Le messager de l'Apocalypse avait le visage noir comme la suie. Faut dire que je crois qu'il était Sénégalais, ça aide. Il est venu toquer à ma porte à l'improviste, porteur de deux paquets qu'il me tendit avec le sourire.
J'identifiai sans peine le premier : l'exemplaire d'une édition luxe de The League of Extraordinary Gentlemen, par Moore et O'Neill, que j'avais commandée à vil prix chez un libraire en ligne. Je l'ouvris avec délice, en me disant qu'il faudrait que je trouve un pote à qui refiler mes vieux fascicules de la série.
L'autre carton était plus lourd. Plus gros. Plus scotché de partout, comme si on avait peur que son contenu s'en échappe pour répandre terreur et désolation à l'entour*. Prenant mon courage à deux mains et une paire de ciseau de la troisième (y a que Fukushima qui m'aille), j'ouvris l'étrange parallélépipède de carton. Son contenu était pire que terrifiant : il était apocalyptique.
Mais une image vaut mieux qu'on long discours. Ce qui était tapi dans la boite, ce n'était pas un diable à ressort ou les tourments de Pandore. C'était ça :
Et en plusieurs exemplaires. Ce qui veut dire que dans tout juste deux semaines, vous pourrez vous aussi vous procurer le vôtre. Plus qu'un guide dévoilant les moyens de trouver sa voie en une époque qui se cherche, Apocalypses une brève histoire de la fin des temps est un remède souverain à l'apophénie (mais en vertu du principe selon lequel il faut soigner le mal par le mal), un moyen simple de briller en société si vous êtes invité à dîner un 21 décembre, un décryptage habile de la tendance et de la mode en matière de fin du monde. Bref, un indispensable cette saison.
Voilà voilà.
Bon, par contre, j'ai croisé en me promenant un type en pantalon de jogging et T-shirt frappé du logo Calvin Klein Jeans. Et ça m'a fait des nœuds au cerveau.
Primo, j'ignorais que Calvin Klein faisait des jeans. J'en étais resté au slips et aux eaux de toilette.
Deuzio, je trouve un peu idiot de mettre une marque de pantalon en travers d'un T-shirt, pour une simple raison de cohérence mentale.
Troizio, porter un tel T-shirt sans porter le jean qui va avec me semble un contre-sens : on porte un logo sur son t-shirt pour monter qu'on aime la chose dont on porte le logo. En général, les gens qui portent un t-shirt Iron Maiden écoutent la musique d'Iron Maiden. Les gens qui portent un t-shirt à croix gammée aiment bien l'oeuvre du petit Adolf H., de Braunau. Et si on aime vraiment les jeans CK, on en porte, au lieu de mettre un pantalon de jogging (en plus, je fais partie de ce courant de pensée qui considère que l'inventeur du pantalon de jogging mérite la damnation éternelle).
Quatrzio, il peut arriver qu'on porte un T-shirt par goût de la subtile ironie, par exemple un biker barbu à bracelet clouté portant un T-shirt Mon Petit Poney** ou un boulanger viennois mettant des croissants en vitrine après une invasion turque ratée***. Mais le style avachi et à caquette + casque Doctor Dre du type me portait à penser que l'ironie subtile et la notion de terrorisme mémétique lui échappaient à peu près complètement.
Ilvasortirleptitoizio, peut-être que je suis juste fatigué et que je cherche du sens où il n'y en a pas, mais bon, si je porte des t-shirts sans logo (hormis un T-shirt Fulchibar pour les grandes occasions), c'est justement que je crois que porter un logo est un acte chargé, censé avoir du sens. Mais bon, le sens, dans ce monde, c'est sans doute une denrée qui se raréfie.
* Oui, j'aime bien les orthographes un peu désuètes, en ce moment. J'ai des petites crises de coquetterie sémantique, comme ça.
** Oui. Tout comme je dis encore Serval à la place de Wolverine, et Raider à la place de Twix, j'emploie encore l'ancienne dénomination en ce qui concerne Mon Petit Poney. Gardarem lo Petit Poney.
*** Rigolez pas, c'est arrivé. C'est même exactement comme ça que les croissants ont été inventés, pour commémorer la victoire des viennois sur les troupes turques, dont l'étendard était frappé du croissant.
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