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Trios, triades, tricycles et trimardeurs

Bon, c'est dimanche, alors bon dimanche, sous vos applaudissements tout ça tout ça comme dirait l'autre. Jour de repos,  c'est l'occasion de gratter un peu ces vieilles histoires mythologiques sur lesquelles j'accumule des notes en vrac depuis bien des lunes.

Aujourd'hui, j'ai envie de parler de triades divines.
Alors, pour nous autres dans un monde assez marqué par le christianisme, la triade de base est la Sainte Trinité, Père Fils et Saint Esprit, qui a un sens et une articulation précise, et dont je ne causerai pas plus avant aujourd'hui. C'est un cas particulier, qui mérite un article à lui tout seul, et en retracer l'archéologie pourrait s'avérer intéressant. Et là, peut-être qu'on reparlera de notions que je vous livre ce matin.
Bref, les triades.
En mythologie (et dans plein d'autres domaines, d'ailleurs), plein de trucs vont par trois. Et donc, on a des groupes de héros, des groupes de dieux, des choses comme ça, qui s'agrègent selon ce nombre précis. Quand il s'agit de dieux, on appelle ça une triade. C'est plus ou moins formalisé, plus ou moins implicite, mais je pense que la notion vous est à peu près familière.
Là où ça devient rigolo, c'est quand on commence à les classer, ces triades. Parce qu'il y en a plusieurs sortes.
Pour ma part, j'en relève trois. Une triade de modèles de triades.

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Le premier type, c'est celui qu'a défini Dumézil, ce qu'il appelle la "triade fonctionnelle". Les dieux y représentent des fonctions sociales et leur réunion permet l'émergence d'une société complète.
Les trois fonctions sont la souveraineté ou le sacré (notions liées : l'existence dans mas mal de cultures d'un crime de lèse majesté démontre bien le caractère particulier du souverain), la force et la fécondité.
Chez les nordiques, ça donne Odin, Thor et Freyr. Les déesses du jugement de Pâris fonctionnent clairement selon ce principe, avec Héra, Athéna et Aphrodite (on en a déjà causé, Athéna est une déesse de la guerre avant toute chose). Dumézil dégage des brumes de la fondation de Rome une triade Jupiter, Mars, Quirinus qui lui semble exemplaire sous ce rapport.
Ce qui est intéressant, dans cette triade-ci, c'est qu'elle nous renvoie directement à la société humaine, aux contingences de la vie. En général, on a des dieux très incarnés, là-dedans.

Le deuxième modèle est un peu moins connu, mais j'ai l'impression qu'on le retrouve dans tout le Proche-Orient ancien. C'est une triade astrale, dont chaque terme renvoie au ciel. Curieusement, à Babylone et aux alentours, le Soleil n'y tient qu'une place assez subalterne. On y a Sîn, Ishtar et Samas, respectivement la Lune, Vénus et le Soleil. Avec la Lune au sommet. (y a des variantes, et de toute façon le grand sanctuaire de Sîn n'est pas Babylone, mais plutôt Ur). Ce qui est intéressant, c'est qu'en Anatolie, on retrouve une triade similaire, pas qui a été absorbée par les Grecs (alors je sais, les Hellénistes ne sont pas tous d'accord dans ce domaine, et un certain nombre d'entre eux tiennent au caractère purement grec d'Apollon, ce dont je ne suis pour ma part pas du tout convaincu, peut-être qu'on en reparlera un jour). Toujours est-il qu'on retrouve cette structure avec Artémis, Aphrodite et Apollon (le fait qu'il y ait allitération a peut-être du sens, ou pas). Notons le flottement : chez les peuples sémites, la Lune est masculine et le Soleil aussi. Il y a un certain nombre de peuples de la région où la Lune est Masculine et le Soleil féminin, et tout porte à croire que c'est la forme la plus archaïque. Et pour la petite histoire, la langue allemande contemporaine conserve le féminin pour soleil et le masculin pour lune).

La triade du troisième type, qui est généralement plus récente que les précédentes, correspondant dans certains cas à une réflexion théologique avancée, est de nature cosmique. Les trois divinités s'y partagent l'univers tout entier et y patronnent d'énormes blocs. En Grèce, c'est le groupe Zeus, Poseidon, Hadès, responsables respectivement du ciel, de la mer et du monde souterrain (la surface de la terre elle-même, au milieu de tout ça, étant le séjour de l'homme) et c'est peut-être (gros peut-être) une construction assez récente, la plupart des religions les plus anciennes mettant le dieu du ciel en retrait (c'est El chez les Cananéens, Ouranos chez les Titans grecs, et on a des équivalents en Egypte).
L'autre grande triade cosmique est celle de l'hindouisme, et pour le coup on sait qu'elle correspond à une synthèse tardive. C'est Brahma, Vishnu et Shiva, patronnant respectivement création, conservation et destruction. Là, d'une certaine façon, là où les Grecs spatialisent la répartition des compétences divines, on en revient ici à quelque chose d'apparemment fonctionnel, mais c'est en fait surtout temporel : la cosmologie hindoue est basée sur des cycles, sur la grande roue du karma, et la succession de ces trois fonctions s'intègre parfaitement à une construction de ce genre.

Y a-t-il d'autres sortes de triades ?
Si on regarde la triade héliopolitaine qui, si ses dieux sont anciens, correspond quand même semble-t-il à une réinterprétation plus tardive (mais peut-être que des spécialistes pourront préciser ça en commentaire), on a Osiris, Isis et Horus. D'une façon évidente, elle renvoie à une simple structure familiale (père, mère, fils). Mais plein d'éléments viennent parasiter cette évidence : Isis et Horus ressemblent fort aux composantes Vénus/Soleil des mythes du reste du Croissant Fertile. Mais par contre, les aspects lunaires d'Osiris sont nettement moins évidents. Par ailleurs, Osiris qui meurt et devient impuissant, ça renvoie à des motifs célestes très courants dans la région (je parlais d'El et d'Ouranos un peu plus haut). Et d'un autre côté, Isis a parfois été associée à la Lune, mais là aussi, c'est peut-être ultra tardifs.
Donc voilà… Aucune conclusion claire à tirer de tout ça, juste des pistes de réflexion. Ça dort dans mes tiroirs depuis un bail, autant que je vous en fasse profiter, pas vrai ?

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