Accéder au contenu principal

Sale année pour le futur



Entre Ray Bradbury qui a passé l'arme à gauche avant  les vacances, Roland C. Wagner mort plus tôt ce mois-ci et Neil Armstrong décédé hier soir, on peut dire que ça va mal pour le futur. Notre futur se meurt à mesure que ceux qui le rêvent ou l'incarnent tirent la révérence et se retrouvent enfermés dans un passé figé. Vous noterez que je n'inclus pas Steve Jobs dans les incarnations du futur. Le futur vendu par Jobs (et Zuckerberg et les autres de cet acabit), en fait, il ne m'intéresse pas tellement, je le considère même comme une escroquerie : l'iphone et fèces-bouc, ce n'est pas le futur, c'est le culte de l'immédiateté, c'est l'enfermement dans le présent, justement, avec juste un petit vernis technophile qui, sur le fond, était déjà moisi à l'époque du futurisme italien. C'est baisser la tête pour voir ses messages inutiles genre "je like" ou "kikoulol", alors que Ray Bradbury et Roland C. Wagner nous forçaient à voir plus loin, et Neil Armstrong, plus haut. Ils nous apprenaient à rêver à des choses plus grandes que nous.

Mais comme disait Queyssi : "On nous a volé notre futur."

Du coup, je vous balance un bout de texte, extrait d'un truc sur lequel je bosse depuis quelques semaines et dont je vous reparlerai plus avant un peu plus tard, dans le futur, justement.


Le 21 juillet 1969, près d'un demi milliard de personnes étaient devant leur téléviseur. Le spectacle qui s'offrait a eux n'était pourtant pas très exaltant visuellement : une image tremblotante, étrangement contrastée, floue, un spectre sautillant et informe à la voix métallique ponctuée de bips. Et pourtant, ces gens regardaient leur écran d'une façon quasi religieuse, en retenant leur souffle. Certains avaient veillé jusqu'à une heure indue et avaient même appelé leurs enfants devant la lucarne.

Il faut dire que le spectre s'appelait Neil Armstrong, et qu'il venait de poser le pied sur la Lune, un satellite naturel orbitant à près de 400.000 kilomètres au-dessus du plus proche téléspectateur. C'était un exploit jamais vu, survenant pourtant à la fin d'une décennie d'exploits du même genre. C'était une nouvelle limite qui venait d'être atteinte, une nouvelle frontière. L'humanité retenait son souffle, et sentait confusément s'ouvrir une ère nouvelle.

Et pourtant, en posant le pied sur la Lune, Neil Armstrong venait de mettre fin à la course à l'espace, et au lieu d'ouvrir une nouvelle ère d'exploration, il annonçait la fin de l'époque des pionniers. Dans la décennie qui suivit, le "réalisme" reprit le dessus. Au lieu des énormes fusées, on mit en place un programme de navettes censément plus rationnel. Les nouveautés produites grâce à l'exploration spatiale se sont avérées très prosaïques. Ce sont les aliments lyophilisés, les couches-culottes et le GPS, le logiciel qui permet de voir sa maison depuis le ciel et le téléphone portable qui permet de rompre par SMS même quand madame est à Singapour ou à Rio.

Le temps a passé. En l'an 2000, un acteur ayant fait carrière en incarnant un commandant de station orbitale apparaît dans une publicité expliquant pourquoi on n'a pas besoin de voitures volantes, vu qu'on a plein de solutions de e-business qui permettent de faire des affaires sans se déplacer. Quand on tape Armstrong dans un moteur de recherche, on a cinq à huit fois plus de chances de tomber sur un coureur cycliste à l'éthique douteuse que sur un astronaute ayant laissé la marque de sa botte dans la poussière immuable de l'astre des nuits.


Il y aura eu quatre fois plus de personnes pour regarder le mariage du fils de Lady Di qu'il n'y en avait eu pour l'exploit d'Armstrong. L'imaginaire a changé d'objet. Il a peut-être même changé de nature.

Commentaires

Edmond TOURRIOL a dit…
Donc si je comprends bien, ils lui enlèvent ses Tours de France mais il garde son premier pas sur la Lune ?
Tonton Rag a dit…
4 fois plus de personnes pour regarder je ne sais que faire je ne sais quoi, mais c'est 40 ans plus tard. Question? Quelle est la proportion d'écran regardant Louis (ou un autre prénom, peu importe) Armstrong marché sur la Lune et quelle est la proportion d'écran regardant machin 40 ans plus tard.
L'impacte n'est pas le même et comparer des statistiques sur des époques différents est un exercice délicat.

De toute façon, je sais de source sure, que tu as plus passé de temps à regarder et commenter le mariage princier l'année dernière que tu n'as passé de temps le 20 juillet (et pas le 21 (pourquoi se mettre à l'heure de l'europe et de Moscou, c'est un événement américain)) 1969 à suivre et à commenter un petit pas de ce qui n'était qu'un précurseur de Lunahod.
Zaïtchick a dit…
Personne ne peut nous prendre nos rêves, surtout pas des petits encravatés à l'esprit étriqué. S'ils y parviennent, c'est qu'on les a laissé faire. A nous de reprendre ce qui nous appartient.
Alex Nikolavitch a dit…
Les rêves, non, mais le futur, ils nous l'ont bien salopé quand même.

je rappelle que la technologie pour atteindre Mars, Von Braun bossait dessus dans les années 70, jusqu'à ce que quelqu'un lui dise "je vous demande de vous arrêter".
Geoffrey a dit…
Les théories du complot sur l'alunissage en profitent pour se repointer et re-pourrir le web. Même Mulder y croyait...
Uber a dit…
Sinon, vous l'avez surement remarqué, mais on est arrivé dans le futur de Marthy McFly...
Alex Nikolavitch a dit…
quoi ? le skateboard volant ? où ça ?
Mathieu Doublet a dit…
bon, c'est la moto volante plus proche de Star Wars, mais c'est là: http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2012/08/24/jedi-la-moto-volante-de-star-wars-vole-enfin/

L'hoverboard est là et même s'il fonctionne, apparemment, il ne supporte pas le poids d'une personne: http://www.presse-citron.net/lhoverboard-de-retour-vers-le-futur-est-disponible-en-pre-commande
Alex Nikolavitch a dit…
La moto volante, j'avais vu. c'est pas mal, ouais, même si ça a l'air de consommer autant qu'un Jean-Louis Borloo à l'Oktoberfest.
Zaïtchick a dit…
Allez, à la santé des astronautes :
http://www.youtube.com/watch?v=wAQYxqBxJjQ
Uber a dit…
L'overboard supporte le poid d'une personne mais il faut attendre qu'il fasse -140° dehors et ne pas oublier son azote liquide...
http://www.youtube.com/watch?v=QO3dauXyQI0

Posts les plus consultés de ce blog

Bonneteau sémantique

Bon, même si j'ai pas vraiment d'éditeur en ce moment, pour les raisons que vous savez (si vous êtes éditeur et que je vous ai pas encore embêté en vous envoyant mes trucs, manifestez-vous), je continue à écrire.   Avec le temps, j'en ai déjà causé, je suis devenu de plus en plus "jardinier", en ce sens que quand je commence à écrire, je n'ai plus qu'un plan très succinct, indiquant juste la direction du récit et ses grosses balises et je me laisse porter par les situations et les personnages. Bon, une des raisons, c'est que quand je faisais des plans détaillés, j'en foutais la moitié au panier en cours de route. Une autre, c'est que je me fais plus confiance, à force. Là où j'ai changé mon fusil d'épaule, c'est que le truc sur lequel je bosse en ce moment est un roman d'anticipation (développant l'univers posé dans quelques unes de mes nouvelles, on retrouve d'ailleurs un personnage) et pas de fantasy. Mon plan se rédui...

La pataphysique, science ultime

 Bon, c'est l'été. Un peu claqué pour trop mettre à jour ce blog, mais si j'en aurais un peu plus le temps que les mois précédents, mais là, justement, je souffle un peu (enfin presque, y a encore des petites urgences qui popent ici et là, mais j'y consacre pas plus de deux heures par jour, le reste c'est me remettre à écrire, bouger, faire mon ménage, etc.) Bref, je me suis dit que j'allais fouiller dans les étagères surchargées voir s'il y avait pas des trucs sympas que vous auriez peut-être loupés. Ici, un papier d'il y a déjà huit ans sur... la pataphysique.     Le geek, et plus encore son frère le nerd, a parfois une affinité avec la technologie, et assez souvent avec les sciences. Le personnage du nerd fort en science (alors que le « jock », son ennemi héréditaire, est fort en sport) est depuis longtemps un habitué de nos productions pop-culturelles préférées. Et, tout comme l’obsession du geek face à ses univers préféré, la démarche de la science ...

Rebooteux

 Bon, on a profité de l'été pour se faire des sorties cinés avec la tribu Lavitch. Et comme il y a un tropisme comics par ici, ça a été Superman et Fantastic Four.     Pas grand-chose à dire sur le FF , qui est dans la moyenne des films Marvel en termes de scénar, mais bénéficie d'une belle direction artistique et d'un ton qui, pour le coup, colle assez avec ce qu'on était en droit d'attendre d'un film sur le quatuor le plus emblématique des comics, et qu'aucun des films précédents qui leur étaient consacrés n'arrivait à approcher (à part peut-être un peu le Corman, mais on reconnaîtra que c'est un cas particulier). Pas le film de l'année, mais un moment fun et coloré. On notera que prendre une actrice qui s'appelle Kirby pour faire le personnage le plus stanleesque de la bande ne manque pas d'ironie, mais elle fait bien le job, donc...  Fun et coloré, ce sont aussi des mots qui viennent à l'esprit en voyant le Superman , James Gunn ...

Boy-scouts go home !

 Bon, je suis plus débordé que je ne l'aurais cru en cette période. Du coup, une autre rediff, un article datant d'il y a cinq ans. Au moment où Superman se retrouve à faire équipe avec Guy Gardner à l'écran, c'est peut-être le moment de ressorti celui-ci. Les super-héros sont des gentils propres sur eux affrontant des méchants ridicules, avec une dialectique générale qui est, selon le cas, celle du match de catch ou de la cour de récré. C’est en tout cas l’image qu’en a une large partie du grand public. Certains, notamment Superman, correspondent assez à ce cliché. D’autres héros s’avèrent moins lisses, et contre toute attente, ça ne date pas d’hier : aux origines des super-héros, dans les années 1930-40, on est même très loin de cette image de boy-scouts. Les héros de pulps, ancêtres directs des super-héros, boivent et courent la gueuse comme Conan, massacrent à tour de bras, comme le Shadow ou lavent le cerveau de leurs adversaires comme Doc Savage. Superman, tel que...

Causes, toujours

 Dans la mesure où j'ai un peu de boulot, mais que ce n'est pas du tout intense comme ça a pu l'être cette année, j'en profite pour tomber dans des trous du lapin de documentation, qui vont de la ville engloutie de Kitej (pour une idée de roman avec laquelle je joue depuis l'an passé mais que je ne mettrai pas en oeuvre avant de l'avoir bien fait mûrir) à des considérations sur les influences platoniciennes sur le christianisme et le gnosticisme primitifs (pour me tenir à jour sur des sujets qui m'intéressent de façon personnelle) à des trucs de physiques fondamentale pour essayer des comprendre des choses sans doute trop pointues pour moi.     Là, ce soir, c'étaient des conversations entre physiciens et un truc m'a fait vriller. L'un d'entre eux expliquait que la causalité est une notion trop mal définie pour être encore pertinente en physique. Selon lui, soit on la repense, soit on la vire. Il cite un de ses collègues britanniques qui disai...

Fils de...

Une petite note sur une de ces questions de mythologie qui me travaillent parfois. Je ne sais pas si je vais éclairer le sujet ou encore plus l'embrouiller, vous me direz. Mon sujet du jour, c'est Loki.  Loki, c'est canoniquement (si l'on peut dire vu la complexité des sources) le fils de Laufey. Et, mine de rien, c'est un truc à creuser. Chez Marvel, Laufey est représenté comme un Jotun, un géant. Et, dans la mythologie nordique, le père de Loki est bien un géant. Sauf que... Sauf que le père de Loki, en vrai, c'est un certain Farbauti, en effet géant de son état. Un Jotun, un des terribles géants du gel. Et, dans la poésie scaldique la plus ancienne, le dieu de la malice est généralement appelé fils de Farbauti. Laufey, c'est sa mère. Et, dans des textes un peu plus tardifs comme les Eddas, il est plus souvent appelé fils de Laufey. Alors, pourquoi ? En vrai, je n'en sais rien. Cette notule n'est qu'un moyen de réfléchir à haute voix, ou plutôt...

Romulus et Rémus sont dans un vaisseau

 Comme il y a des domaines sur lesquels je suis toujours un poil à la bourre, j'ai enfin vu Alien : Romulus . J'avais eu l'intention d'y aller en salle, mais pour des problèmes d'emploi du temps, ça ne s'était pas fait. Et de toute façon, vous le savez si vous me lisez depuis longtemps, j'avais signé l'avis de décès de la licence Alien il y a déjà quelques années. Bon, hier soir, après avoir passé quelques heures en recherches perso sur des sujets obscurs (le proto-canon paulinien de Marcion, ça vous parle ? Probablement pas), je me suis calé devant la télé, et en fouillant dans les menus des plateformes, je suis tombé sur Romulus et je me suis dit : allez. Y a quinze jours, en faisant la même démarche, j'étais tombé sur le documentaire de Werner Herzog sur Bokassa. Pas exactement le même délire. Je ne m'attendais pas à grand-chose. J'avais vu passer des critiques pas très sympa. Ceci dit, les bandes annonces m'avaient fait envie : décor...

Sur la route encore

 Longtemps que je n'avais pas rêvé d'un voyage linguistique. Ça m'arrive de temps en temps, je ne sais pas pourquoi. Là j'étais en Norvège, je me retrouve à devoir aller dans le nord du pays pour accompagner un groupe, je prends un ferry puis une sorte de car pour y aller. Une fois sur place, on se fait une forteresse de bois surplombant un fjord, c'est féérique et grandiose. Pour le retour, pas de car. On me propose un camion qui redescend par la Suède, j'accepte le deal. Je me retrouve à voyager à l'arrière d'abord puis, après la douane, je passe devant avec le conducteur qui parle un français bancal et son collègue co-pilote qui cause un anglais foireux. Bon baragouine en suivant des routes tortueuses entre des pins gigantesques. Y a des étapes dans des trucs paumés où on s'arrête pour manger, un début de bagarre qu'on calme en payant une bouffe à tout le monde. Des paysages chouettes. Je suis jamais arrivé à destination, le réveil a sonné, ma...

Dans la vallée, oho, de l'IA

 J'en avais déjà parlé ici , le contenu généré par IA (ou pour mieux dire, par LLM) envahit tout. Je bloque à vue des dizaines de chaînes par semaine pour ne pas polluer mes recommandations, mais il en pope tous les jours, avec du contenu de très basse qualité, fabriqué à la chaîne pour causer histoire ou science ou cinéma avec des textes assez nuls et des images collées au petit bonheur la chance, pour lequel je ne veux pas utiliser de bande passante ni perdre mon temps.   Ça me permet de faire un tri, d'avoir des vidéos d'assez bonne qualité. J'y tiens, depuis des années c'est ce qui remplace la télé pour moi. Le problème, c'est que tout le monde ne voit pas le problème. Plein de gens consomment ça parce que ça leur suffit, visiblement. Je suis lancé dans cette réflexion en prenant un train de banlieue ce matin. Un vieux regardait une vidéo de ce genre sans écouteurs (ça aussi, ça m'agace) et du coup, comme il était à deux places de moi, j'ai pu en ...

Compte à rebours avant Apocalypses : 31 jours

Hop, je viens d'avoir la date officielle pour la sortie d' Apocalypses, une brève histoire de la fin des temps , mon prochain bouquin à paraître chez les Moutons électriques. C'est pour le 6 novembre prochain. Du coup, je vous en rebalance un petit extrait : Ce qu’on appelait l’esprit "fin de siècle" dans années 1990, en le considérant comme un mal transitoire, se retrouve à perdurer sous une forme plus appuyée encore : l’approche de l’an 2000 avait remis sur le devant de la scène le discours millénariste et commencé à le banaliser, l’automne 2001 lui donne un impact dans un monde séculier qui chercher à se déséculariser, à reprendre une place cosmique dans un plan divin. Les groupes de pression fondamentalistes de toutes obédiences ont trouvé des caisses de résonnance dans la société. Si le phénomène n’est pas nouveau, il prend ces dernières années une ampleur assez inédite. En France, des organisations catholiques comme l’Institut Civi...