Suivant l'humeur, les gens présents, l'ambiance et bien entendu les données corrigées des variations saisonnières, je peux répondre de façon très différente aux questions sur mon absence d'appétence pour la chose automobile (là, par exemple, je suis d'humeur guillerette, alors je dis "absence d'appétence pour la chose automobile" au lieu de dire, par exemple "ma haine viscérale pour ces poubelles à roulettes qui puent"). De fait, à quarante ans passés, je n'ai pas de bagnole, pas le permis, et aucune ambition d'avoir l'un ou l'autre. Et donc, quand les gens ouvrent de grands yeux, tant dans notre civilisation suicidaire l'automobilité semble systématiquement associée à la normalité, je suis parfois sommé de détailler ma position.
Et donc, selon l'humeur et tout ce qui s'ensuit, ma position s'énonce des façons suivantes, mais énoncées alternartivement :
- On me dit depuis tellement longtemps "boire ou conduire, il faut choisir", que j'ai choisi de façon définitive et irrévocable. Par patriotisme, je soutiens la filière viticole de mon pays, et par universalisme, la filière spiritueux de plusieurs pays de l'Est. (mais pas la filière Whisky, parce que le Whisky est une boisson bourgeoise, occidentale et décadente. alors que la Vodka, le Rakija et l'Aquavit, non.) (Le Cognac a des aspects bourgeois et décadents, mais mon patriotisme alcoolémique l'emporte à tout coup sur mon sectarisme post prolétarien).
- La bagnole rend cons les gens, et je suis déjà bien assez con comme ça sans en rajouter. J'ai souvent remarqué l'effet pernicieux de la voiture sur les gens. Des personnes civiles et civilisées le reste du temps deviennent des charretiers irresponsables quand on leur colle un volant entre les mains. Aucun ne tolère chez les autres ce qu'il fait lui-même. Quand un conducteur a un accident quelconque, ce n'est jamais de sa faute, toujours celle du con d'en face qui avait peut-être priorité, mais allait un poil trop vite, ou a viré trop serré, ou n'a pas mis son clignotant, ou si, il l'avait mis mais on le voyait pas bien, etc. La bagnole racornit l'âme à un degré qui m'a toujours semblé répugnant.
- La bagnole fait en France plus de morts en une semaine que les attaques de requins en font en un an dans le monde entier. Et pourtant, à part en banlieue à la Saint Sylvestre, personne n'organise de battues et de campagnes d'exterminations des bagnoles, alors qu'on parle d'exterminer les requins. Cette hypocrisie m'escagasse et je refuse donc d'y souscrire en rentrant dans le jeu automobile. (de fait, la bagnole a encore tué pas plus tard que la semaine dernière quelqu'un dont j'appréciais à la fois le travail et les quelques échanges que nous avions eu jadis. et à par Le Monde, aucun gros média ne semble en avoir parlé. Alors que si Pascal Obispo se tuait en bagnole, on aurait droit au choeur des pleureuses siciliennes en boucle pendant une semaine) (après, c'est aussi une des raisons pour lesquelles je me fous de la belle gueule de James Dean chaque fois que j'en ai l'occasion)
- On me dit que la bagnole est un gain de temps, mais il se trouve que j'ai fait le calcul : pour les deux à trois heures effectives qu'une bagnole pourrait me gagner par semaine, il faudrait que j'en bosse au moins autant pour payer ladite bagnole, sans même compter l'essence, l'assurance, le parking et les réparations éventuelles. Le coup du temps gagné grâce à la bagnole, c'est une des plus belles escroqueries du siècle.
- Je lutte à mon petit niveau contre la logique comptable de nos gouvernants. La voiture reste le nerf de la guerre des politiques industrielles et économiques pour une raison bien simple : une voiture vendue, c'est déjà d'emblée autant de circulation d'argent que 10.000 baguettes de pain, 1.000 bouquins, ou 500 ordinateurs. Et en plus, la voiture une fois vendue continue à faire circuler plein de pognon, via les assurances, taxes sur l'essence, péages, parkings, radars automatiques, réparations... The gift that keeps on giving. On n'est même plus dans une arnaque, à ce stade, mais dans un racket organisé, d'autant plus efficace que les victimes sont consentantes. Pas envie de me faire arnaquer comme ça. Si j'ai le pognon pour 1.000 bouquins, je préfère m'acheter 1.000 bouquins qui me procureront du plaisir et consoleront parfois même mon âme plutôt qu'une boite en fer qui ne pourra m'attirer que des emmerdes.
Mais tout ça, en fait, c'est presque véniel. Le vrai problème de la bagnole, le plus insidieux, il est ailleurs.
Mais revenons vingt ans en arrière. à l'époque, jeune et naïf, et plutôt conciliant, j'avais accepté sous la pression de mon entourage de passer le permis. Je ne me faisais pas une montagne de la chose : je voyais bien que de parfaits abrutis arrivaient à l'obtenir du premier coup. D'ailleurs, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de parfaits abrutis sur nos routes.
Et au cours de code, ce fut le choc. Les deux outils qui m'avaient tant aidé par le passé, le raisonnement et l'instinct, ne m'étaient d'aucun secours. Tenter de donner une réponse intelligente et logique à une question de code de la route, c'était l'échec quasi assuré. Certes, il semblait bien y avoir une logique dans le système, mais elle était tellement arbitraire et contre intuitive qu'il fallait la bachoter au cas par cas d'un bout à l'autre. L'horreur. Alors que j'avais de super notes en pharmacologie en me contentant d'apprendre entre 5 et 10 % du cours, les 5 ou 10 % axiomatiques dont on pouvait inférer et déduire tout le reste à la volée et par le seul raisonnement. En code de la route ? Pas possible de faire comme ça. J'ai tenu une dizaine d'heures, avant de me dire que j'avais assez perdu de temps avec ces conneries, de me barrer en claquant la porte et sans même tenter l'examen. Et sans la moindre espèce de regret. Je sais bien que l'intuition et le raisonnement ont leurs limites, qu'il est bon d'avoir explorées. Mais ils demeurent des outils universels, la solution de repli qui marche à tout coup en cas de doute et de situation imprévue. à tout coup... Sauf en code de la route.
Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de mettre le nez dans des études sur les méthodes de torture psychologique employées pendant la guerre de Corée et dans les camps de rééducation en Chine Populaire. L'apprentissage du code de la route fonctionne exactement de la même façon. La sanction tombe dès qu'on s'avère incapable de raisonner dans le seul cadre du système arbitraire qu'on cherche à imposer. On ne récompense pas l'effort ni la qualité du raisonnement, contrairement à ce qui peut se passer en cours de maths, même en cas d'erreur de résultat. On ne récompense que l'adéquation parfaite avec le système, si aberrant et contre intuitif soit-il. Et pour parvenir à cette adéquation, il faut s'astreindre à méthodiquement mettre en veille toute forme d'intuition et de raisonnement logique conventionnel. Vu le temps de réaction limité dont on dispose en voiture, il faut que l'application de la logique délirante du code soit intégrée au niveau du réflexe mental prioritaire.
C'est d'autant plus malsain et vicieux que, dans notre société, le passage du permis est un rituel d'accession à l'âge adulte. Être adulte, c'est être autonome, et être autonome, c'est avoir une voiture. Le passage à l'âge adulte s'accompagne donc d'un apprentissage, d'un conditionnement poussé qui conduit à nier les outils intellectuels de base. Pour devenir un adulte responsable, il faut mettre son intelligence et son esprit critique dans sa poche et apprendre le Code. Avec l'apprentissage sous-jacent du "c'est comme ça et pas autrement, alors tu fais comme on t'a dit et tu fermes ta gueule, c'est le prix de ton droit de vote, connard". En associant passage à l'âge adulte et passage du code et du permis, on se fabrique un corps citoyen qui tout en croyant du comme fer à l'imagerie individualiste de la bagnole (encore une belle escroquerie, il suffit de voir un bouchon sur le périf pour se convaincre que cinquante mille individualistes vont tous dans la même direction et à la même non vitesse quand on les met ensemble) se retrouve coulé dans un moule conceptuel et comportemental qui m'inquiète au plus haut degré.
Refuser la bagnole, c'est un devoir d'hygiène éthique.
Et donc, selon l'humeur et tout ce qui s'ensuit, ma position s'énonce des façons suivantes, mais énoncées alternartivement :
- On me dit depuis tellement longtemps "boire ou conduire, il faut choisir", que j'ai choisi de façon définitive et irrévocable. Par patriotisme, je soutiens la filière viticole de mon pays, et par universalisme, la filière spiritueux de plusieurs pays de l'Est. (mais pas la filière Whisky, parce que le Whisky est une boisson bourgeoise, occidentale et décadente. alors que la Vodka, le Rakija et l'Aquavit, non.) (Le Cognac a des aspects bourgeois et décadents, mais mon patriotisme alcoolémique l'emporte à tout coup sur mon sectarisme post prolétarien).
- La bagnole rend cons les gens, et je suis déjà bien assez con comme ça sans en rajouter. J'ai souvent remarqué l'effet pernicieux de la voiture sur les gens. Des personnes civiles et civilisées le reste du temps deviennent des charretiers irresponsables quand on leur colle un volant entre les mains. Aucun ne tolère chez les autres ce qu'il fait lui-même. Quand un conducteur a un accident quelconque, ce n'est jamais de sa faute, toujours celle du con d'en face qui avait peut-être priorité, mais allait un poil trop vite, ou a viré trop serré, ou n'a pas mis son clignotant, ou si, il l'avait mis mais on le voyait pas bien, etc. La bagnole racornit l'âme à un degré qui m'a toujours semblé répugnant.
- La bagnole fait en France plus de morts en une semaine que les attaques de requins en font en un an dans le monde entier. Et pourtant, à part en banlieue à la Saint Sylvestre, personne n'organise de battues et de campagnes d'exterminations des bagnoles, alors qu'on parle d'exterminer les requins. Cette hypocrisie m'escagasse et je refuse donc d'y souscrire en rentrant dans le jeu automobile. (de fait, la bagnole a encore tué pas plus tard que la semaine dernière quelqu'un dont j'appréciais à la fois le travail et les quelques échanges que nous avions eu jadis. et à par Le Monde, aucun gros média ne semble en avoir parlé. Alors que si Pascal Obispo se tuait en bagnole, on aurait droit au choeur des pleureuses siciliennes en boucle pendant une semaine) (après, c'est aussi une des raisons pour lesquelles je me fous de la belle gueule de James Dean chaque fois que j'en ai l'occasion)
Mel Gibson est une des icônes de la fantasmatique automobile
C'est bien la preuve que c'est un truc de beauf abruti
- On me dit que la bagnole est un gain de temps, mais il se trouve que j'ai fait le calcul : pour les deux à trois heures effectives qu'une bagnole pourrait me gagner par semaine, il faudrait que j'en bosse au moins autant pour payer ladite bagnole, sans même compter l'essence, l'assurance, le parking et les réparations éventuelles. Le coup du temps gagné grâce à la bagnole, c'est une des plus belles escroqueries du siècle.
- Je lutte à mon petit niveau contre la logique comptable de nos gouvernants. La voiture reste le nerf de la guerre des politiques industrielles et économiques pour une raison bien simple : une voiture vendue, c'est déjà d'emblée autant de circulation d'argent que 10.000 baguettes de pain, 1.000 bouquins, ou 500 ordinateurs. Et en plus, la voiture une fois vendue continue à faire circuler plein de pognon, via les assurances, taxes sur l'essence, péages, parkings, radars automatiques, réparations... The gift that keeps on giving. On n'est même plus dans une arnaque, à ce stade, mais dans un racket organisé, d'autant plus efficace que les victimes sont consentantes. Pas envie de me faire arnaquer comme ça. Si j'ai le pognon pour 1.000 bouquins, je préfère m'acheter 1.000 bouquins qui me procureront du plaisir et consoleront parfois même mon âme plutôt qu'une boite en fer qui ne pourra m'attirer que des emmerdes.
Mais tout ça, en fait, c'est presque véniel. Le vrai problème de la bagnole, le plus insidieux, il est ailleurs.
Mais revenons vingt ans en arrière. à l'époque, jeune et naïf, et plutôt conciliant, j'avais accepté sous la pression de mon entourage de passer le permis. Je ne me faisais pas une montagne de la chose : je voyais bien que de parfaits abrutis arrivaient à l'obtenir du premier coup. D'ailleurs, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de parfaits abrutis sur nos routes.
Et au cours de code, ce fut le choc. Les deux outils qui m'avaient tant aidé par le passé, le raisonnement et l'instinct, ne m'étaient d'aucun secours. Tenter de donner une réponse intelligente et logique à une question de code de la route, c'était l'échec quasi assuré. Certes, il semblait bien y avoir une logique dans le système, mais elle était tellement arbitraire et contre intuitive qu'il fallait la bachoter au cas par cas d'un bout à l'autre. L'horreur. Alors que j'avais de super notes en pharmacologie en me contentant d'apprendre entre 5 et 10 % du cours, les 5 ou 10 % axiomatiques dont on pouvait inférer et déduire tout le reste à la volée et par le seul raisonnement. En code de la route ? Pas possible de faire comme ça. J'ai tenu une dizaine d'heures, avant de me dire que j'avais assez perdu de temps avec ces conneries, de me barrer en claquant la porte et sans même tenter l'examen. Et sans la moindre espèce de regret. Je sais bien que l'intuition et le raisonnement ont leurs limites, qu'il est bon d'avoir explorées. Mais ils demeurent des outils universels, la solution de repli qui marche à tout coup en cas de doute et de situation imprévue. à tout coup... Sauf en code de la route.
Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de mettre le nez dans des études sur les méthodes de torture psychologique employées pendant la guerre de Corée et dans les camps de rééducation en Chine Populaire. L'apprentissage du code de la route fonctionne exactement de la même façon. La sanction tombe dès qu'on s'avère incapable de raisonner dans le seul cadre du système arbitraire qu'on cherche à imposer. On ne récompense pas l'effort ni la qualité du raisonnement, contrairement à ce qui peut se passer en cours de maths, même en cas d'erreur de résultat. On ne récompense que l'adéquation parfaite avec le système, si aberrant et contre intuitif soit-il. Et pour parvenir à cette adéquation, il faut s'astreindre à méthodiquement mettre en veille toute forme d'intuition et de raisonnement logique conventionnel. Vu le temps de réaction limité dont on dispose en voiture, il faut que l'application de la logique délirante du code soit intégrée au niveau du réflexe mental prioritaire.
C'est d'autant plus malsain et vicieux que, dans notre société, le passage du permis est un rituel d'accession à l'âge adulte. Être adulte, c'est être autonome, et être autonome, c'est avoir une voiture. Le passage à l'âge adulte s'accompagne donc d'un apprentissage, d'un conditionnement poussé qui conduit à nier les outils intellectuels de base. Pour devenir un adulte responsable, il faut mettre son intelligence et son esprit critique dans sa poche et apprendre le Code. Avec l'apprentissage sous-jacent du "c'est comme ça et pas autrement, alors tu fais comme on t'a dit et tu fermes ta gueule, c'est le prix de ton droit de vote, connard". En associant passage à l'âge adulte et passage du code et du permis, on se fabrique un corps citoyen qui tout en croyant du comme fer à l'imagerie individualiste de la bagnole (encore une belle escroquerie, il suffit de voir un bouchon sur le périf pour se convaincre que cinquante mille individualistes vont tous dans la même direction et à la même non vitesse quand on les met ensemble) se retrouve coulé dans un moule conceptuel et comportemental qui m'inquiète au plus haut degré.
Refuser la bagnole, c'est un devoir d'hygiène éthique.
Commentaires
Par contre, c'est plus difficile de faire comprendre aux gens qu'avec le permis, je n'ai jamais eu de voiture (et n'en veut pas)
Au milieu de ta saillie avec laquelle je suis plutôt d'accord, il y a quand même de grosses bêtises. Le temps perdu quand tu n'as pas de voiture et que tu es salarié, avec des horaires fixes, c'est du temps perdu. Tu ne bosseras pas plus pour gagner l'argent de ta voiture. La voiture te fait gagner du temps, hors travail. Du temps de vie.
D'autre part, tu n'imagines pas comment la bagnole a révolutionné la vie dans les campagnes. Enfin si, peut-être, mais tu n'en parles. Avant de devenir la pompe à fric que tu définie très bien, la voiture a été un formidable outil d'émancipation. Puis c'est devenu une facilité.
De fait, mon problème n'est pas avec la bagnole en soi. il y a même des bagnoles que j'aime d'un amour pur d'adolescent, la Lotus Seven, la Duesenberg Phaeton, la Traction Avant, des voitures qui pour le coup se chargent d'une fantasmatique un peu décalée.
Le problème n'est même pas avec la pompe à fric débile (il y en a tant d'autres, comme la téléphonie mobile, la pop music, le sponsoring sportif), c'est précisément ce qu'elle est devenue et que tu nommes avec à propos : une facilité. Et très exactement ce genre de facilité qui rend les gens paresseux à tout plein de niveaux, s'ils ne prennent pas conscience du problème.