Accéder au contenu principal

Moi mon Colomb, celle que je préfère…

Intéressant de voir les controverses de la semaine autour, notamment, de la décapitation d'une statue de Christophe Colomb. Les mêmes qui s'insurgent n'avaient pas fait montre de la même indignation quand avaient été abattues les statues de Saddam, il n'y a pas si longtemps.

De quoi se plaignent-ils ?
Maintenant, ça leur fait une statue d'Ann Boleyn
pour le même prix


Non que je me fasse l'avocat du démontage des statues, je note que c'est chez le très conservateur Carlyle qu'on propose d'abattre les statues "ces horribles solécismes de bronze" pour en faire des baignoires, et que souvent dans l'histoire il est arrivé qu'on fonde les statues pour en faire des canons. Les mêmes qui se seraient insurgés de l'abattage par Courbet de la colonne Vendôme ont été mettre des coups de canif à une installation artistique au pied de celle-ci, et censurent à l'occasion sa peinture à lui. Dans une époque aussi compliquée que la nôtre, la cohérence intellectuelle devient une denrée rare (et je ne parle même pas de ce pauvre philosophe médiatique qui, après avoir fait sa carrière sur la destruction des idoles, s'insurge à son tour qu'on le prenne au mot).

Notons au passage que statufier un homme, quels que soient ses mérites ou l'absence d'iceux, c'est généralement en détruire l'apport réel, l'individualité, l'histoire, pour le réduire à une image facile et consensuelle.

Bref, Colomb avait comme tant d'autre été statufié, et voici qu'on s'en prend à son image. Il y a à cela des raisons historiques, notamment son comportement anticipant sur celui de Leopold II de Belgique (dont les statues aussi subissent en ce moment la vindicte) quand il lui a fallu apprendre la valeur travail à des gens qui n'en avaient pas eu besoin jusqu'alors, et l'amour de Dieu aux mêmes, à grands coups de Schlague pour que ça rentre bien, mais il faut contextualiser, c'était la mode de l'époque.

Mais faut-il déboulonner le visionnaire pour punir le souvenir du massacreur avide d'or ? Bonne question, dommage que le bac Philo soit… Y a eu un Bac Philo, cette année, finalement ? J'ai pas suivi. Le feuilleton Blanquer me donnait le tournis. Bref. Donc, Colomb le visionnaire.

Ce qui me permet vite fait de revenir sur un petit mystère historique qui me travaille depuis bien longtemps, et que j'évoquais il y a quelques années dans un de mes bouquins : jusqu'à quel point Colomb croyait-il à a son projet, et surtout à ses chiffres ?
--

Colomb, par ailleurs, va poser une nouvelle figure, celle du visionnaire, du fou génial. Figure qu’il usurpe très probablement d’ailleurs : on sait que Colomb a essuyé une rebuffade à l’université de Salamanque chargée de déterminer si son projet était sérieux, mais pas pour les raisons que l’on croit généralement. Si les doctes savants de Salamanque ont considéré Colomb comme un farfelu, ce n’est pas parce qu’ils croyaient que la Terre était plate, mais parce qu’ils disposaient de meilleurs chiffres que lui. Ils connaissaient apparemment les calculs d’Ératosthène (276-194 avant notre ère) qui, à l’aide d’ombres, avait réussi à mesurer de façon relativement exacte, à 700 kilomètres près, la circonférence terrestre*, ou ceux de Ptolémée, qui donnaient approximativement 33 000 kilomètres. Se fondant sur une interprétation très optimiste de calculs plus récents, ceux du géographe Martin Behaim (1459-1507, réputé avoir construit le premier globe terrestre), Colomb propose une terre beaucoup plus petite, de 19 000 kilomètres de circonférence, sur laquelle le Japon n’est qu’à 4 000 kilomètres des côtes d’Espagne ! C’est une valeur que les vieilles barbes de Salamanque ne peuvent accepter, et à raison. Colomb croyait-il à ses chiffres ou les minimisait-il pour convaincre la couronne de se lancer dans une expédition ? Était-il un fou furieux ou un escroc de génie ? Difficile à dire, plus d’un demi-millénaire après. Mais toujours est-il qu’il avait tort sur le fond, et qu’il resta longtemps persuadé d’être arrivé en Asie. C’est d’ailleurs pour cela que les indigènes du Nouveau-Monde portent encore à ce jour le nom d’Indiens.


*Circonférence qui, dans le système métrique, est par définition de 40 000 kilomètres, puisque le mètre est défini comme la dix-millionième partie d’une moitié du méridien. Alors que le stade, la mesure employée par Ératosthène, est fonction de la pointure du dieu Hercule, dont on n’a pas retrouvé le cordonnier, ce qui la rend un poil moins précise dès qu’il s’agit de se livrer à des calculs scientifiques.


-extrait de Cosmonautes ! éditions Les Moutons électriques, page 16

Commentaires

Tonton Rag a dit…
Tu soulèves le problème de la cohérence ... Je crois que les américains devraient renommer leur capitale, Georges Washington était un esclavagiste.
Alex Nikolavitch a dit…
J'ai pas d'opinion là-dessus, mais ce serait pas la première fois qu'on renomme des villes…

Lutèce, Stalingrad, etc…
Tonton Rag a dit…
Je ne dis pas qu'il faut renommer leur capitale, je dis que s'ils veulent rester cohérent, ils devraient le faire.
Alex Nikolavitch a dit…
J'ai appris dernièrement que le Swaziland a été renommé y a deux ans, tiens (il a repris son nom d'avant la colonisation, Eswatini). Moi qui ai tendance à encore dire Birmanie, Ceylan ou Macédoine, me v'la frais.
Tonton Rag a dit…
Test d'actualité pour Alex : tonton Rag habite en
a) Gaule chevelue
b) Austrasie
c) Lotharingie
d) Lorraine
e) Région Grand Est
f) Garystan
Alex Nikolavitch a dit…
de base, tout lieu où tu traines longuement de la semelle devient un Garystan.

je ne reconnais pas la "région Grand Est" parce que là, ils se sont vraiment pas pété une clavicule pour la trouver, ils auraient quand même pu faire un effort.

ça a fait partie de l'Austrasie, de mémoire, et bien entendu de la Lotharingie.

Posts les plus consultés de ce blog

Bonneteau sémantique

Bon, même si j'ai pas vraiment d'éditeur en ce moment, pour les raisons que vous savez (si vous êtes éditeur et que je vous ai pas encore embêté en vous envoyant mes trucs, manifestez-vous), je continue à écrire.   Avec le temps, j'en ai déjà causé, je suis devenu de plus en plus "jardinier", en ce sens que quand je commence à écrire, je n'ai plus qu'un plan très succinct, indiquant juste la direction du récit et ses grosses balises et je me laisse porter par les situations et les personnages. Bon, une des raisons, c'est que quand je faisais des plans détaillés, j'en foutais la moitié au panier en cours de route. Une autre, c'est que je me fais plus confiance, à force. Là où j'ai changé mon fusil d'épaule, c'est que le truc sur lequel je bosse en ce moment est un roman d'anticipation (développant l'univers posé dans quelques unes de mes nouvelles, on retrouve d'ailleurs un personnage) et pas de fantasy. Mon plan se rédui...

La pataphysique, science ultime

 Bon, c'est l'été. Un peu claqué pour trop mettre à jour ce blog, mais si j'en aurais un peu plus le temps que les mois précédents, mais là, justement, je souffle un peu (enfin presque, y a encore des petites urgences qui popent ici et là, mais j'y consacre pas plus de deux heures par jour, le reste c'est me remettre à écrire, bouger, faire mon ménage, etc.) Bref, je me suis dit que j'allais fouiller dans les étagères surchargées voir s'il y avait pas des trucs sympas que vous auriez peut-être loupés. Ici, un papier d'il y a déjà huit ans sur... la pataphysique.     Le geek, et plus encore son frère le nerd, a parfois une affinité avec la technologie, et assez souvent avec les sciences. Le personnage du nerd fort en science (alors que le « jock », son ennemi héréditaire, est fort en sport) est depuis longtemps un habitué de nos productions pop-culturelles préférées. Et, tout comme l’obsession du geek face à ses univers préféré, la démarche de la science ...

Boy-scouts go home !

 Bon, je suis plus débordé que je ne l'aurais cru en cette période. Du coup, une autre rediff, un article datant d'il y a cinq ans. Au moment où Superman se retrouve à faire équipe avec Guy Gardner à l'écran, c'est peut-être le moment de ressorti celui-ci. Les super-héros sont des gentils propres sur eux affrontant des méchants ridicules, avec une dialectique générale qui est, selon le cas, celle du match de catch ou de la cour de récré. C’est en tout cas l’image qu’en a une large partie du grand public. Certains, notamment Superman, correspondent assez à ce cliché. D’autres héros s’avèrent moins lisses, et contre toute attente, ça ne date pas d’hier : aux origines des super-héros, dans les années 1930-40, on est même très loin de cette image de boy-scouts. Les héros de pulps, ancêtres directs des super-héros, boivent et courent la gueuse comme Conan, massacrent à tour de bras, comme le Shadow ou lavent le cerveau de leurs adversaires comme Doc Savage. Superman, tel que...

Fils de...

Une petite note sur une de ces questions de mythologie qui me travaillent parfois. Je ne sais pas si je vais éclairer le sujet ou encore plus l'embrouiller, vous me direz. Mon sujet du jour, c'est Loki.  Loki, c'est canoniquement (si l'on peut dire vu la complexité des sources) le fils de Laufey. Et, mine de rien, c'est un truc à creuser. Chez Marvel, Laufey est représenté comme un Jotun, un géant. Et, dans la mythologie nordique, le père de Loki est bien un géant. Sauf que... Sauf que le père de Loki, en vrai, c'est un certain Farbauti, en effet géant de son état. Un Jotun, un des terribles géants du gel. Et, dans la poésie scaldique la plus ancienne, le dieu de la malice est généralement appelé fils de Farbauti. Laufey, c'est sa mère. Et, dans des textes un peu plus tardifs comme les Eddas, il est plus souvent appelé fils de Laufey. Alors, pourquoi ? En vrai, je n'en sais rien. Cette notule n'est qu'un moyen de réfléchir à haute voix, ou plutôt...

Rebooteux

 Bon, on a profité de l'été pour se faire des sorties cinés avec la tribu Lavitch. Et comme il y a un tropisme comics par ici, ça a été Superman et Fantastic Four.     Pas grand-chose à dire sur le FF , qui est dans la moyenne des films Marvel en termes de scénar, mais bénéficie d'une belle direction artistique et d'un ton qui, pour le coup, colle assez avec ce qu'on était en droit d'attendre d'un film sur le quatuor le plus emblématique des comics, et qu'aucun des films précédents qui leur étaient consacrés n'arrivait à approcher (à part peut-être un peu le Corman, mais on reconnaîtra que c'est un cas particulier). Pas le film de l'année, mais un moment fun et coloré. On notera que prendre une actrice qui s'appelle Kirby pour faire le personnage le plus stanleesque de la bande ne manque pas d'ironie, mais elle fait bien le job, donc...  Fun et coloré, ce sont aussi des mots qui viennent à l'esprit en voyant le Superman , James Gunn ...

Causes, toujours

 Dans la mesure où j'ai un peu de boulot, mais que ce n'est pas du tout intense comme ça a pu l'être cette année, j'en profite pour tomber dans des trous du lapin de documentation, qui vont de la ville engloutie de Kitej (pour une idée de roman avec laquelle je joue depuis l'an passé mais que je ne mettrai pas en oeuvre avant de l'avoir bien fait mûrir) à des considérations sur les influences platoniciennes sur le christianisme et le gnosticisme primitifs (pour me tenir à jour sur des sujets qui m'intéressent de façon personnelle) à des trucs de physiques fondamentale pour essayer des comprendre des choses sans doute trop pointues pour moi.     Là, ce soir, c'étaient des conversations entre physiciens et un truc m'a fait vriller. L'un d'entre eux expliquait que la causalité est une notion trop mal définie pour être encore pertinente en physique. Selon lui, soit on la repense, soit on la vire. Il cite un de ses collègues britanniques qui disai...

Sur la route encore

 Longtemps que je n'avais pas rêvé d'un voyage linguistique. Ça m'arrive de temps en temps, je ne sais pas pourquoi. Là j'étais en Norvège, je me retrouve à devoir aller dans le nord du pays pour accompagner un groupe, je prends un ferry puis une sorte de car pour y aller. Une fois sur place, on se fait une forteresse de bois surplombant un fjord, c'est féérique et grandiose. Pour le retour, pas de car. On me propose un camion qui redescend par la Suède, j'accepte le deal. Je me retrouve à voyager à l'arrière d'abord puis, après la douane, je passe devant avec le conducteur qui parle un français bancal et son collègue co-pilote qui cause un anglais foireux. Bon baragouine en suivant des routes tortueuses entre des pins gigantesques. Y a des étapes dans des trucs paumés où on s'arrête pour manger, un début de bagarre qu'on calme en payant une bouffe à tout le monde. Des paysages chouettes. Je suis jamais arrivé à destination, le réveil a sonné, ma...

Romulus et Rémus sont dans un vaisseau

 Comme il y a des domaines sur lesquels je suis toujours un poil à la bourre, j'ai enfin vu Alien : Romulus . J'avais eu l'intention d'y aller en salle, mais pour des problèmes d'emploi du temps, ça ne s'était pas fait. Et de toute façon, vous le savez si vous me lisez depuis longtemps, j'avais signé l'avis de décès de la licence Alien il y a déjà quelques années. Bon, hier soir, après avoir passé quelques heures en recherches perso sur des sujets obscurs (le proto-canon paulinien de Marcion, ça vous parle ? Probablement pas), je me suis calé devant la télé, et en fouillant dans les menus des plateformes, je suis tombé sur Romulus et je me suis dit : allez. Y a quinze jours, en faisant la même démarche, j'étais tombé sur le documentaire de Werner Herzog sur Bokassa. Pas exactement le même délire. Je ne m'attendais pas à grand-chose. J'avais vu passer des critiques pas très sympa. Ceci dit, les bandes annonces m'avaient fait envie : décor...

Dans la vallée, oho, de l'IA

 J'en avais déjà parlé ici , le contenu généré par IA (ou pour mieux dire, par LLM) envahit tout. Je bloque à vue des dizaines de chaînes par semaine pour ne pas polluer mes recommandations, mais il en pope tous les jours, avec du contenu de très basse qualité, fabriqué à la chaîne pour causer histoire ou science ou cinéma avec des textes assez nuls et des images collées au petit bonheur la chance, pour lequel je ne veux pas utiliser de bande passante ni perdre mon temps.   Ça me permet de faire un tri, d'avoir des vidéos d'assez bonne qualité. J'y tiens, depuis des années c'est ce qui remplace la télé pour moi. Le problème, c'est que tout le monde ne voit pas le problème. Plein de gens consomment ça parce que ça leur suffit, visiblement. Je suis lancé dans cette réflexion en prenant un train de banlieue ce matin. Un vieux regardait une vidéo de ce genre sans écouteurs (ça aussi, ça m'agace) et du coup, comme il était à deux places de moi, j'ai pu en ...

Compte à rebours avant Apocalypses : 31 jours

Hop, je viens d'avoir la date officielle pour la sortie d' Apocalypses, une brève histoire de la fin des temps , mon prochain bouquin à paraître chez les Moutons électriques. C'est pour le 6 novembre prochain. Du coup, je vous en rebalance un petit extrait : Ce qu’on appelait l’esprit "fin de siècle" dans années 1990, en le considérant comme un mal transitoire, se retrouve à perdurer sous une forme plus appuyée encore : l’approche de l’an 2000 avait remis sur le devant de la scène le discours millénariste et commencé à le banaliser, l’automne 2001 lui donne un impact dans un monde séculier qui chercher à se déséculariser, à reprendre une place cosmique dans un plan divin. Les groupes de pression fondamentalistes de toutes obédiences ont trouvé des caisses de résonnance dans la société. Si le phénomène n’est pas nouveau, il prend ces dernières années une ampleur assez inédite. En France, des organisations catholiques comme l’Institut Civi...