Deuxième livraison d'extraits de Cosmonautes !, histoire de fêter dignement le cinquantenaire du premier voyage sur la lune.
De
toute façon, pour atteindre les vitesses et traverser les distances
mises en jeu par le vol spatial, le monde réel ne dispose pas encore
d’un matériel approprié. Si le principe de la fusée et des
carburants liquides est rapidement accepté par tous ceux qui
s’intéressent au sujet, reste à le concrétiser.
Dès
avant-guerre, le physicien Robert Goddard tente de résoudre un à un
les problèmes techniques qui se posent : c’est en 1913 qu’il
développe des moyens mathématiques de calculer la position et la
vitesse d’une fusée en vol vertical en fonction de la masse des
propergols, ces carburants et comburants liquides qui deviendront
rapidement la règle, et de la vitesse de leur éjection. L’idée
était de créer des engins météorologiques permettant l’étude
des hautes couches de l’atmosphère*.
En 1914, il put ainsi déposer des brevets pour des fusées à
plusieurs étages propulsées au pétrole et aux oxydes d’azote.
Restait
à les construire, et il y emploiera la meilleure partie des années
1920. Son objectif réel était d’envoyer des sondes
photographiques à destination de la Lune, mais tout le domaine était
à inventer : si la première chambre à combustion fonctionne
dès 1923, il faut ensuite développer les pompes qui y achemineront
carburant et comburant.
Les cages à poules de Goddard
Ce
n’est qu’en mars 1926 que Goddard peut tenter un test grandeur
nature du moteur, avec le décollage d’un engin biscornu qui
parvient à une altitude de plus de douze mètres avant d’aller
s’écraser dans la neige. Il faut un début à tout, et c’est
après cet essai démontrant l’efficacité du moteur lui-même que
Goddard installe un système de contrôles par gyroscopes permettant
de stabiliser la trajectoire. La fusée moderne est un engin encore
très fruste, mais c’est enfin une réalité.
En Allemagne et en Tchécoslovaquie, comme aux États-Unis, l’on
s’intéresse de plus en plus aux possibilités ouvertes par ce
nouvel engin. Et l’on calcule ses caractéristiques en termes de
masse et de vitesse. Les formules de Tsiolkovski ont déblayé le
terrain, mais il s’agit à présent de leur donner un tour
pratique. Et de penser encore plus loin : l’ingénieur slovène
Herman Potočnik, dans son ouvrage Das Problem der Befahrung des
Weltraums (1928, publié sous le pseudonyme Hermann Noordung),
dresse le tableau des problèmes à résoudre pour le vol de longue
durée, et décrit une partie des solutions, parmi lesquelles une
station orbitale en orbite géostationnaire, en forme de roue, dont
la rotation permet à ses occupants de vivre sous une gravité
artificielle.
La station de Kubrick, 40 ans avant
Dans le
monde germanique encore, La Femme dans la Lune (Frau im
Mond, Fritz Lang, 1929) présente une fusée à réaction d’un
réalisme jamais vu à l’époque, même si ses occupants y accèdent
par le truchement d’une bête échelle de corde. Ce film
visionnaire démontre que les idées de Tsiolkovski se sont déjà
nettement popularisées et vulgarisées et renvoie aux oubliettes les
canons géants de Jules Verne et les stores roulants en cavorite
décrits par H. G. Wells.
Quarante
ans avant que l’homme ne pose réellement le pied sur la lune, le
film se permet d’anticiper les lancements spectacle de la NASA, les
systèmes mobiles permettant de déplacer le vaisseau à la
verticale, de son hangar géant jusqu’à son pas de tir, et il se
paye même le luxe d’inventer le compte à rebours. Il faut dire
que l’ami Fritz s’est attaché les services d’un conseiller
scientifique nommé Hermann Oberth. Ce même Oberth qui est
aujourd’hui considéré comme un des pères fondateurs de
l’astronautique, dans la continuité directe de Tsiolkowski :
il a été l’un des pionniers des propergols et il fera partie,
plus tard, des conseillers de Wernher von Braun**
à la NASA. C’est par exemple Oberth qui a démontré par le calcul
la nécessité des fusées à plusieurs étages***,
et cet aspect est d’ailleurs répercuté dans le film.
Dans l'espace, personne ne vous entendra prédire
Cette
caution scientifique se voit dans le soin apporté aux détails et à
l’aspect parfois très didactique du récit, qui par ailleurs se
concentre dans sa première partie sur le vol des plans de la fusée
dans le plus pur style de ce que seront plus tard les aventures de
Tintin et Milou – d’ailleurs un des personnages fera le voyage
vêtu de culottes de golf. On peut probablement attribuer le côté
financier et cosmopolite des méchants à la scénariste Thea von
Harbou, épouse du réalisateur, que ses engagements politiques
éloigneront quelque peu de son mari dans les années 1930.
Le sens
du détail de Lang et Oberth va jusqu’à l’installation de
sangles partout dans l’habitacle pour permettre aux vaillants
conquérants de la Lune de se déplacer malgré les effets de
l’apesanteur, effets hélas non montrés dans le film, sans doute
faute de moyens techniques pour les représenter efficacement. De
même, le vaisseau embarque des scaphandres, mais ils ne seront pas
utilisés, la zone de débarquement sur la Lune étant fort
opportunément pourvue d’une atmosphère. Il faut y voir un effet
de style hérité de Wells, et sans doute une volonté de Lang
d’insister sur l’aspect merveilleux du voyage sans livrer à son
public des images inquiétantes de spectres patauds en armure. Mais
l’on peut voir dans le souci du réalisme technique la patte d’un
Oberth déjà en phase de réflexion poussée sur ce qu’allaient
être par la suite les conditions du vol spatial.
*Officiellement,
mais les créateurs de l’astronautique ont quasiment tous
dissimulé leurs rêves à long terme sous des prétextes plus
pratiques leur permettant d’obtenir les premiers financements.
**Au
début des années 1930, Von Braun est d’ailleurs l’élève
d’Oberth au sein de la Verein für Raumschiffahrt,
l’Association pour les voyages dans l’espace.
***Tsiolkovski
en avait eu l’intuition, mais c’est bien Oberth qui en a
formalisé le principe, calculant les rapports de masse au décollage
entre les différents étages. Il a accessoirement aussi posé le
principe de la station orbitale dans sa thèse de doctorat, en 1923.
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