant de Paris m'a initié à toutes sortes de pickles qui arrachent la gueule et à des boissons polonaises que même les Polonaises évitent de prendre au petit déjeuner. C'est aussi ce douteux personnage (ou un ami commun exilé, je ne sais plus, il y a des traumas que l'esprit humain tente miséricordieusement de brouiller) qui m'avait fait découvrir la pâte à tartiner au spe...

The road to the War Zone

Il m'arrive parfois de mettre le nez sur la provenance gougueule de mes lecteurs : le système de ce blog me permet en effet de savoir quelles requêtes gougueule ont amené ici les gens qui ne me connaissaient pas (parce que les gens qui me connaissent ont depuis longtemps l'adresse de la War Zone, vous vous en doutez*). Et à chaque fois, je suis surpris, et souvent atterré. Que "Alex Nikolavitch" ou "War Zone" (mais parfois, visiblement, il s'agit de gens cherchant des infos sur la suite d'un jeu vidéo, je crois) ou Crusades caracolent en tête des requête, c'est un peu normal. Fulchibar aussi (si vous ne savez pas ce qu'est le fulchibar, ne vous en faites pas, nous non plus, mais c'est justement à ça que tient le concept) (et puis le fulchibar, ça ne s'explique pas. ça se vit). Les noms de personnalités évoquées dans ces pages servent aussi de point d'entrée, comme Vlad Drakul, Frédéric Lefebvre, Makhno, Tesla ou Crowley. C'est...

Tombent les renards en feu

Ça faisait des années que j'utilisais et que je défendais Firefox, ce navigateur internet qui est le très lointain héritier de l'antédiluvien Netscape. L'outil était puissant, rapide, efficace, des lieux devant l'immonde Explorer. Mais depuis les mises à jour de cet été, tout déconne. Gestion du Java complètement aléatoire, persistances d'affichage anormales, perte de la prise en compte de balises HTML pourtant classiques... Et à chaque nouvelle mise à jour, je me prends à espérer que ces problèmes seront réglés, et à chaque nouvelle mise à jour, c'est pire. Tout se passe comme si la Mozilla Corporation, éditeur du logiciel, était devenue Microsoft de la grande époque. Firefox 6.0 sur Mac, c'est un merdier total. Et la version 5, sortie deux mois plus tôt, déconnait déjà dans les grandes largeurs. J'envisage très sérieusement de passer à un autre navigateur. Je n'aime pas ça : j'ai mes habitudes, mes paramétrages, mes kilos de signets, et il v...

Trop de la Bal

 Bon, parmi les petits plaisirs angoumoisins, hormis les moments passés avec des amis et amies qu'on voit trop peu, hormis les bouteilles, hormis les expos d'originaux, il y a aussi fouiller dans les bacs. C'est ainsi que j'ai mis la main à vil prix sur un Savage Sword of Conan dans la collection Hachette. Je dois avoir dix ou douze de ces bouquins réimprimant au départ les aventures des années 70, publiées à l'époque en noir et blanc et en magazine, du célèbre Cimmérien de Robert E. Howard, souvent pris pour lire dans le train, quand j'en chopais un à la gare. Autant dire que ma collection est salement dépareillée. Mais comme ce sont à chaque fois des récits complets, ça n'a guère d'importance. En fait, c'est typiquement la série dans laquelle vous pouvez taper au pif sans trop de risque de déception.      Celui-ci, le n°5, je m'en voulais de l'avoir raté et je n'avais pas réussi à remettre la main dessus par la suite. Graphiquement y a...

L'éternel retour

 Bon, c'est l"heure de notre traditionnelle minute d'expression gueuledeboitesque de fin janvier début février. Mon ressenti (page de Marvano à l'expo SF) (c'est toujours un moment fort de voir les originaux de pages tellement frappantes qu'elles se sont gravées à vie dans votre tête) Jeudi : Je n'avais pas prévu d'arriver le jeudi, au départ. Après cinq mois de boulot ultra-intense, déjà à genoux avant même le festival, je me disais qu'une édition plus ramassée à mon niveau serait plus appropriée. Divers événements en amont m'amènent à avancer largement mon arrivée. Il y a une réunion de calage sur un projet qui doit se faire là-bas, plutôt en début de festival. Dont acte. Ça m'amène à prendre les billets un peu au dernier moment, de prendre les billets qui restent en fonction du tarif aussi, donc là j'ai un changement, ça cavale, et je suis en décalé, ça aura son importance. Quand j'avais commencé à préparer mon planning, j'ava...

à Angoulème en dédicaces

Le festival d'Angoulème approche, c'est pour la fin du mois. Il faut commencer à s'organiser. Alors si vous avez un agenda,  notez donc ça : En plus de mes passages au stand des éditions La Cafetière, bulle New York, je serai en dédicaces sur l'espace Champ de Mars au stand du MOTIF. Vendredi 27 de 17 à 19 heures Samedi 28 de 14 à 16 heures Dimanche 29 de 12 à 14 heures Venez nombreux !

Space jesuit ecolo on the run !

Dans mon rêve de cette nuit, j'étais un Jésuite de l'espace chargé d'étudier l'écologie d'une planète nouvellement découverte. Sauf que des colons avaient accidentellement introduit des espèces terriennes et étaient en train de bousiller l'écosystème, du coup. Au camp de base numéro 4, je me souviens distinctement avoir expliqué à un cosmonaute "les charmes et les lapins se sont magnifiquement adaptés, hélas". Le tout dans un décor insolite et grandiose de forêt extraterrestre dont des morceaux commençaient de plus en plus à ressembler au bois de Meudon, me demandez pas pourquoi. Le truc, c'est qu'en me réveillant, il me semble que cette histoire de jésuite écolo n'est pas qu'une production enfiévrée de mon esprit malade. Il me semble avoir lu un roman de SF dans le genre. J'ai de bons souvenirs du Cas de Conscience de James Blish, du père Carmody créé par P.J. Farmer,et il y a des jésuites dans Hypérion de Dan Simmons. Je précis...

Crusades, c'est maintenant !

Si la date de sortie officielle est demain (si j'ai tout bien compris), il semblerait que des libraires l'aient déjà reçu. Des lecteurs m'ont d'ores et déjà signalé avoir réussi à se procurer l'album. Cool. Donc vous savez ce qui vous reste à faire, demain, des l'aube, à l'heure ou blanchit la campagne : foncez chez votre dealer de BD, tambourinez à la porte, et ne repartez que dûment muni de votre exemplaire de Crusades tome 1, le Spectre aux Yeux d'Argents, toujours par Izu, Nikolavitch et Zhang Xiaoyu.