Vous me connaissez, je suis capable d'avoir un discours violemment critique quand une licence cinématographique saccage son matériau de base. Mes articles sur la saga Alien, dans ces colonnes, en témoignent. Ou sur les œuvres adaptées de Robert E. Howard, pas forcément gâté dans le genre.
Ce droit à la critique est fondamental. Sinon, nous ne sommes que des oies bonnes à gaver par des cinéastes et téléastes peu scrupuleux.
Sauf que, avant de critiquer, il faut analyser. Et c'est là que le bât blesse de nos jours. La minorité active sur les réseaux sociaux a des réactions de plus en plus épidermiques d'enfants gâtés, et ça pollue le débat. Plusieurs exemples récents en témoignent :
- la bronca contre The Last Jedi
- celle sur les derniers épisodes de Game of Thrones
Alors, je vais revenir là-dessus.
Bon, je vais partir du principe que tout le monde a vu The Last Jedi et peut-être même les bandes annonces de Rise of Skywalker. Si ce n'est pas le cas, attention, ça va légèrement spoiler.
Je suis sorti de The Last Jedi (que j'avais été voir en famille, comme les précédents SW) avec des sentiments très mitigés. Il y avait là-dedans autant d'idées et de scènes enthousiasmantes que de trucs un peu moisis et foirés.
Et bien évidemment, on a eu droit à des pétitions demandant à tout refilmer. D'un bloc.
Alors, oui, il y a de grosses paresses d'écriture dans The Last Jedi, et un gros problème de structure. Je reste persuadé qu'il y avait mieux à trouver qu'une panne d'essence pour ralentir les héros, et qu'on aurait ainsi évité un gros ventre mou. De même, la dispersion de l'intrigue ne parvient pas à créer un montage simultané, traditionnel pourtant dans la série, qui permettrait de donner du peps à certaines lignes narratives qui en manquent.
Tout cela, ce sont des considérations assez techniques, au fond.
Après, sur la gestion des personnages, le psychodrame chez les rebelles à propos de l'obéissance aveugle aurait pu donner lieu à des interrogations philosophique sympa, ce qui l'aurait justifié, sauf que non, et pareil, il y a là un sentiment d'inachevé.
Mais par ailleurs, le film propose quelque chose de très fort, en terme de dépassement des structures de la saga. Et en ce sens, il est parfaitement défendable. En prenant à contre-pied les attentes des spectateurs et des fans, il ose quelque chose de méritoire (bon, ça aurait été pas mal de lancer un os au public, soit sur Snoke, soit sur Rey : l'absence de résolution claire de leurs mystères est sympa en soi, mais deux fois coup sur coup, c'est peut-être un peu radical). Il propose des pistes intéressantes. Et ça, c'est chouette. Sauf qu'une partie du public a eu l'impression qu'on cassait ses jouets, et a mal réagi.
Résultat des courses, la bande annonce du prochain Star Wars laisse présager un rétropédalage en règle. Dommage. Je maintiens que les propositions du réal seraient beaucoup mieux passées si la structure de récit avait été mieux bordée. L'importance de la forme pour faire passer le fond, tout ça tout ça.
Bon, avec un Solo qui était du pur fan service décérébré, Disney a quand même compris, semble-t-il, que vouloir trop caresser le public dans le sens du poil était également une erreur, d'où le reformatage brutal de tous les plans concernant la saga dans les années à venir.
Sur Game of Thrones, le problème n'est pas tout à fait de même nature. Il y a certes des problèmes de structure sur la dernière saison de la série, mais ce sont des problèmes de rythme, et ils ne semblent pas liés à une quelconque paresse d'écriture, mais à un choix délibéré d'avancer dans l'intrigue (quitte à sacrifier des intrigues secondaires) pour ne pas laisser la vapeur s'échapper de la machine. Oui, j'aurais aimé un épisode de plus entre les deux batailles, mais je comprends le choix narratif des showrunners. Il a un sens. D'autant que finir une série, plier tous les arcs narratifs, c'est un exercice de corde raide.
Je comprends donc qu'on puisse critiquer la série sur ce point du rythme (pareil, la constitution du nouveau conseil, on pouvait quasiment faire une saison rien que là-dessus). Tout choix de ce type relève d'un compromis, et tout compromis est discutable par essence.
Mais le problème des fans était d'un autre ordre.
Ils ont voulu y croire, à leur Khaleesi. La série avait bien monté la mayonnaise pour en faire la souveraine idéale, défenseresse de belles valeurs. Et du coup, ils ont excusé sa violence, ont fait l'impasse sur son caractère obsessionnel et capricieux. Ils ont pris parti dans une guerre de succession… et n'ont pas vu que toute la série était basée sur le fait que prendre parti était courir le risque d'être déçu, voire trahi. Que les plus beaux rois potentiels se faisaient dessouder. Que les plus dignes finissaient par se faire rattraper par leurs défauts. Que les plus honorables explosaient en vol, soit que leur droiture leur fasse oublier qu'ils étaient faillibles, soit qu'elle les conduisent à se jeter dans la gueule du loup.
Daenerys et Jon Snow ont plein de qualités, que la série a bien pris soin de mettre en scène. Et plein de défauts qu'elle s'est bien gardée de glisser sous le tapis. Le spectateur choisit de croire en ces personnages ou pas.
L'inverse est vrai. Malgré sa brutalité et sa cruauté, Cersei n'est pas exempte de qualités, que son petit frère lui rappelle, tentant de réveiller ses côtés les plus humains. Les scénaristes et les acteurs se sont ingéniés à nous faire aimer des personnages épouvantables, comme aussi le Limier, ou à leur donner des chemins de rédemption, comme Jaime le Régicide.
Qui plus est, personne n'est pris en traitre : la série s'est construite depuis le départ sur ces coups de théâtre choquants
Le coup de folie de Daenerys était-il bien amené ? Ah, peut-être aurait-on pu étaler un peu plus son basculement. Mais il est annoncé quasiment depuis le départ. Malgré son discours humaniste (qu'elle défend avec des méthodes que n'auraient pas renié les Bolchéviques) c'est une conquérante brutale, qui a appris son métier auprès de gens brutaux, dans un univers brutal. Mise au pied du mur…
Et la crémation du Trône, jusqu'alors enjeu de toute la série, est la façon qu'on les scénaristes de nous rappeler cette évidence : nous vivons dans un monde qui s'est construit sur d'autres valeurs que celles des personnages de la série (ils enfoncent le clou, à l'épisode suivant, avec la façon dont Sam est humilié par les grands seigneurs de Westeros, confits dans leurs privilèges). On peut apprécier Aragorn ou le roi Arthur parce que ce sont de grands personnages et des symboles d'espoir, mais n'oublions pas l'idéologie et le discours qui les sous-tendent, et qui sont ceux d'un Stéphane Bern. Et quand il s'agit du bon roi Richard dans Robin des Bois, ça vaut le coup de vérifier s'il était si bon que ça. Sa vie est passionnante, mais édifiante, aussi, et le portrait final est celui d'un connard brutal et impulsif. D'un pur personnage de Game of Thrones, donc. Quand à l'abominable Prince Jean, il a posé les bases de la démocratie anglaise, quand même (même si c'était un peu à l'insu de son plein gré).
Les pétitions de spectateurs démontrent deux choses :
- que le spectateur de base est incapable (pour une partie, en tout cas) de décorréler les problèmes de forme et le discours de fond. Du coup, il fait un gloubiboulga, faute de prendre du recul. Le fait que SW et GoT soient des phénomènes de masse amplifie le phénomène. Cinq ou dix pour cent de mécontents qui donnent de la voix, sur un lectorat de 2000 têtes, ça ne va pas bien loin. Sur un cheptel de dizaines de millions de spectateurs, ça fait du monde. Et donc du bruit.
- que la civilisation actuelle, avec son univers purement transactionnel, celui du libéralisme, génère une "attente en retour". J'ai donné de mon temps pour suivre une série, j'attends en échange qu'elle me satisfasse. Le problème, c'est que sur un public de dizaines de millions de personnes, il est impossible de satisfaire tout le monde. Et avec les porte-voix technologiques actuels (et la prime qu'ils donnent au coup de gueule, plus "cliquables" qu'un discours raisonnable), ce sont les mécontents qu'on entend. Et eux seuls.
Attention, il ne s'agit pas d'interdire la critique. Critiquer une œuvre, c'est sain. Faire des propositions alternatives, c'est un bon moyen de démarrer une œuvre propre (pour peu qu'on s'affranchisse de la forme pour avancer sur le fond, sinon on ne fait pas une œuvre, mais une fanfic. ce qui est toujours sympathique, mais on ne commence à vraiment avancer qu'en dépassant ce stade-là). Le problème, c'est de parvenir à faire la différence entre une critique (qui se pose des question de forme, de fond, de mise en œuvre des moyens, d'intentions des auteurs) et un coup de gueule viscéral (ou une déclaration d'amour viscérale, aussi). Le coup de gueule, c'est sain. Ça fait du bien. Mais s'il sort en bouillie, il est malhonnête de vouloir le faire passer pour une critique.
Il est sain d'avoir un avis. Il est mieux de pouvoir l'étayer pour qu'il soit un peu plus qu'un avis. Sinon on en revient à ce qu'en disait Harry Callahan.
Ce droit à la critique est fondamental. Sinon, nous ne sommes que des oies bonnes à gaver par des cinéastes et téléastes peu scrupuleux.
Sauf que, avant de critiquer, il faut analyser. Et c'est là que le bât blesse de nos jours. La minorité active sur les réseaux sociaux a des réactions de plus en plus épidermiques d'enfants gâtés, et ça pollue le débat. Plusieurs exemples récents en témoignent :
- la bronca contre The Last Jedi
- celle sur les derniers épisodes de Game of Thrones
Alors, je vais revenir là-dessus.
Bon, je vais partir du principe que tout le monde a vu The Last Jedi et peut-être même les bandes annonces de Rise of Skywalker. Si ce n'est pas le cas, attention, ça va légèrement spoiler.
Je suis sorti de The Last Jedi (que j'avais été voir en famille, comme les précédents SW) avec des sentiments très mitigés. Il y avait là-dedans autant d'idées et de scènes enthousiasmantes que de trucs un peu moisis et foirés.
Et bien évidemment, on a eu droit à des pétitions demandant à tout refilmer. D'un bloc.
Alors, oui, il y a de grosses paresses d'écriture dans The Last Jedi, et un gros problème de structure. Je reste persuadé qu'il y avait mieux à trouver qu'une panne d'essence pour ralentir les héros, et qu'on aurait ainsi évité un gros ventre mou. De même, la dispersion de l'intrigue ne parvient pas à créer un montage simultané, traditionnel pourtant dans la série, qui permettrait de donner du peps à certaines lignes narratives qui en manquent.
Tout cela, ce sont des considérations assez techniques, au fond.
Après, sur la gestion des personnages, le psychodrame chez les rebelles à propos de l'obéissance aveugle aurait pu donner lieu à des interrogations philosophique sympa, ce qui l'aurait justifié, sauf que non, et pareil, il y a là un sentiment d'inachevé.
Intéressant de voir les critiques sur le perso de Kylo Ren, qui a pourtant l'arc narratif le plus intéressant : il est celui qui incarne le mieux l'emprisonnement dans des structures iconiques passées
Mais par ailleurs, le film propose quelque chose de très fort, en terme de dépassement des structures de la saga. Et en ce sens, il est parfaitement défendable. En prenant à contre-pied les attentes des spectateurs et des fans, il ose quelque chose de méritoire (bon, ça aurait été pas mal de lancer un os au public, soit sur Snoke, soit sur Rey : l'absence de résolution claire de leurs mystères est sympa en soi, mais deux fois coup sur coup, c'est peut-être un peu radical). Il propose des pistes intéressantes. Et ça, c'est chouette. Sauf qu'une partie du public a eu l'impression qu'on cassait ses jouets, et a mal réagi.
Résultat des courses, la bande annonce du prochain Star Wars laisse présager un rétropédalage en règle. Dommage. Je maintiens que les propositions du réal seraient beaucoup mieux passées si la structure de récit avait été mieux bordée. L'importance de la forme pour faire passer le fond, tout ça tout ça.
Bon, avec un Solo qui était du pur fan service décérébré, Disney a quand même compris, semble-t-il, que vouloir trop caresser le public dans le sens du poil était également une erreur, d'où le reformatage brutal de tous les plans concernant la saga dans les années à venir.
Sur Game of Thrones, le problème n'est pas tout à fait de même nature. Il y a certes des problèmes de structure sur la dernière saison de la série, mais ce sont des problèmes de rythme, et ils ne semblent pas liés à une quelconque paresse d'écriture, mais à un choix délibéré d'avancer dans l'intrigue (quitte à sacrifier des intrigues secondaires) pour ne pas laisser la vapeur s'échapper de la machine. Oui, j'aurais aimé un épisode de plus entre les deux batailles, mais je comprends le choix narratif des showrunners. Il a un sens. D'autant que finir une série, plier tous les arcs narratifs, c'est un exercice de corde raide.
Je comprends donc qu'on puisse critiquer la série sur ce point du rythme (pareil, la constitution du nouveau conseil, on pouvait quasiment faire une saison rien que là-dessus). Tout choix de ce type relève d'un compromis, et tout compromis est discutable par essence.
Mais le problème des fans était d'un autre ordre.
Attention, à partir d'ici ça spoile à balles de guerre
Ils ont voulu y croire, à leur Khaleesi. La série avait bien monté la mayonnaise pour en faire la souveraine idéale, défenseresse de belles valeurs. Et du coup, ils ont excusé sa violence, ont fait l'impasse sur son caractère obsessionnel et capricieux. Ils ont pris parti dans une guerre de succession… et n'ont pas vu que toute la série était basée sur le fait que prendre parti était courir le risque d'être déçu, voire trahi. Que les plus beaux rois potentiels se faisaient dessouder. Que les plus dignes finissaient par se faire rattraper par leurs défauts. Que les plus honorables explosaient en vol, soit que leur droiture leur fasse oublier qu'ils étaient faillibles, soit qu'elle les conduisent à se jeter dans la gueule du loup.
C'est dur d'être aimé par des cons (air connu)
Daenerys et Jon Snow ont plein de qualités, que la série a bien pris soin de mettre en scène. Et plein de défauts qu'elle s'est bien gardée de glisser sous le tapis. Le spectateur choisit de croire en ces personnages ou pas.
L'inverse est vrai. Malgré sa brutalité et sa cruauté, Cersei n'est pas exempte de qualités, que son petit frère lui rappelle, tentant de réveiller ses côtés les plus humains. Les scénaristes et les acteurs se sont ingéniés à nous faire aimer des personnages épouvantables, comme aussi le Limier, ou à leur donner des chemins de rédemption, comme Jaime le Régicide.
Qui plus est, personne n'est pris en traitre : la série s'est construite depuis le départ sur ces coups de théâtre choquants
Le coup de folie de Daenerys était-il bien amené ? Ah, peut-être aurait-on pu étaler un peu plus son basculement. Mais il est annoncé quasiment depuis le départ. Malgré son discours humaniste (qu'elle défend avec des méthodes que n'auraient pas renié les Bolchéviques) c'est une conquérante brutale, qui a appris son métier auprès de gens brutaux, dans un univers brutal. Mise au pied du mur…
Et la crémation du Trône, jusqu'alors enjeu de toute la série, est la façon qu'on les scénaristes de nous rappeler cette évidence : nous vivons dans un monde qui s'est construit sur d'autres valeurs que celles des personnages de la série (ils enfoncent le clou, à l'épisode suivant, avec la façon dont Sam est humilié par les grands seigneurs de Westeros, confits dans leurs privilèges). On peut apprécier Aragorn ou le roi Arthur parce que ce sont de grands personnages et des symboles d'espoir, mais n'oublions pas l'idéologie et le discours qui les sous-tendent, et qui sont ceux d'un Stéphane Bern. Et quand il s'agit du bon roi Richard dans Robin des Bois, ça vaut le coup de vérifier s'il était si bon que ça. Sa vie est passionnante, mais édifiante, aussi, et le portrait final est celui d'un connard brutal et impulsif. D'un pur personnage de Game of Thrones, donc. Quand à l'abominable Prince Jean, il a posé les bases de la démocratie anglaise, quand même (même si c'était un peu à l'insu de son plein gré).
Fin de la zone spoilers
Les pétitions de spectateurs démontrent deux choses :
- que le spectateur de base est incapable (pour une partie, en tout cas) de décorréler les problèmes de forme et le discours de fond. Du coup, il fait un gloubiboulga, faute de prendre du recul. Le fait que SW et GoT soient des phénomènes de masse amplifie le phénomène. Cinq ou dix pour cent de mécontents qui donnent de la voix, sur un lectorat de 2000 têtes, ça ne va pas bien loin. Sur un cheptel de dizaines de millions de spectateurs, ça fait du monde. Et donc du bruit.
- que la civilisation actuelle, avec son univers purement transactionnel, celui du libéralisme, génère une "attente en retour". J'ai donné de mon temps pour suivre une série, j'attends en échange qu'elle me satisfasse. Le problème, c'est que sur un public de dizaines de millions de personnes, il est impossible de satisfaire tout le monde. Et avec les porte-voix technologiques actuels (et la prime qu'ils donnent au coup de gueule, plus "cliquables" qu'un discours raisonnable), ce sont les mécontents qu'on entend. Et eux seuls.
Attention, il ne s'agit pas d'interdire la critique. Critiquer une œuvre, c'est sain. Faire des propositions alternatives, c'est un bon moyen de démarrer une œuvre propre (pour peu qu'on s'affranchisse de la forme pour avancer sur le fond, sinon on ne fait pas une œuvre, mais une fanfic. ce qui est toujours sympathique, mais on ne commence à vraiment avancer qu'en dépassant ce stade-là). Le problème, c'est de parvenir à faire la différence entre une critique (qui se pose des question de forme, de fond, de mise en œuvre des moyens, d'intentions des auteurs) et un coup de gueule viscéral (ou une déclaration d'amour viscérale, aussi). Le coup de gueule, c'est sain. Ça fait du bien. Mais s'il sort en bouillie, il est malhonnête de vouloir le faire passer pour une critique.
Il est sain d'avoir un avis. Il est mieux de pouvoir l'étayer pour qu'il soit un peu plus qu'un avis. Sinon on en revient à ce qu'en disait Harry Callahan.
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