Bon, les cartons étaient gros, le livreur chronissimo (peut-être pas le même que la semaine passée) m'a déposé mes exemplaires des Exilés de la plaine en venant frapper à ma porte. J'étais en train de faire ma toilette, et j'ai enfilé un jean à l'arrache pour aller ouvrir.
Ce bouquin, c'est l'aboutissement de pile deux ans. Ça faisait longtemps qu'un bouquin ne m'avait pas pris autant de temps.
J'ai une furieuse tendance à ne pas vouloir faire deux fois le même bouquin, même lorsqu'ils s'insèrent dans une même série. J'essaie de changer de ton, d'angle, de technique narrative. Du coup, ça implique aussi de changer de méthode d'écriture.
Alors, je ne suis pas à la base quelqu'un de très méthodique, j'ai besoin d'une certaine dose de bordélitude pour pouvoir fonctionner. Mon bureau et mon emploi du temps sont des foutoirs indémerdables et ça me va bien au teint. Alors, vous allez me dire, et à raison, que la méthode, pour un écrivain, ça consiste essentiellement à poser son culs devant le clavier et à pisser du texte jusqu'à ce qu'épuisement des idées s'ensuive.
Il n'empêche.
J'en causais il y a quelques temps de ça chez l'amie Céline Badaroux, ça a pas mal évolué dans le temps. De très architecte, fonctionnant avec des plans et des structures, une technique héritée de mes activités de scénariste, je suis devenu de plus en plus jardinier, fonctionnant à l'intuition et au fil de la plume, avec une simple direction et une série de balises plus ou moins floues.
Certains bouquins s'y prêtent bien, et Les Exilés en faisait partie. Cela permet d'avancer vite. Dans les faits, la rédaction du bouquin s'est faite en environ six mois. Sauf qu'en mode architecte, la structure forte permet de contourner un peu les moments de doute. En mode jardinier, lorsqu'on tombe sur un écueil du récit, ça coince beaucoup plus fort. J'ai eu de gros moments de coinçade, aggravés par le fait que je m'étais mis des contraintes créatives un peu rudes, et que j'ai été débordé de taf par ailleurs, essentiellement en traduction.
À chaque fois que la machine a calé, j'ai eu du mal à redémarrer. Et quand ça s'est enfin débloqué pour de bon, ça s'est fait d'un coup, de façon très violente, à jet continu pendant deux mois. (oui, on pourrait employer cette dernière phrase pour tout à fait autre chose, ne me remerciez pas de vous avoir collé cette image dans la tête).
J'ai enchaîné avec une commande que j'ai menée tambour battant. Écrire à haute dose, c'est un muscle, et là j'étais sur la lancée, avec un truc dont le plan était bordé depuis des mois, et sur lequel la seule difficulté était de trouver le ton juste et d'extraire les bons éléments d'une masse de doc.
J'en parlais tout dernièrement, après ça c'était relâche. Sauf que sur la lancée... Je me suis relancé dans un truc. J'ai écrit les deux tiers d'un roman en quinze jours, en mode full jardinier, dans un esprit Pratchett. Ma seule base, c'étaient les writevers de l'an passé, notamment ceux concernant le mage Grodobert.
On va voir où ça nous mène, tout ça.
Un extrait :
Enfin, le mage s’installa au milieu de la figure ésotérique tracée à la craie, au sommet d’un gros rocher raisonnablement plat. Après d’ultime vérifications. Il fixa l’horizon encombré du nord, leva les bras et se mit à chanter dans une langue interdite dans dix-sept contrées et huit lieux-dits, les bésicles runiques sur le nez.
Salam l’observait à bonne distance. Il connaissait fort mal la magie, mais en savait assez pour se méfier de ce genre de tracés dont on disait qu’ils permettaient de faire apparaître ces affreux génies que les gens d’ici appelaient démons. S’il avait confiance dans la science et les talents du mage, cela n’excluait aucunement les formes les plus élémentaires de la prudence. Il gardait d’ailleurs son sabre à portée de la main.
Les tracés se mirent à luire, le vieil homme assis en tailleur au milieu sembla devenir transparent. Les bésicles émirent des rayons de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Grodobert se cabra, gémit, hurla. Salam s’approcha, la main sur la poignée de son arme, prêt à la dégainer au besoin. Les fesses du mage se décolèrent du pentacle et il lévita un instant, avant de retomber lourdement. Il roula jusqu’au bas du rocher en poussant de hauts cris.
« Ah cornecul de pâte à foutre !
— Vous n’avez pas réussi, sidi mage ?
— Si, mais je me suis fait mal. Effacez le bord extérieur du pentacle et filez-moi ma canne, voulez-vous ? »
De la pointe de sa sandale, Salam effaça le tour de la figure puis tendit le bâton gravé. Le mage se releva péniblement, en se massant le dos.
Commentaires