"C'est là un grand et beau privilège du tribunal de l'Inquisition, que les juges n'y soient pas tenus de suivre l'ordre judiciaire, et que l'omission de quelque formalité de droit ne vicie pas la procédure."
(Nicolas Eymerich, 1320-1399)
Encore aujourd'hui, le Saint Office, appelé aussi Sainte Inquisition, reste objet d'horreur et de détestation. On a encore en tête l'image des bûchers dressés dans toute l'Europe pour chasser l'hérétique, la sorcière et le dissident. Ajoutant l'insulte à la blessure, les inquisiteurs étaient d'une parfaite mauvaise foi, puisque leurs exactions étaient confiées au "bras séculier", aux autorités civiles, qui se chargeaient des basses besognes (torture, massacres, etc…) et en assumaient la responsabilité face à la loi, alors qu'elles n'agissaient que sur ordre. Mais passons…
Si Nicolas Eymerich fut un des inquisiteurs les plus notoires avec Torquemada et Bernard Guy, au point qu'on en fit dernièrement un héros de roman, ce fut avant tout parce qu'il tenta de codifier l'action de cette institution. En effet, à l'époque, si quelques bulles papales encadraient l'action de moines dominicains, les manuels existants (dont celui de Bernard Guy) étaient avant tout des appels au massacre des hérétiques.
Eymerich, inquisiteur général du royaume d'Aragon, écrivit en 1376 le Directorium Inquisitorum, un ouvrage de référence qui permettait à ses collègues de faire leur travail avec honnêteté et efficacité, dressant un catalogue précis des hérésies les plus courantes et des moyens de les débusquer, accompagné un code de procédure fort détaillé, avec sanctions, valeurs comparées des témoignages (évoquant d'ailleurs les tribunaux révolutionnaires) et modalités du recours au bras séculier.
Ce qui frappe à la lecture de ce manuel, en dehors du zèle de son auteur, c'est son souci quasi humaniste de ne pas prêter le flanc à la critique en évitant à tout prix les bavures. Eymerich limite l'appel aux autorités civiles autant qu'il peut et ne préconise le recours à la Question que dans des cas précis et encadrés, car contrairement à nombre de ses collègues, il considère la torture comme un moyen peu fiable d'obtenir des informations, le manque de résistance des sujets qui y étaient soumis les conduisant à faire des aveux fantaisistes pour échapper au bourreau. C'est pourquoi en toutes choses, Eymerich semble préférer les sanctions symboliques (pilori, costume d'hérétique, excommunication, etc…) qui dans la société de l'époque n'étaient certes pas anodines.
Alors, Eymerich, humaniste en avance sur son époque ou fonctionnaire ecclésiastique ouvrant le parapluie pour éviter les ennuis ? Difficile de le dire près de sept siècles après les faits. Mais personnalité atypique, cela au moins est clair.
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