Y a quelques semaines, en attendant un train à gare de l'Est, je suis sorti par l'accès latéral, histoire de prendre le frais.
Deux clodos discutaient, de façon animée. Et l'un d'eux dit soudain :
« Y a une barrière qui s’est brisée et maintenant ils sont là à nous attendre. Toi aussi tu l’as senti, non? »
Je me suis prudemment replié, préférant clapoter dans ma bienheureuse ignorance de qui étaient ces "ils", de ce qu'était cette "barrière" et tout.
Quand les clodos vautrés sur les marches de la gare de l’est se muent en prophètes d’apocalypse, c'est un signe indubitable, je crois…
Deux clodos discutaient, de façon animée. Et l'un d'eux dit soudain :
« Y a une barrière qui s’est brisée et maintenant ils sont là à nous attendre. Toi aussi tu l’as senti, non? »
Je me suis prudemment replié, préférant clapoter dans ma bienheureuse ignorance de qui étaient ces "ils", de ce qu'était cette "barrière" et tout.
Quand les clodos vautrés sur les marches de la gare de l’est se muent en prophètes d’apocalypse, c'est un signe indubitable, je crois…
C'est vrai que ces mecs ont toujours eu des allures de clodo
Du coup, plutôt que de vous remettre une giclée de cosmonauterie, je vous gratifie d'un extrait de mon vieux bouquin sur l'Apocalypse, sorti à l'occasion de la précédente fin du monde, en 2012.
--
Ce
monde nouveau dans lequel l’ennemi est insaisissable amène une
interrogation : dans les années 1990, il convient de se
demander où est l’ennemi, qui il est, et pourquoi il est l’ennemi.
Et comme on cherche avant tout du côté de ce qui est à portée de
main, on finit fatalement par trouver quelque chose d’accessible.
Toute
une culture paranoïde, qui était généralement cantonnée à
l’underground
ou aux parodies depuis l’assassinat de Kennedy, les dénégations
de l’US Air Force quant aux ovnis
et les rumeurs de tests médicaux sur des GIs, remonte d’un coup à
la surface et devient mainstream
en quelques années.
Le
fer de lance de cette remontée est une série télévisée produite
par la Fox en 1993, X-Files.
Présentée au départ comme une série de science-fiction à la
Envahisseurs,
avec un héros tentant de convaincre son entourage de la réalité
d’une présence extraterrestre parmi nous, la série dérive très
vite sur le thème du complot, puis de complots croisés,
tentaculaires, gigognes. Références à l’informateur du
Watergate, puis aux projets secrets de l’Air Force et à leur
défense acharnée, puis à toute une littérature conspirationniste
circulant depuis au moins les années 1970 et les premières
candidatures à la présidentielle américaine de Lyndon Larouche. La
guerre en Irak, le programme spatial, les manipulations mentales à
distance, le recyclage des savants nazis, les vaccinations de masse,
tout y passe, et tout est réuni dans un immense complot courant sur
des décennies.
« On
nous cache tout, on nous dit rien », telle est la morale qui se
dégage d’X-Files,
qui se retrouve à diffuser et à banaliser auprès d’un large
public les thèses les plus farfelues. La structure du récit, fondée
sur l’opposition entre un « croyant » et une sceptique,
accrédite généralement les théories du premier. Et la vérité du
sous-titre se dérobe souvent, conservant une part d’ombre qui
justifie les quêtes de vérité ultérieures.
Le
plus beau dans l’histoire, c’est que
cette propagande n’est probablement pas délibérée. Les créateurs
de la série n’utilisent au départ le complot que comme un fil
conducteur facile, alternant des épisodes indépendants les uns des
autres et basés sur une accumulation postmoderne de clichés du
fantastique et de la science-fiction, remis au goût du jour dans une
ambiance polar, avec des épisodes donnant à penser que « la
vérité est ailleurs »,
que certains, dans l’ombre, tirent les ficelles. C’est un ressort
connu : le méchant discret, presque invisible, est d’autant
plus inquiétant. La sauce prenant, le complot prend de plus en plus
de place dans la série, permettant même de justifier dans le récit
la disparition d’un des personnages, disparition provenant
uniquement, dans les faits, du congé maternité de l’actrice. Le
grand complot n’est qu’un artifice de scénario bien commode,
mais ses effets peuvent s’avérer très délétères sur le long
terme.
L’étape
suivante est franchie par l’éphémère série Dark
Skies,
en 1996. Le générique annonce la couleur : si dans X-Files,
« la vérité est ailleurs », pour Dark
Skies
« l’histoire telle que nous la connaissons n’est qu’un
mensonge ». Démarrant sous la présidence Kennedy, la série
raconte le recrutement d’un jeune homme par le MJ-12, une faction
au sein de l’US Air Force chargée de contingenter l’information
concernant les extraterrestres et de lutter contre leur influence
pernicieuse. Dégouté par les méthodes du MJ-12, le jeune héros
poursuit la lutte seul jusqu’au début des années 1970 qui
marquent la fin de la série (pour des raisons commerciales :
elle était censée poursuivre son réexamen de l’histoire
contemporaine jusqu’à l’orée de la décennie 2000).
Le
refus initial du manichéisme dans la série (le complot n’est pas
mauvais en soi, ce sont ses méthodes qui sont douteuses) laisse vite
place à une morale équivoque : de la grande coupure de courant
de New
York aux émeutes raciales de Watts en passant par Timothy Leary
et le LSD, tout est la faute des extraterrestres qui tentent de
déstabiliser l’Amérique (et donc le monde) pour instaurer leur
ordre nouveau. La série, prématurément interrompue, aurait dû se
terminer dans sa cinquième saison par un conflit cette fois ouvert
et extrêmement violent entre les hommes et les envahisseurs, se
déroulant aux alentours de l’an 2000.
Si
dans X-Files,
le « grand complot » est une ficelle dont les auteurs ne
savent pas toujours que faire, le discours de Dark
Skies
est autrement plus inquiétant, témoignant de l’enfermement
paranoïaque graduel d’une frange de la pop culture, ou de son
instrumentalisation. La banalisation des thèmes et motifs du
discours conspirationniste peut commencer. Hommes en noir, factions
secrètes au sein du gouvernement, secrets inavouables deviennent les
sujets de la fiction, et non plus de simples éléments de décor ou
le moyen de caractériser des farfelus. Si en 1993, Fox Mulder, le
héros de X-Files,
est encore présenté comme « le martien » ou un semi
dingue, avant même la fin de la décennie il est devenu un role
model
d’autant plus acceptable qu’il colle parfaitement à l’ambiance
de l’époque. Comme souvent en Amérique, l’important n’est pas
tant ce que l’on croit, mais le fait de croire.
Commentaires