J'ai déjà, me semble-t-il, parlé dans ces colonnes de toute l'admiration que je voue à Arturo Perez-Reverte pour sa série de romans consacrés à Diego Alatriste, capitaine par la main gauche et spadassin à bon marché hantant les ruelles du siècle d'or espagnol.
C'est intelligent, roublard, cynique et magnifiquement écrit. J'étais d'ailleurs admiratif de la traduction, parvenant aussi bien à rendre la parlure des tavernes que les envolées de don Francisco (personnage historique intégré au récit, poète, politicien et bretteur, et maître du roman picaresque. Les Indes Fourbes de l'ami Alain Ayrolles lui rendent d'ailleurs explicitement hommage en reprenant son personnage de Don Pablo, lamentable fripouille et loser magnifique).
Et j'avais tiqué en me renseignant sur le nom du confrère ayant oeuvré. "Jean-Pierre Quijano". Non que "Jean-Pierre" me posât le moindre souci. Ça arrive à des gens très bien de s'appeler Jean-Pierre. Non, la clé, c'était "Quijano".
Quijano, c'est également le vrai nom de certain hidalgo de la Mancha, je pense que vous voyez de qui je veux parler. Un traducteur d'espagnol se mettant sous un patronage aussi littéraire, sous la protection d'un tel archétype absolu des lettres d'outre-Pyrénées, cela me semblait suspect. Ça ne pouvait pas être son vrai nom, forcément. L'idée avait popé dans ma tête, et je m'étais dit que nous avions peut-être affaire à un pseudonyme de l'auteur lui-même, laissant un indice subtil et érudit à la manière d'un personnage de Borges ou d'Eco.
C'était élégant et beau, et si c'était vrai, ça augmentait d'un cran encore le respect que je portai à APR.
Et puis je passai à autre chose, en gardant ça dans un coin de la tête.
Bon, je viens de vérifier, ce Quijano existe vraiment et traduit plein d'autres trucs dont je ne m'imagine pas APR aller s'occuper. Ou alors il a connu de sérieuses années de vaches maigres.
J'aimais bien ma version, pourtant, mais respect colossal, donc, au gars qui parvient avec tant d'élégance à faire passer les aventures du capitaine de la langue de Cervantès à celle de Molière.
Reste néanmoins un autre menu mystère lié à Alatriste. Quand j'ai lu pour la première fois cette description,
"Il n’était pas le plus honnête ni le plus pieux des hommes, mais il était courageux. Il s’appelait Diego Alatriste y Tenorio et il avait été soldat en Flandres. Quand j’ai fait sa connaissance, il vivotait à Madrid où pour quatre maravédis, il louait ses services à ceux qui n’avaient ni l’art ni l’audace de vider leurs querelles eux-mêmes."
Ça m'a directement renvoyé à un de mes comics préférés de tous les temps, Grimjack (je suis pas le seul, c'était le comic book préféré de Zelazny, et Old John a d'ailleurs fait un petit coucou dans le Sang d'Ambre). Et là, les correspondances abondent. Vieux héros sur le retour qui a fait pas mal de métiers liés aux armes et fait le mercenaire sur ses vieux jours, avec une taverne crasseuse comme quartier général. Même la description physique colle assez. Et cette phrase, aussi :
"All the fun jobs people are too squeamish or too polite to do themselves."
Soyons clairs, si les correspondances sont fortes, c'est aussi une histoire d'archétype dont on trouve des traces un peu partout, dans Impitoyable ou les aventures d'Alan Quatermain, voire celles du roi Conan. Les divergences sont tout aussi criantes. Mais la phrase me fait quand même penser à un hommage délibéré, à une transposition. Voilà une question que j'aimerais poser à Perez-Reverte.
Et tout ça pour dire, Alatriste comme Grimjack, c'est super bien. Lisez ça.
Commentaires
En tout cas, j'aime bien la façon dont ta mémoire fonctionne et comment tu identifies d'étonnantes connexions entre tes lectures et le monde réel ! C'est presque borgésien ;)