Donc, comme je le disais hier, j'ai été profiter des quais déserts et trempés par la pluie pour aller fumer ma clope tel un Bogart bootleg étiré en longueur, sous la lune (brièvement visible, tout comme Mars qui la voisinait dans le ciel) mais sans voir les canards, pour échapper à l'homélie du chef.
Au retour, j'ai pu constater qu'une fois encore, le rapport signal/bruit de son intervention était similaire à celui des précédentes. Sous les couches de "c'est pas moi" diversement emballé, on pouvait en extraire trois ou quatre phrases signifiantes tout au plus.
Intéressant de noter que nombre de mes contemporains étaient rivés à leur écran, attendant de savoir à quelle sauce ils seraient mangés. Ils se sont donc infligé cet exercice compassé mais à la compassion feinte, ce rituel quasi monarchique (d'autant plus drôle quand, il y a pas dix jours, tout le monde n'avait que le mot "république" à la bouche) (non, en vrai, ça ne me fait plus rire, moi non plus).
Et là, avec les technologies modernes, cette parole se répand jusque dans nos poches via le téléphone portable et ses applis. Une discussion ce matin (en ligne) avec notamment l'affreux Olivier G. (que je ne nommerai pas pour ne pas faire de pub à son anthologie Marmite et Micro-ondes, dont le financement participatif se poursuit) s'est croisée avec un souvenir, celui d'un réveillon, y a quelques temps de ça, où la personne chez qui nous étions tenait à voir les vœux présidentiels. Elle avait mis la télé, et tout en continuait à vider les bouteilles en causant d'autre chose, je n'avais pas pu m'empêcher d'observer l'écran du coin de l'œil. Une chose m'avait frappé : si Sarkozy mimait très bien la parade d'intimidation du grand singe, faite de coups d'épaule se voulant virils et de gonflage de torse, Macron avait un côté Ken. Pas le survivant hein, le copain de Barbie. Un être en plastique injecté, creux, à la mobilité contrainte. Ça m'évoquait les présidents androïdes de Philip K. Dick dans Simulacres, dont les contrats de maintenance sont un secret d'état bien gardé, ou à Spofforth, dans L'oiseau d'Amérique, de Walter Tevis, à la différence près que Spofforth semble avoir une âme, bien sûr.
Depuis, je ne peux plus voir le Président sans voir le plastique. Et donc, ce matin, Olivier et un autre intervenant (que nous appellerons Nim) notaient que le "je serai-là" présidentiel avait quelque chose d'inquiétant. Que cette hyperubiquité, quand traditionnellement, jusqu'à il y a une treizaine d'années, la fonction impliquait un surplomb, une rareté de la parole, une forme de discrétion hiératique du "presidens otiosus" comme pourraient dire les spécialistes, devenait envahissante. Et à l'ère de la démultiplication des moyens de communication, je voyais bien ce que Philip K. Dick, encore lui, aurait pu en tirer.
Un truc avec une technologie en roue libre, un petit Macron holographique et péroreur qui vous suit partout en débitant ses éléments de langages et slogans. Certains citoyens payent des hackers pour désactiver le son, processus complexe s'il en est, mais à la fin du mois, ils finissent forcément par recevoir la facture du Macron, qui est bien entendu obligatoire, majorée parce que la désactivation viole les Terms of Service, sans être illégale en soi, parce que sinon, "ce serait la dictature totalitaire, n'est-ce pas ? et nous ne sommes pas dans une dictature totalitaire, bien sûr. N'est-ce pas ? Plus fort. Merci de votre coopération, citoyen."
Bref. Ce petit fragment de futur phildickien me semblait presque rigolo, jusqu'à ce que je me rappelle cette hypothèse de travail évoquée hier, selon laquelle les "attestations à la con" ne pourraient probablement être générées que dans le cadre de l'appli crapoteuse anti-Covid-mes-couilles (ou un nom dans le genre, j'ai pas retenu, je suis nul en apps téléphoniques), et je me disais qu'en fait, j'avais pas envie d'être prophète en mon pays.
Commentaires