Hier soir, je suis passé au Club de l'Etoile, salle de ciné parisienne où je commence à avoir mes petites habitudes et où il m'arrive d'animer des soirées (la dernière en date c'était celle sur le Dark Knight de Miller). Là, j'y allais incognito pour un nouveau format lancé par la chaîne Intercut, une sorte de cinéclub avec un twist : en arrivant, on ignore quel film on va voir. Les spectateurs disposent seulement de quelques indices. Hier, c'était Moby Dick.
Je ne l'avais pas revu depuis... trente ans au moins. Ça a été l'occasion de me le remettre dans les yeux et les oreilles. D'ailleurs, le film comme le roman, je ne les avais regardé/lu qu'en VF à l'époque. Ce que je connaissais de la VO, c'était l'adaptation magistrale en BD par Bill Sienkiewicz, sortie au tout début des années 90 (et dont la VF est dispo chez Delcourt), qui m'avait donné un peu accès à la langue de la chose. Il faut absolument que je corrige cette lacune après une prise de conscience qui m'est venue hier.
Et je crois que c'est une des clés de l'oeuvre. Pas la seule, bien sûr, mais une clé importante. La langue est pompeuse, ampoulée, on pourrait croire que c'est dû à l'époque d'écriture du roman, aux alentours de 1850, c'est à dire que c'est contemporain d'Edgar Poe.
Mais...
Mais il va falloir que je creuse. Il y a une tessiture proprement shakespearienne dans certaines tirades, et je la sens voulue. Le contexte, c'est la Nouvelle-Angleterre, encore très marquée par le puritanisme et certains plans des familles contemplant le départ du Pequod nous le rappellent, avec ces gueules improbables, ces femmes déjà usées par l'attente. De même, le sermon d'Orson Welles en prédicateur à longue barbe nous place dans cet univers-là, celui des descendants de colons donnant à leurs enfants des noms bibliques, car leur grande référence culturelle demeure La Bible du Roi Jacques, à la langue si particulière. C'est à elle qu'on doit cet archaïsme, le tutoiement de Dieu ("Thou shalt not kill" et tout ce qui s'ensuit, dont Stan Lee a su se souvenir pour Thor).
La langue par elle-même nous plonge dans un univers de mythes et de symboles, dans des allégories que les personnages, pourtant bien campés, ne masquent pas et portent souvent. Melville a entrepris d'écrire un mythe pour son temps, une épopée à l'ancienne, presque à l'antique, et John Huston, dans le film, tente de restituer précisément cela.
Pourtant, le cinéma a tendance à rester à la surface des choses. Le roman se veut une sorte d'oeuvre totale, se permettant de curieuses digressions, certes dans la manière du temps (Hugo, oui, c'est à toi que je pense, vieux brigand) mais cherchant à créer un vertige aussi bien sensoriel que métaphysique.
Moby Dick, comme Don Quichotte et quelques autres, est devenu un authentique mythe littéraire. Hormis Bartleby le scribe, qui est presque son contraire absolu (et mérite une lecture croisée), on n'édite plus son auteur que pour ce roman-ci.
Et c'est peut-être suffisant. En soi, il est déjà une littérature complète.
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