Accéder au contenu principal

Faire du vieux avec des nouveaux dieux

Les lecteurs attentifs auront remarqué les convergences et ressemblances que présentent deux œuvres des années 70 : le Fourth World de Jack Kirby, un ensemble de séries de comic books cosmico épiques, et la trilogie Star Wars de George Lucas, qui a durablement redéfini le cinéma de science-fiction.

Le Fourth World (et particulièrement la série New Gods, où les correspondances sont les plus criantes) étant antérieur à Star Wars de plusieurs années, et George Lucas étant notoirement un lecteur de comics, la thèse de l'emprunt marqué a de nombreux adeptes. Mais les avocats de la Warner (propriétaire de l'éditeur DC Comics, chez qui furent développées les histoires du Fourth World), n'a pas été tirer tout de suite les oreilles du réalisateur de cinéma, et après, il était trop tard. Mais on sait que le script de Star Wars a circulé pendant quelques temps chez les grands studios, y compris la Warner. Il y avait donc une fenêtre de tir pour réagir, mais hélas les producteurs de cinéma ne s'intéressaient visiblement pas assez à ce que faisait la branche bandes dessinées du groupe. Si ça avait été le cas...

...

Un producteur éclate de rire au nez de Lucas. Celui-ci, habitué aux rebuffades, tourne les talons. Mais un des gorilles du studio l'oblige à regagner son siège. Le producteur jubile en expliquant le problème au jeune homme barbu venu lui présenter son projet : "si ce film se fait de cette manière, la Warner attaquera en plagiat et contrefaçon et vous finirez en slip. Star Wars ne verra jamais le jour, je vous le garantis."

Lucas pique du nez comme un gamin surpris le doigt dans le bocal de confiture. Le sourire du producteur s'élargit. "Quand vous êtes allé voir United Artists, vous leur avez promis monts et merveilles en matières d'effets spéciaux. Des trucs jamais vus. C'est sérieux, ou c'est aussi tocard que votre scénar, mon garçon ?" Lucas retrouve sa combativité : "on avait de quoi faire fonctionner ce script, en mettre plein la vue. Ça représenterait un gros investissement de départ, mais on peut créer un truc énorme, épique, et que les gens y croient."

Le producteur sort un crayon rouge. Il parcourt le scénar, et commence à en biffer des passages et des noms. "Autant que le masque tombe, alors", dit-il au cinéaste tremblant. Il lui rend les pages dactylographiées. Le nom Darth Vader a été rayé. Et remplacé par Darkseid. La Force est redevenue Astro-Force. Luke s'appelle à présent Orion. Ce que Lucas a dans les mains, ce n'est plus Star Wars, c'est New Gods, the Motion Picture.

"Vous voyez, mon cher George… Vous permettez que je vous appelle George, au fait ? C'est bien ce que je pensais. Bref. Votre maquillage était trop transparent. Donc autant s'en passer, pas vrai ? Si vous êtes capables de tenir ce que vous promettez, alors New Gods sera une date dans l'histoire du cinéma, je vous le garantis."

Le soir venu, une fois rentré dans sa garçonnière de Modesto, Lucas appelle son complice Gary Kurtz.

"On est grillés", lui fait-il. "Ils ont reconnu cette BD sous nos couches de réécriture."

"Et merde, qu'est-ce qu'on fait ?"

"On fait le film. Sauf que ce sera l'adaptation officielle de la BD. Et qu'on a le budget qui nous manquait."

La suite, c'est de l'histoire. Marlon Brando pour faire le maléfique Darkseid (doublé en post prod par James Earl Jones, parce qu'il n'arrivait pas à parler dans le micro de sa minerve de Von Stroheim cosmique) . Peter Cushing en malfaisant DeSaad, son âme damnée. Mark Hammil en Orion, Alec Guinness en Highfather, Harrison Ford en Scot Free, Carie Fisher en Lil'Barda, Peter Mayhew en Big Bear ou Kenny Baker en Oberon. De grosses différences avec la BD, néanmoins, mais les effets spéciaux promis sont au rendez-vous. New Gods Episode IV : a New Pact est un carton intergalactique immédiat. Lucas se voit propulsé grand manitou à Hollywood, mais se retrouve rapidement en conflit avec Warner, qui ne veut rien lâcher sur les droits dérivés.

Une suite est rapidement mise en chantier, appelée Apokolips Strikes Back (sans Brando, devenu trop cher : il sera remplacé par le jeune Ron Perlman, dont le créateur des maquillages, Phil Tippet dira : "c'est génial, avec lui j'ai presque rien à faire, juste à lui coller une minerve de l'espace") pendant que DC Comics veut capitaliser sur ce succès en lançant un film Superman et en fouillant son catalogue à la recherche de licences exploitables.

Steven Spielberg héritera ainsi des Challengers of the Unknown, un vieux titre d'aventures qu'il a carte blanche pour réinventer. Ce sera chose faite avec Challengers of the Lost Ark, haletant film d'action co-écrit avec Lucas, dans lequel Harrison Ford, John Rhys Davies, Jacques Dutronc (remplacé au pied levé par Tom Selleck après une brouille) et Karen Allen (un des personnages masculins de la BD ayant été remplacé par un personnage féminin) explorent au mépris du danger les secrets et mystères du monde. Nouveau carton au box office, qui remet Lucas en selle. S'il n'avait pas la main sur Apokolips Strikes Back, confié à un réalisateur moins ambitieux, le voilà mur pour produire Return of the Genesis, qui clôt la trilogie dans un déluge pyrotechnique et un combat d'anthologie entre le primitif Peuple Insecte et les hordes mécanisées de Darkseid.

La suite sera moins glorieuse pour lui. Si Challengers and the Temple of Doom confirme le succès  des risque-tout menés par Harrison Ford, Captain Carot est un échec aussi bien artistique que commercial. C'est une éclipse qui commence pour Lucas, écarté des centres de décision et de grosses licences comme Batman. S'il parvient encore à se greffer sur Challengers and the Last Crusade, il reste essentiellement replié sur ses terres, au Orion Ranch, à bouder en développant de nouvelles techniques en image de synthèse qui lui permettront "de me passer de tous ces connards".

Puis, en 1994, Jack Kirby meurt. Kirby avait créé les New Gods et le Fourth World. Si les droits étaient détenus par la Warner, les fans voyaient en lui l'autorité morale sur le sujet. Cette aura se reporta alors sur Lucas, qui saisit sa chance. Il retourne voir Warner, et propose une réfection de la trilogie, pour la mettre à niveau en termes d'effets spéciaux avec les productions de l'époque, comme les War that Time forgot de son copain Spielberg, avec leurs dinosaures terrifiants de réalisme, ou le Days of Future Past 2 de James Cameron, avec Arnold Schwarzenneger dans le rôle du mutant temporel Cable, et Robert Patrick dans celui de son ennemi métamorphe Mister Sinister.

L'Edition Spéciale des New Gods fut diversement reçue par les fans. Si les effets spéciaux étaient effectivement de haut niveau, des tripatouillages, comme une scène où Mister Miracle ne frappe plus le premier, font froncer le nez. Qu'importe à Lucas, qui s'est remis en position pour lancer une Prélogie racontant l'échange des héros, la façon dont Mister Miracle et Orion ont été échangés à la naissance pour garantir le statu-quo. Les fans attendaient ça depuis vingt ans.

The Phantom Pact décevra terriblement. Si la synthèse est omniprésente, la magie de Kirby semble s'être enfuie. Lucas s'est approprié cet univers et même les designs n'ont plus la patte du mâchonneur de cigares de Brooklyn. Attack of the Parademons rectifiera un peu le tir. Mais un peu seulement. John Byrne en directeur artistique, c'est bien, mais il s'avère au moins aussi révisionniste que George Lucas lui-même. Le personnage d'Uxas, futur Darkseid, peine à convaincre. Revenge of the Source permet de reboucler les choses et de ramener un peu de Kirby's touch, et des séries de dessins animés sont chargées de boucler les trous de l'intrigue.

Lucas s'est bien reconstruit un empire, mais c'est un empire étouffant et monstrueux, un empire qui a fait de lui son Darkseid...

Commentaires

MUNARO! a dit…
Lavitch, tu es fou! Et j'adore!!!

Posts les plus consultés de ce blog

Le grand méchoui

 Bon, l'info est tombée officiellement en début de semaine : Les Moutons électriques, c'est fini. Ça aura été une belle aventure, mais les événements ont usé et ruiné peu à peu une belle maison dans laquelle j'avais quand même publié dix bouquins et un paquet d'articles et de notules ainsi qu'une nouvelle. J'ai un pincement au coeur en voyant disparaître cet éditeur et j'ai une pensée pour toute l'équipe.   Bref. Plein de gens me demandent si ça va. En fait, oui, ça va, je ne suis pas sous le choc ni rien, on savait depuis longtemps que ça n'allait pas, j'avais régulièrement des discussions avec eux à ce sujet, je ne suis pas tombé des nues devant le communiqué final. Qu'est-ce que ça veut dire concrètement ? Que les dix bouquins que j'évoquais plus haut vont quitter les rayonnages des libraires. Si vous êtes en retard sur Cosmonautes ! ou sur Le garçon avait grandi en un gast pay s, notamment, c'est maintenant qu'il faut aller le...

Writever janvier, part 1

 Tiens, ça faisait longtemps que j'avais pas participé au Writever. J'avais lâché l'affaire au moment où la connexion internet était devenue un enfer. Comme c'est un exercice marrant, et qui m'a bien aidé à des moments où j'avais des pannes d'écriture, c'est pas plus mal de m'y remettre. Le thème, "fucking tech!", à un moment où Musk est sur les rangs pour devenir maître du monde, c'est peut-être de saison. 1- Réaliste "Soyez réaliste, on ne peut pas avoir cette option, c'est trop de complications et de risques." C'est comme une âme en peine qu'il ressorti de la boutique PinApple. Ce n'était pas encore avec cette génération-là qu'il pourrait faire de l'irish coffee avec son smartphone. 2- Accessoire On a accessoirisé les machines, on passe aux utilisateurs. Les écouteurs et la montre turboconnectés? Ringard. Maintenant il y a le contrôleur dentaire, trois dents sur pivots qu'on titille de la langu...

Par là où tu as pêché

 Ma lecture du moment, hors comics et trucs pour le boulot (et y en a des palanquées, de ça), ça aura été The Fisherman , de John Langan, apparemment la grosse sensation de cet hiver. Un roman épais à la jolie couverture, dont le pitch est simple : c'est l'histoire d'un mec qui va à la pêche pour oublier ses soucis personnels. Bon, en vrai, c'est sa manière de gérer le deuil, et le vrai thème, il est là. Notre protagoniste a perdu sa femme d'un cancer et en reste inconsolable. La pêche, c'est son moyen de ventiler tout ça, sans pour autant régler le problème. Il écume les rivières de la région, les Catskills, une zone montagneuse dans l'arrière-pays de New York. Un beau jour, il embarque avec lui un collègue qui a perdu sa famille dans un accident de voiture et le vit encore plus mal. J'en dis pas plus pour l'instant. John Langan, l'auteur, est assez inconnu par chez nous. C'est son deuxième roman, il a par contre écrit une palanquée de nouve...

Executors

 Dans mon rêve de cette nuit, j'étais avec un groupe d'amis dans un café, quand un bus scolaire s'est rangé devant. En descend une espèce de proviseur aux faux airs de Trump, et une cohorte de mômes en uniforme scolaire à la con, type anglais ou japonais, ou école catho peut-être : blasers, jupes plissées, écussons. Le proviseur fait "allez-y, faites le ménage" et les mômes sortent des Uzi et des fusils à pompe. Ils défoncent tous ceux qui sont attablés en terrasse. On arrive à se planquer sous les tables avec mon groupe, et on s'enfuit par la porte de derrière sans demander notre reste. Pas question de jouer les héros face à ces écoliers au regard vide. On zigzague dans des ruelles, mais chaque fois qu'on retombe sur une avenue, des bus scolaires s'arrêtent et vomissent leur contenu de gamins en uniforme. L'accès à la gare du métro aérien est coupé. On voit des cadavres ensanglantés dévaler les marches. En haut, c'est la fusillade. Dans les ru...

Au ban de la société

 Tiens, je sais pas pourquoi (peut-être un trop plein de lectures faites pour le boulot, sur des textes ardus, avec prise de note) j'ai remis le nez dans les Justice Society of America de Geoff Johns, période Black Reign . J'avais sans doute besoin d'un fix de super-héros classique, avec plein de persos et de pouvoirs dans tous les sens, de gros enjeux, etc. Et pour ça, y a pas à dire JSA ça fait très bien le job. La JSA, c'est un peu la grand-mère des groupes super-héroïques, fondée dans les années 40, puis réactivée dans les années 60 avec les histoires JLA/JSA su multivers. C'étaient les vieux héros patrimoniaux, une époque un peu plus simple et innocente. Dans les années 80, on leur avait donné une descendance avec la série Infinity Inc . et dans les années 90, on les avait réintégrés au prix de bricolages divers à la continuité principale de DC Comics, via la série The Golden Age , de James Robinson et Paul Smith, qui interprétait la fin de cette époque en la...

À la Dune again

 Bon, je viens de finir Dune Prophecy, la série télé dans l'univers de Dune , conçue pour être raccord avec les films de Villeneuve. Et, forcément, je suis partagé. Comme toujours avec ce genre de projets, on peut y trouver autant de qualités que de défauts. La production value est chouette, ça essaie de coller à l'esthétique des films, le casting est plutôt bien, c'est pas mal mené, distillant du mystère retors et du plan dans le plan. De ce point de vue, mission accomplie. Après, c'est assez malin pour s'insérer dans la continuité des bouquins de Brian Herbert et Kevin J. En Personne sans les adapter directement, histoire de pouvoir inventorier les trucs moisis. Ça n'y arrive pas toujours, et ça rajoute des idées à la con (des scènes de bar, franchement, dans Dune , quelle faute de goût) et ça reste prisonnier de ce cadre. Mais ça essaie de gérer et de ce point de vue, c'est plutôt habile. Où est le problème ? me direz-vous ? Bon, on en a déjà causé, mais...

La fin du moooonde après la fin de l'année

Edit : Bon, c'est annulé vu la nouvelle qui vient de tomber.      Ah, tiens, voilà qu'on annonce pour l'année prochaine une autre réédition, après mon Cosmonautes : C'est une version un peu augmentée et au format poche de mon essai publié à l'occasion de la précédente fin du monde, pas celle de 2020 mais celle de 2012. Je vous tiens au courant dès que les choses se précisent. Et la couve est, comme de juste, de Melchior Ascaride.

Perte en ligne

 L'autre soir, je me suis revu Jurassic Park parce que le Club de l'Etoile organisait une projo avec des commentaires de Nicolas Allard qui sortait un chouette bouquin sur le sujet. Bon outil de promo, j'avais fait exactement la même avec mon L'ancelot y a quelques années. Jurassic Park , c'est un film que j'aime vraiment bien. Chouette casting, révolution dans les effets, les dinos sont cools, y a du fond derrière (voir la vidéo de Bolchegeek sur le sujet, c'est une masterclass), du coup je le revois de temps en temps, la dernière fois c'était avec ma petite dernière qui l'avait jamais vu, alors qu'on voulait se faire une soirée chouette. Elle avait aimé Indiana Jones , je lui ai vendu le truc comme ça : "c'est le mec qui a fait les Indiana Jones qui fait un nouveau film d'aventures, mais cette fois, en plus, y a des dinos. Comment peut-on faire plus cool que ça ?" Par contre, les suites, je les ai pas revues tant que ça. L...

La fille-araignée

Tiens, ça fait une paye que j'avais pas balancé une nouvelle inédite... Voilà un truc que j'ai écrit y a 6 mois de ça, suite à une espèce de cauchemar fiévreux. J'en ai conservé certaines ambiances, j'en ai bouché les trous, j'ai lié la sauce. Et donc, la voilà... (et à ce propos, dites-moi si ça vous dirait que je fasse des mini-éditions de certains de ces textes, je me tâte là-dessus) Elle m’est tombée dessus dans un couloir sombre de la maison abandonnée. Il s’agissait d’une vieille villa de maître, au milieu d’un parc retourné à l’état sauvage, jouxtant le canal. Nul n’y avait plus vécu depuis des décennies et elle m’avait tapé dans l’œil un jour que je promenais après le travail, un chantier que j’avais accepté pour le vieil épicier du coin. J’en avais pour quelques semaines et j’en avais profité pour visiter les alentours. Après avoir regardé autour de moi si personne ne m'observait, je m’étais glissé dans une section effondrée du mur d’enceinte, j’...

Sonja la rousse, Sonja belle et farouche, ta vie a le goût d'aventure

 Je m'avise que ça fait bien des lunes que je ne m'étais pas penché sur une adaptation de Robert E. Howard au cinoche. Peut-être est-ce à cause du décès de Frank Thorne, que j'évoquais dernièrement chez Jonah J. Monsieur Bruce , ou parce que j'ai lu ou relu pas mal d'histoires de Sonja, j'en causais par exemple en juillet dernier , ou bien parce que quelqu'un a évoqué la bande-son d'Ennio Morricone, mais j'ai enfin vu Red Sonja , le film, sorti sous nos latitudes sous le titre Kalidor, la légende du talisman .   On va parler de ça, aujourd'hui Sortant d'une période de rush en termes de boulot, réfléchissant depuis la sortie de ma vidéo sur le slip en fourrure de Conan à comment lui donner une suite consacrée au bikini en fer de Sonja, j'ai fini par redescendre dans les enfers cinématographiques des adaptations howardiennes. Celle-ci a un statut tout particulier, puisque Red Sonja n'est pas à proprement parler une création de Robert H...